Amoeba Records, plus grand disquaire indépendant - Photo Jumilla CC
La dématérialisation des biens culturels abolit les contraintes spatiales et logistiques propres à la distribution physique et permet à tout internaute d’accéder, en permanence, à un stock d’œuvres quasi illimité, comprenant notamment des œuvres du patrimoine qui n’étaient plus disponibles dans l’univers physique.
C’est ainsi que commence le volumineux rapport Lescure qui fait 80 propositions pour adapter les politiques culturelles au numérique. Le développement de l’offre légale de biens culturels dématérialisés y occupe une place importante (lire : Rapport Lescure : le CSA dans le rôle de l’Hadopi et une taxe sur les appareils connectés ).
Est-ce que l’offre légale répond à vos attentes, à quelle boutique en ligne va votre préférence et pour quelles raisons ? Êtes-vous devenu un gros consommateur de biens numériques ou continuez-vous d’acheter des supports physiques classiques ?
C’était l’objet de notre dernier appel à témoins auquel vous avez été environ 80 à répondre sur le forum.
Il se dégage une disparité assez forte dans la consommation des différents types de médias. L’offre dématérialisée de musique apparaît de plus en plus séduisante, supplantant même les formats physiques pour la plupart d’entre vous. En revanche, la situation pour les livres et la vidéo (films et séries) est bien différente, avec des supports physiques qui présentent toujours autant d’intérêt. Synthèse.
Musique : iTunes et Qobuz en chefs d’orchestre
Photo 401(K) CC
jujuv71 expose un argument que l’on n’attendait pas forcément en faveur de la musique dématérialisée, son aspect écologique (lire à ce sujet : Dématérialisation : mieux vaut télécharger !) :
« Je trouve que dématérialiser la musique est plus écologique, car moins de chimie donc moins de pétrole, pour produire les CD et autres boites. Bon, si on considère qu’il faut plus de silicium, ok, mais je pense que le gain écologique est quand même là. En plus d’un gain de place dans les bibliothèques, armoires, étagères, etc. »
Outre cette perspective, la consommation de musique dématérialisée s’est surtout démocratisée ces dernières années en raison de sa praticité — disponibilité immédiate, possibilité d’acheter seulement un morceau, intégration directe aux terminaux, etc. L’iTunes Store, qui a fêté ses dix ans il y a un mois, est le symbole de ce changement de paradigme dans la consommation de la musique. Et sans surprise il s’agit de la boutique la plus citée dans vos témoignages. C’est bien sûr pour son intégration à l’écosystème Apple qu’il s’agit du magasin le plus populaire.
« Me concernant, tout passe par iTunes. Étant équipé Apple partout je n’ai aucun problème. Que ce soit sur iPad, iPhone, Apple TV ou Mac tout le monde peut lire. De plus, depuis la disponibilité dans iCloud des films et série TV, le Mac n’a plus besoin d’être allumé en permanence. » hakki3781
« iTunes a changé ma manière de consommer du contenu. En effet auparavant je ne consommais que sur support physique : DVD, CD, livre papier. Alors qu’aujourd´hui je consomme sur iTunes ma musique, mes films, mes livres et mes podcasts. [...] iTunes est extrêmement bien intégré à iOS et Mac OS grâce à iCloud qui m’évite d’avoir à synchroniser tous ces contenus . Tout ce fait automatiquement » damiendu83600
Cependant, tout n’est pas parfait avec l’iTunes Store. Atlante, qui voyage beaucoup, regrette qu’il n’y ait pas de compte international — la boutique fonctionne par pays : « Au final, j’ai aujourd’hui un compte Australien, un compte Français, un compte britannique, et un compte USA. C’est ingérable. »
Autre grief, l’absence d’une offre de streaming. iTunes ne propose en effet que l’achat à l’acte. Un modèle qui ne convient pas — ou plus — à tous, comme NicoTupe : « En musique je suis un adepte de Spotify depuis fin 2009. Si au début j’achetais encore des albums physiques aujourd’hui ça se résume à des éditions ultra-collector de groupes que j’aime vraiment beaucoup ou de très beaux objets. »
Également abonné à Spotify, Shynii95 se rend néanmoins sur l’iTunes Store ponctuellement pour son catalogue plus fourni : « je n’achète quasiment plus de musique sauf les artistes qui sont indisponibles sur les plateformes de streaming. Je passe pour les achats par iTunes pour des groupes comme Pink Floyd, AC/DC, The Beatles... »
La qualité sonore offerte par l’iTunes Store (AAC 256 kbit/s) et Spotify constitue un frein pour certains utilisateurs exigeants. Qobuz, qui propose du téléchargement et du streaming lossless, a su tirer son épingle du jeu en fédérant ces audiophiles. mbee est ainsi dithyrambique à son sujet, mettant en exergue la qualité sonore donc, mais aussi le catalogue pointu. Ibaby est tout aussi enthousiaste :
« Je préfère Qobuz, qui vend des fichiers audio équivalents aux CD pour à peine plus cher. Pour l’instant j’en ai acheté peu sur Qobuz, mais j’y suis abonné en streaming HI-FI, j’adore ça. J’attends un DAC pour profiter des Studio Masters. [...] Qobuz me paraît être un bon cheval et si iTunes, qui a pris un retard fou avec son offre en AAC uniquement, revenait en vendant de l’ALAC, je ne suis même pas sûr que j’en serais client à nouveau malgré son intégration dans iOS. Je préfère être client de Qobuz et qu’il se développe. »
Hormis iTunes, Spotify et Qobuz, vous allez également chercher de la musique sur des sites plus spécialisés. On citera pêle-mêle Jamendo (musique libre), Beatport (électro), HighResAudio (haute fidélité), Linn Records (haute fidélité) et Channel Classics Records (classique).
Photo Cyril Plapied CC
Bien que minoritaires, les supports physiques ont toujours les faveurs de plusieurs d’entre vous. Les raisons sont parfois monétaires — pour le même prix qu’un téléchargement, on obtient dans certains cas également une copie physique —, mais elles tiennent le plus souvent à un attachement au format physique, au fameux boîtier en plastique du CD qui renferme le livret ou à la grande pochette en carton du vinyle.
« Quand j’achète, c’est en support physique de préférence en vinyles depuis près d’un an. Quant aux lieux, de préférence aux labels directement avec Internet cela n’a jamais été aussi simple, ou aux artistes lors des concerts.
Aujourd’hui le support physique ne coûte pas plus cher que le digital, en plus il y a bien souvent des codes de téléchargement pour récupérer les mp3.
Rien ne remplacera une jaquette et le plaisir d’écouter sa musique en feuilletant un livret. » madballnyhc
« Je reste fidèle au support physique, je me fournis chez Amazon, le prix de l’album est bien souvent le même que le numérique. Ensuite j’encode la musique dans ma bibliothèque iTunes et je synchronise le tout avec iTunes Match. » Xalio
« Concernant les achats physiques, cela concerne les livres, mais également les CD/DVD dans certains cas, c’est-à-dire lorsque celui-ci m’a plu à un tel point que j’estime qu’il mérite une place sur mon étagère. Car malgré tous les avantages du numérique, j’adore avoir les boites des CD/DVD que j’adore. » Vae
Pour l’achat de CD, Amazon est régulièrement cité. Le géant de la vente en ligne a récemment innové avec AutoRip, qui permet de récupérer gratuitement une version MP3 du CD que l’on a acheté (uniquement aux États-Unis actuellement). Pratique pour les possesseurs de MacBook Air ou d’iMac dernière génération. Les canaux de distribution spécialisés traditionnels (Fnac, Virgin...) sont peu évoqués, tout comme les grandes surfaces.
Lire à ce sujet : Musique dans le nuage : iTunes Match, Spotify et les autres
Vidéo : des supports physiques qui gardent leur intérêt
Photo Diego Correa CC
Si l’offre légale de musique dématérialisée est globalement jugée satisfaisante, c’est loin d’être le cas pour le marché de la vidéo.
Concernant l’achat et/ou la location de films et séries dématérialisés, la bonne expérience utilisateur de l’Apple TV (simplicité d’utilisation, intégration aux produits Apple) est souvent contrebalancée par la pauvreté de son catalogue.
« Ce qui me pose problème, c’est l’indispo de certaines séries sur le store français alors qu’ils sont dispos aux US ou UK » danykaffee
« Le choix sur iTunes [de films] est encore faible et à la vente c’est hors de prix (et revente impossible !). Pour la location, y’a peu de choix, et ça sort trop vite du rayon, pas de gros plus par rapport à la box VOD non plus... » ShowMeHowToLive
Même danykaffee, qui loue les avantages du dématérialisé, « je n’ose pas imaginer les étagères qu’il me faudrait autrement », doit acheter Californication en DVD, car « Apple ne propose pas cette série en France... »
De plus, les films et séries en HD 1080p en version originale sous-titrée ne sont pas encore généralisés, ce qui poussent des consommateurs à se tourner vers les supports physiques, spécialement le Blu-ray.
« Pour les films, c’était pas mal de DVD, mais je suis passé au Blu-ray maintenant (le top en qualité d’image). La plupart du temps je commande en ligne pour les prix plus intéressants. » melaure
« Je n’achète qu’en magasin physique, car la qualité des vidéos présentes sur les plateformes de VOD est ridicule, et peu exploitable par les différents lecteurs multimédias que je possède (incompatibilités, DRM, etc.). » Deuxbase
« Pour les séries TV, achat DVD/BR puis visionnage rapide et revente illico, au final ça me coûte environ 10 € pour la saison entière en qualité top, c’est imbattable ! » ShowMeHowToLive
Photo Takayuki Nakagawa
macntouch et iDuck font part d’un autre problème qui peut se poser en l’absence de support physique : la capacité de stockage pour accueillir de nombreux films ou des séries entières.
« Les films, je voudrais bien aussi les dématérialiser, mais je n’ai pas trouvé de support de stockage qui réponde à mes attentes comme l’est l’iPhone pour la musique. Je veux un support autonome et de capacité suffisante pour pouvoir stocker un grand nombre de films, et qui ne fasse donc pas que le pont entre 2 appareils comme le fait la version actuelle de l’Apple TV. Alors faute de mieux, je continue avec les bons vieux DVD. » iDuck
« Mis à part deux films que j’ai acquis sur iTunes via l’Apple TV, je n’ai rien acheté d’autres. Les raisons sont multiples : qualité moindre que sur Blu-ray, et l’espace pris par une série est gigantesque surtout si elle s’étale sur plus de 3 saisons. Du coup pour moi les séries c’est sur DVD only. » macntouch
Outre l’achat de Blu-ray et de DVD, vous êtes une poignée à signaler que vous louez/empruntez des films dans des boutiques ou des médiathèques. L’abonnement à Canal+ est aussi évoqué à deux ou trois reprises comme bon moyen pour regarder des films. On peut aussi citer Médiatèque Numérique, un service de VOD proposé par Arte et UniversCiné.
Mais pour ischiros, « clairement, sur ce point [la vidéo, ndr], il me manque une solution légale, simple et à prix raisonnable. » Et, à l’instar de Xalio, il en appelle à Netflix, un service de vidéo à la demande par abonnement peu cher qui rencontre un gros succès. En attendant l’arrivée de Netflix en France, un véritable serpent de mer, le rapport Lescure plaide pour un assouplissement de la chronologie des médias qui permettrait aux plateformes de VOD et SVOD de proposer plus rapidement les films après leur sortie en salle. Reste à voir si le pouvoir légiférera dans ce sens.
Lire à ce sujet : Un Mac mini sous la télé (3) : Blu-Ray
Livres : le format physique toujours dans les petits papiers des consommateurs
Photo urbanartcore.eu CC
Encore plus que pour la musique, le livre au format physique à ses défenseurs. « Lire sur une tablette, c’est très bien pour l’actualité type MacG ou Le Monde.
Lire un livre dématérialisé, je n’ai jamais eu le réflexe. Au boulot dès que je reçois un word je l’imprime pour le lire, il m’est impossible de lire sans être distrait sur un écran... », explique madballnyhc. sambucus partage le même besoin du papier :
« Quant au livre, j’ai essayé de lire sur mon iPad en voyage ou en d’autres circonstances (hospitalisations, salle d’attente, transports en commun…). Je n’y arrive pas. Même les BD ! Rien ne vaut le livre que l’on touche, que l’on hume… Mais je suis peut-être d’une autre génération ? »
ziggyspider apporte deux autres arguments : « Je peux lire un livre dans les transports en commun sans risquer de me faire dépouiller et luxe suprême (à notre époque) je peux prêter mes bouquins ! » « Le côté DRM me déplaît énormément et les prix ne sont pas toujours adaptés selon moi », déclare quant à lui stephspam, qui télécharge néanmoins des ebooks sur immatériel.fr.
Toutefois, un témoin se dit très satisfait de l’offre de livres numériques, et plus particulièrement de celle d’Amazon :
« Possesseur d’un Kindle, ça a radicalement changé ma consommation des livres : je lis beaucoup plus et quasi exclusivement en anglais, en attendant que les éditeurs français meurent et laissent la place à des éditeurs un peu plus intelligents sur ce type de médium... Du coup, soit je télécharge des ebook libre de droits (sur Amazon gratuitement ou sur ebookgratuits) soit je les achète sur Amazon pour avoir tout le service associé de synchronisation des notes, X-Ray, etc. Et je dois dire que je suis très content de ce que propose Amazon en lecture, à tel point qu’en général si un livre n’existe pas en ebook je ne le lis pas. » NicoTupe
ShowMeHowToLive voudrait acheter plus de livres électroniques, mais son envie est freinée par l’offre légale : « Pour les livres, j’en achète très peu sur iTunes ou Kindle, car il n’y a quasi aucun choix en numérique, donc ça reste encore le papier à mon grand regret ! C’est désolant, car les pavés dans le métro ou le RER ce n’est pas pratique, je serais client d’une vraie offre numérique. »
Vous avez partagé plusieurs sites qui sortent des sentiers battus pour trouver des ebooks : YouBoox, Izneo, PlayTales, La Procure, Persée, Bragelonne, Le Bélial'. Concernant la presse, vous avez signalé lekiosk, Zinio et Issuu.
Photo Jonas Smith CC
Le téléchargement d’oeuvres en dehors du circuit marchand, plus communément appelé piratage, a été très peu mentionné dans vos témoignages. brian02 dresse tout de même un état des lieux de la situation actuelle :
C’est malheureux à dire, mais sur de nombreux points, pirater permet d’obtenir des contenus de meilleure qualité technique, avec des choix que l’offre légale ne propose pas (langue et sous titres essentiellement). Avec en plus la liberté de s’affranchir des logiciels propres à chaque plateforme. [...]
À titre de contre exemple, j’achète systématiquement mes logiciels et autres applications, tout simplement parce que le service que j’obtiens en contrepartie est supérieur : mises à jour automatiques, installation facilitée, etc. Et j’aime soutenir les développeurs.
La réflexion de sambucus va plus loin. Ce « bientôt vieil homme », comme il se caractérise lui-même, se demande « comment nous allons pouvoir transmettre en héritage à nos enfants les biens dématérialisés que l’on a acquis au cours d’une vie »...
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