Les efforts des États-Unis pour reconstruire son industrie de fabrication de semi-conducteurs de premier plan sont voués à l'échec. C'est ce qu'aurait expliqué, sans nuances, le fondateur de TSMC — Morris Chang, 91 ans — à Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis lors de sa venue à Taiwan en août dernier.
Les propos exacts tenus lors de ce dîner, organisé par la présidence taiwanaise pour son hôte venue apporter un soutien politique à l'île n'ont pas été rapportés, mais leur franchise a surpris les convives raconte le Financial Times.
Avec TSMC, créé en 1987, Morris Chang a bâti un protagoniste incontournable de ce secteur des semi-conducteurs et fait de Taïwan un centre névralgique pour toutes les industries qui utilisent des processeurs dans leurs produits. La difficulté aujourd'hui est que Taïwan se retrouve de plus en plus au milieu d'enjeux stratégiques qui opposent la Chine aux États-Unis.
Les États-Unis (mais aussi d'autres continents) ont la volonté de redevenir une place forte de la production de semi-conducteurs. Afin d'alléger cette dépendance qu'a le pays et plusieurs de ses groupes informatiques, électroniques, mais aussi son industrie de défense vis-à-vis de Taïwan et, par là même, de TSMC.
Cependant le Taïwanais a pris une avance technologique considérable sur ses plus proches concurrents tels que Samsung et Intel. La concentration en un seul lieu de ses capacités de R&D et de fabrication joue aussi en sa faveur. Les équipes peuvent collaborer étroitement et rapidement.
Pour complaire au gouvernement américain, TSMC a lancé la construction d'une usine en Arizona qui devrait tourner à plein régime dans deux ans. Toutefois elle ne sera pas au niveau technique ni aussi grande que ses aînées taïwanaises.
Il est un autre problème à ce renforcement sur le sol américain — Samsung et Intel s'y développent également — c'est qu'il est destiné à la fabrication de processeurs de haut niveau, comme ceux que l'on a dans les smartphones et les ordinateurs ou serveurs.
Alors que d'autres industries vitales comme l'automobile, les machines ou les équipements militaires ont plutôt besoin de processeurs moins sophistiqués, donc moins chers, donc peu rentables s'ils sont fabriqués par des salariés américains.
En outre, comme l'expliquent des analystes, il faudra encore de nombreuses années et des investissements faramineux avant d'espérer une industrie locale au niveau de ce que TSMC propose depuis Taïwan.
Chaque scénario a ses forces et faiblesses : Intel et Samsung ont des projets d'usines plus ambitieux que celui de TSMC sur le sol américain, ce qui pourrait contribuer à réduire les coûts. Les tensions géopolitiques qui pèsent sur Taïwan peuvent inciter les clients de TSMC à diversifier les sources de production.
De son côté, TSMC peut se prévaloir d'une place et d'une maîtrise technologique que personne n'est encore capable de lui disputer. Apple et AMD ont à ce titre fait de ce groupe leur unique fournisseur, ce qui ne manque pas d'étonner au vu des risques de plus en plus prégnants. Taïwan de son côté voit dans la puissance de cet acteur et de ce secteur une sorte d'assurance vie. Si la Chine se faisait plus menaçante encore, les pays occidentaux, soucieux de préserver des approvisionnements en semi-conducteurs (qui ont été déjà mis à mal avec le Covid) auraient tout intérêt à venir au secours de l'île.
À moins, autre scénario encore, que la Chine se contente d'un blocus non violent de l'île, mais tout aussi ravageur pour les entreprises et les économies étrangères.