Il est un pays où les Google, Facebook et autre Twitter dont nous ne pouvons pas nous passer sont quasiment inexistants. Ce pays, c'est la Chine. Expatrié dans l'Empire du Milieu, Mathieu Fouquet nous raconte son périple technologique.
Après son arrivée dans le pays, les apps bloquées, celles pour apprendre à communiquer, la guerre des transports, les méthodes de paiement par mobile, il s'intéresse à la qualité de l'air, un sujet du quotidien dans ce pays.
There's something in the air, Steve Jobs
Paris a eu beau faire de son mieux cet hiver, le combat était perdu d’avance : en matière de pics de pollution, la Chine a un savoir-faire que la capitale française ne peut qu’admirer. Tradition devenue saisonnière (et surtout hivernale), les médias occidentaux relaient régulièrement d’affolantes nouvelles sur la qualité de l’air chinois, comme un feuilleton qui s’éternise après dix saisons de trop. Les causes de cette pollution sont multiples : production énergétique (le charbon reste majoritaire, même si les énergies renouvelables sont en pleine explosion), industries lourdes (acier, ciment…), véhicules motorisés… Être à la fois l’usine du monde et son pays le plus peuplé, cela a un coût environnemental élevé (lire : Chroniques numériques de Chine : la guerre des transports).
Mais la facture n’est pas qu’environnementale ; elle est aussi sanitaire. Les chiffres varient d’une source à l’autre, cependant il est estimé que la pollution de l’air en Chine provoque environ un million de morts prématurées par an. L’un des plus grands coupables de ce désastre de santé publique ? Les particules en suspension, notamment les PM2,5, c’est-à-dire les particules de moins de 2,5 microns. Ces dernières sont particulièrement dangereuses car elles peuvent pénétrer profondément dans les poumons, voire dans la circulation sanguine, et provoquer à terme des maladies respiratoires ou cardio-vasculaires.
Pas que la Chine en ait l’exclusivité : si vous habitez dans une grande métropole française, il est probable que vous ayez entendu parler à un moment ou à un autre de ces vilaines particules fines, même si un pic à Paris ferait à peine sourciller à Beijing. Que l’on ne s’y trompe pas : quelle que soit leur concentration, ces particules restent mauvaises pour la santé, et elles provoquent des décès y compris dans l’Hexagone. Le contenu de cet article pourrait donc vous concerner où que vous habitiez sur Terre, en plus d’être franchement vital dans l’Empire du Milieu.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, soulignons d’emblée que, comme à Paris, la pollution chinoise n’est ni continue, ni uniforme. Chengdu pourrait être recouvert d’un smog infâme lundi et d’un beau ciel bleu le lendemain, si les conditions météo s’y prêtent (la pluie, par exemple, nettoie généralement l’air). Sans compter que la consommation énergétique varie d’une saison à l’autre, et avec elle, la pollution (c’est presque toujours en hiver que les pics les plus marquants se produisent). Enfin, les provinces et les villes ne sont pas toutes sur un pied d’égalité : entre le Hebei asphyxié par ses aciéries et le Yunnan touristique et comparativement peu développé, le fossé de la qualité de l’air est parfois un abîme.
Le problème étant, bien sûr, que tout le monde ne peut habiter dans le Yunnan. Lorsque la pollution de l’air est une réalité quotidienne et que déménager n’est pas une option (d’accord, ça l’est pour un étranger), il ne reste qu’une seule solution : la combattre. Pendant que les autorités essaient — avec plus ou moins de succès — de l’éliminer à la source, la population dispose de plusieurs moyens pour se prémunir de cet ennemi (presque) invisible : les masques, les purificateurs d’air et… les apps.
L’air, ça compte
Air Matters, par exemple, s’appuie sur les données publiques disponibles pour afficher le niveau actuel de pollution à proximité de l’utilisateur ou dans une ville sélectionnée.
Ce n’est pas la seule application du genre, mais c’est celle que j’utilise depuis mon arrivée en Chine afin d’alimenter ma névr… de m’informer sur la qualité de l’air. Plus sérieusement, regarder par la fenêtre est une méthode qui peut être efficace, mais qui n’a rien d’infaillible : parfois, ce qui ressemble à un nuage de pollution n’est qu’un épais brouillard. Ou, plus probablement, une combinaison des deux.
Le principe de l’application est simple : elle vérifie la concentration des différents types de polluants (PM10, PM2,5, ozone, voire le pollen dans certaines villes…) à un endroit donné et se base sur ces données pour calculer l’indice de la qualité de l’air, ou IQA. Par défaut, Air Matters utilise l’échelle des États-Unis (qui emploie des valeurs numériques, de 0 à 500), mais il existe d’autres normes plus ou moins semblables (chinoise, européenne, indienne…) activables dans les préférences. Personnellement, je suis resté sur l’IQA américain : il a le poids de l’usage et il n’est pas moins clair qu’un autre.
Au lancement de l’application, il est très facile de juger du niveau de pollution en un clin d’œil : si c’est vert, tout va bien. Si c’est orange, pas de quoi paniquer. Si c’est violet, c’est joli, oui, mais il vaut mieux ne pas sortir faire un footing.
Mais que faire, alors ? Cela dépend des personnes : beaucoup ne se poseront pas la question (par manque d’informations, d’intérêt ou de moyens), d’autres choisiront de porter un masque à l’extérieur et/ou d’activer leur purificateur d’air à l’intérieur. Un masque de bonne qualité retient la grande majorité des particules fines ; quant au purificateur, l’important est qu’il utilise un filtre HEPA.
Des solutions dans l’air du temps
Parlons des purificateurs, justement : il s’agit à mon avis de l’acquisition la plus utile que vous puissiez faire en Chine — et ailleurs — si vous souhaitez protéger vos poumons. Si nous partons du principe que l’on passe la majorité de son temps à domicile (pensez à combien d’heures vous dormez par jour), alors il est clair qu’un purificateur vous procurera plus de bouffées saines qu’un masque (ce qui ne revient pas à dire que les masques sont inutiles !).
Les purificateurs ne sont pas une innovation récente, loin s’en faut, mais des bouleversement intéressants se sont produits sur le marché chinois ces dernières années. Alors que le paysage était jusqu’ici dominé par des compagnies étrangères (Philips, Blueair…) commercialisant des appareils coûtant généralement des centaines d’euros, un concurrent local est récemment arrivé comme un chien dans un jeu de quilles.
Xiaomi, surtout connu dans nos vertes contrées pour être un fabricant de téléphone, propose en effet depuis peu un purificateur, tout simplement baptisé « Air » (ou « Air 2 », selon la version) tarifié environ 700 yuans, soit moins d’une centaine d’euros. Apple aurait pu s’offusquer de ce choix de nom, mais après tout, l’Air, c’est tellement ringard.
Plus intéressant encore, on trouve des initiatives pour construire soi-même son propre purificateur, comme celle de Smart Air et de sa machine composée d’un simple ventilateur, d’une attache et d’un filtre HEPA. Pas très esthétique (ni très silencieux), mais à peu près aussi efficace qu’un purificateur traditionnel. Pour une vingtaine d’euros, on ne se plaindra pas de toute façon.
Dernière catégorie à des années-lumière des préoccupations françaises : les compteurs de particules fines. En effet, si les applications comme Air Matters s’appuient sur les données issues des stations de mesure qui parsèment les grandes villes, elles ignorent bien entendu tout de la pollution intérieure de votre logement.
Si cette inconnue vous inquiète (vous voulez par exemple vous assurer de l’efficacité de votre purificateur), alors vous pouvez opter pour un compteur plus ou moins cher et plus ou moins design. Mention honorable au Laser Egg dans lequel on sent une petite touche de l’ADN cupertinien (ce qui explique peut-être que je l’aie vu en vente à l’Apple Store de Chengdu) :
Cerise sur le gâteau : il est possible de relier ce type d’équipement à Air Matters, qui vous donnera alors le niveau de pollution de votre domicile en temps réel, où que vous soyez. Si là, je ne viens pas de vous vendre du rêve…
En conclusion
Difficile de ne pas rire un peu jaune devant l’ironie de la situation : on se protège d’un problème industriel et énergétique en consommant de nouveaux produits — et fatalement, plus d’énergie. Nul doute que certaines sociétés se frottent déjà les mains de pouvoir capitaliser sur l’air que des millions de chinois respirent, mais cela n’annule hélas en rien leur besoin de… respirer. Soyons clair : toutes les solutions mentionnées dans cet article ne sont qu’un sparadrap. Il appartient aux autorités et aux individus de traiter la plaie sous-jacente.