Descendant direct des Power Mac, le Mac Pro est une machine à part entière dans la gamme d'Apple. Le design du modèle actuel n'a quasiment pas évolué depuis le Power Mac G5, sorti en 2003. Les performances de cette tour sont égales à son encombrement : il s'agit d'un ordinateur en tout point imposant. Son prix, ses dimensions, son caractère configurable, sa raison d'être en somme le destinent essentiellement à une frange d'utilisateurs : les « pros ». Par « pro », il faut comprendre les utilisateurs qui font un usage professionnel et avancé de leur machine. Il s'agit en premier lieu des métiers créatifs (vidéastes, graphistes, musiciens, architectes...), mais aussi des professionnels de la santé et des scientifiques.
Le Mac Pro est l'archétype du « camion » décrit par Steve Jobs :
« Quand nous étions une nation agraire, toutes les voitures étaient des camions. Mais à partir du moment où la population a commencé à migrer vers les villes, les gens ont commencé à utiliser des voitures. Je pense que les PC vont connaître le même sort que les camions. De moins en moins de monde en aura l'utilité. »
Le nouveau Mac Pro dévoilé à la WWDC 2013 par Phil Schiller reste toujours un camion comparé aux MacBook ou à l'iPad, mais sa conception est radicalement différente des précédents modèles. Fini le système d'extensions internes qui permettait d'ajouter en son sein toute sorte de périphériques, le Mac Pro nouvelle génération mise tout sur une connectivité externe à grand renfort de ports Thunderbolt 2 et USB 3.0. Conséquence de ce changement de conception, la machine est remarquablement plus compacte — le fantôme du Cube n'est pas loin. Une (r)évolution accompagnée de ce qui se fait de mieux en matière de composants : processeur Xeon 12 coeurs, deux cartes graphiques haut de gamme, SSD...
Parmi ceux d'entre vous qui attendaient le nouveau Mac Pro, quel est aujourd'hui votre sentiment face à ce qu'a dévoilé Apple ? C'était l'objet de notre dernier appel à témoins auquel vous avez été une cinquantaine à répondre sur notre forum.
Les avis sont très partagés. Alors que des zones d'ombre importantes entourent encore le cylindre — en premier lieu son prix, évidemment —, il a déjà ses détracteurs et ses défenseurs. Il y a aussi ceux qui se montrent intéressés, mais qui attendent d'en savoir plus pour craquer.
Photo The Verge
Des déceptions et des doutes
En ne permettant plus d'intégrer des périphériques à l'intérieur du Mac Pro, Apple ravive les critiques portant sur la fermeture de ses machines. Un changement d'ailleurs hautement symbolique dans le cas présent, puisque la tour était la machine la plus facilement configurable.
PO_ déplore sévèrement cette direction prise :
« La course à la miniaturisation engagée par Apple pour ce Mac "Pro", non seulement m'indiffère, mais me gêne, car on se retrouve de nouveau avec les plus mauvais travers de l'ancienne "Apple", avec le retour de formats et connectiques propriétaires : pour les cartes vidéo, c'est un fait avéré, et sûrement aussi pour l'unique (quelle hérésie) connecteur d'extension SSD.
Je ne tiens pas à cautionner une prise d'otage du client en vue de le rendre captif des choix d'Apple et surtout des tarifs éhontés auxquels ils nous ont habitués pour les disques durs, la RAM, les cartes vidéos. Avec les anciens Mac Pro, on avait encore le choix pour ces composants de se fournir ailleurs, maintenant, c'est terminé. »
melaure est sur la même longueur d'onde :
« J'ai eu beaucoup de pommes dans ma vie (depuis 82, IIe+), je les ais toutes fait évoluer. Cette orientation du tout fermé chez Apple commence à m'irriter fortement et je suis loin d'être le seul... J'espérais un jour repartir sur une petite tour upgradable, là c'est mort. »
Pour joneskind, la problématique d'une machine professionnelle est la « validité de l'investissement », autrement dit sa capacité à être profitable sur le long terme. « En l'occurrence, ce nouveau Mac Pro me prive pour le moment de la grande flexibilité de son grand frère », soupèse-t-il.
Ben-J illustre quant à lui concrètement quels changements implique l'absence d'un système d'extension interne :
« Travaillant dans la vidéo pour la télévision, mon organisation est équipée de Mac Pro pour faire de la capture de signaux SDI (provenant de fibres, de satellites, ou ailleurs), du montage sur Final Cut, puis de l'export direct de cette vidéo montée en SDI. Pour ce faire, nous utilisons des cartes à sorties BNC puisque le format SDI est le format de vidéo pur et est toujours transféré sur ce type de connectique. Or, si je vois bien comment insérer ce type de carte sur un Mac Pro actuel, je ne sais pas où on pourra la rentrer sur ces nouveaux modèles. [...] Bref, on va se retrouver avec tout un tas de boîtiers externes pour transformer notre SDI sur BNC en un autre standard (Thunderbold, USB, Firewire). On gagne des boîtiers partout, ce qui est un bordel sur un bureau (avec le risque de tout débrancher par erreur). »
Mac Pro actuel - Photo Motoya Kawasaki CC
Des préoccupations dont fait part également wip, qui tient aux baies d'extension pour le stockage, aux extensions PCI et au(x) SuperDrive. « J'ai vraiment peur que le design de ce nouvel Ovni soit gâché par une multitude de boitiers et de câbles qu'il faudra brancher dessus, s’inquiète-t-il. Sans compter tout ce qu'il faudra brancher sur le secteur... » comvis, qui fait du montage vidéo et du web, est « pour le moment très déçu ». Outre la disparition du système de baies internes, il regrette aussi la fabrication du Mac Pro actuel, « un vrai tank » résistant à toute épreuve.
Les spéculations vont bon train sur le prix. Il est inimaginable que le nouveau Mac Pro, avec la configuration présentée par Phil Schiller et sur le site d'Apple, soit vendu moins cher ou au même prix que le modèle actuel de base (2 500 $ / 2 400 €). Les stations de travail de Dell et de HP dont les composants se rapprochent le plus du cylindre débutent à 5 000 € (lire : Le Mac Pro sera-t-il aussi cher que les stations PC ?).
Un tarif hypothétique jugé rédhibitoire par melaure, qui table lui sur un ticket d'entrée autour de 6 000 € : « Les tours précédentes étaient acquises à la fois par des pros et par des utilisateurs avancés et désireux de marges de manœuvre dans leur config et leur évolution. Ces derniers sont aujourd'hui hors course avec le nouveau modèle. » PO_ est également « sceptique quant à l'échelle de prix de ce nouveau modèle, qui risque fort d'atteindre des sommets astronomiques pour avoir un modèle intéressant. »
Yuku estime que dans son domaine, la postproduction sonore, « ce nouveau iTube n'a que très peu d'intérêt en soit, les logiciels et plugins audio n'utilisant absolument pas les GPU ». Et de préciser :
« Le nouveau Xeon sera certes un "grand" pas en avant, mais faire une croix sur toutes mes cartes PCIe (Sonnet pour de l'eSATA, Black Magic Design pour la carte vidéo SDI/HDMI, et la carte AVID HDX pour Pro Tools) ainsi que tous mes périphériques Firewire 800/400, dur dur... »
En outre, il juge que la présence du bouton ON/OFF au dos de l'appareil est un mauvais choix fonctionnel : « ça sera une galère à atteindre quand tous les ports seront occupés et si la machine est au sol ». Phil Schiller avait néanmoins indiqué qu'il serait très facile de faire tourner le cylindre... une manipulation pas forcément judicieuse avec les câbles les plus courts.
La présentation du Mac Pro débute à 52:20
Photo Engadget
Les enthousiastes
À l'opposée des rétifs, une partie des témoins est prêts à acheter dès sa sortie le nouveau Mac Pro. Une impatience due au sur-place fait par Apple sur cette machine qui l'a privé de Thunderbolt et de SSD, entre autres.
« Beaucoup d'illustrations 2D et 3D (Cinema 4D), de l'animation 2D et 3D ,de la post-prod avec Motion et de nouveau sous AAE, du montage sous FCPX… Oui je compte bien changer de machine, depuis le temps ! Je ne m'intéresse qu'à la puissance, à l'ergonomie du système et au zéro souci de l'ensemble. J'ai trois Mac Pro avec jamais d'embrouilles. Deux seront revendus pour contribuer à l'achat de la nouvelle canette. » iolofato
« Clairement : on va acheter tout de suite. Ma boîte est dans le domaine de la vidéo. Final Cut Pro 7 et Final Cut Pro X pour le montage. Un graphiste sur CS6. Suivant les studios on a de deux à dix postes répartis entre des Mac Pro, des iMac et des MacBook Pro. L'unique façon d'avoir des entrées-sorties vidéos sur un iMac ou un MacBook Pro (hormis le 17 pouces) c'est d'utiliser le Thunderbolt. Nous sommes donc déjà très habitués à cette connexion.
Les achats du matériel Thunderbolt ont été faits en tablant sur le fait que les Mac Pro utiliseraient aussi cette connexion. Beaucoup de fabricants de matériel vidéo (Aja, Matrox, Blackmagic, Motu, etc.) on déjà misé sur le Thunderbolt pour remplacer les cartes PCI. [...] Même avec le Mac Pro actuel nous utilisons du stockage externe. SAN, NAS, disque dur FireWire, USB3 ou Thunderbolt. Ça ne fera que peu de changement avec le nouveau Mac Pro. Et l'achat d'une carte RAID interne accompagné de ces disques durs est à un prix équivalant à celui d'un stockage Thunderbolt de même capacité et de même fonctionnalité. » JoKer
La puissance promise par Apple fait également rêver plusieurs utilisateurs, à l'image de Pepoto, qui travaille dans l'audiovisuel : « Ce nouveau Mac Pro est clairement la machine que j'attendais : un coeur de puissance, point barre. » Il explique ensuite, pourquoi, selon lui, le Thunderbolt est un bon choix pour les périphériques :
« Avoir tout dans une tour n'a, de mon point de vue, plus aucune pertinence dans l'audiovisuel de 2013. Au contraire, le Thunderbolt rend les périphériques beaucoup plus pérennes et universels. Ils passent d'une machine à l'autre, voire survivent au renouvellement des machines !
Selon moi, le câblage sera beaucoup plus propre sur ce "Tube" que sur un Mac Pro actuel qui s'apparente souvent à un hub hérisson, coincé sous un bureau ou enfermé dans un caisson phonique. Dès qu'on doit recâbler ou brancher un nouveau périphérique, c'est l'enfer. Le Thunderbolt, lui, est chaînable ! »
Un avis partagé par brbc, pour qui « c'est la connectivité qui prime aujourd'hui». miklos, qui travaille dans le son pour le cinéma, va « presque à coup sûr en acheter un ». Au premier abord déçu par cette machine, il a finalement revu son jugement, estimant qu'il peut « facilement choisir [ses] extensions et être au plus près de [ses] besoins. »
ianos, qui est architecte et se sert d'AutoCAD, pourrait aussi faire partie des premiers acheteurs :
« En ce qui concerne la connectivité et le fait qu'on ne peut rien mettre à l'intérieur, tous les ports proposés sont là ; de toute façon, à part le port réseau et éventuellement un port pour le DD Time Machine, je n'ai besoin de rien. Bref, c'est la belle vie, mais il ne faut quand même pas qu'ils tardent à les sortir, car je suis super impatient ! »
Photo Engadget
Les questions encore en suspens
À côté de ceux qui sont prêts à se jeter sur le nouveau Mac Pro, il y a ceux qui sont indubitablement intéressés, mais pour qui il est encore trop tôt pour se prononcer définitivement. La première réserve concerne bien sûr le prix, la grande inconnue.
Si pour des grosses entreprises ce paramètre peut être un détail, c'est rarement le cas pour les professionnels indépendants. « Entre le désir et la possibilité réelle d'y passer, il peut y avoir un gouffre selon le niveau de tarifs qu'Apple proposera sur les différentes configurations », note Waterfront, qui a été totalement séduit par cette machine.
Pour jerome74, cela dépendra du positionnement du modèle d'entrée de gamme. Si celui-ci est abordable (au niveau de l'iMac haut de gamme), il craquera : « j'en rêve depuis 10 ans, d'une machine puissante ET transportable. » La situation est la même pour misc, designer produit : « Le nouveau Mac Pro serait énormément le bienvenu s'il est possible de l'acquérir pour un simple mortel. »
Une autre des interrogations est l'évolutivité la machine. Ce sera a priori plus compliqué que sur le modèle actuel, mais certains restent toujours dans l'expectative. « La question en suspens est surtout celle du remplacement de la RAM. C'est la pièce qu'Apple facture un bras et qu'on aimerait pouvoir choisir », déclare Hasgarn. macbob, un ancien designer qui monte une start-up, se pose aussi la question, plus spécialement à propos des cartes graphiques.
chezyom, chef monteur depuis une vingtaine d'années, est encore indécis pour le moment. C'est la question des performances sur les autres logiciels que ceux d'Apple qui est primordiale pour lui. Ce dont on ne peut juger qu'une fois la machine sortie.
« Apparemment, ce nouveau Mac Pro est taillé pour FCPX comme le dit Apple. C'est très bien, mais il faudra d'autres arguments pour vendre cette machine. Je ne connais personne qui ne bosse qu'avec le trio FCPX, Motion, Compressor. [...] Souvent on trouve un After Effect, un Nuke, un Shake, et depuis récemment des Smoke ou Da Vinci. Quand on met 6000 balles dans un avion de chasse, on a envie que ça tourne par tous les temps. »
Les performances OpenCL vont être scrutées par une partie des acheteurs potentiels pour qui ce point est crucial. Au premier abord, le nouveau Mac Pro est taillé pour cette technologie qui permet de confier des tâches de calcul au GPU (GPGPU). Une impression qu'il faudra vérifier avec des tests. L'absence de CUDA, la solution de GPGPU de Nvidia disponible à l'heure actuelle uniquement sur ses cartes graphiques, est peu évoquée. Une poignée d'utilisateurs s'interroge sur la possibilité de profiter de CUDA sur le nouveau Mac Pro. Nvidia a ouvert son code en 2011, mais AMD ne l'a repris dans aucun de ses produits et pousse le standard OpenCL.
La dernière interrogation concerne la fiabilité du tube, comme le fait remarquer DrOsiriX, médecin spécialiste en médecine nucléaire. Ce à quoi répondent Almux et Waterfront par une solution qui a fait ses preuves : attendre la première révision de la machine.
À qui servira-t-il ? Fera-t-il avancer les choses ? A-t-il sa raison d'être ? Autant de questions qui ne sont pas encore complètement tranchées pour ce produit conçu par Apple en Californie, et assemblé aux États-Unis.