Steve Jobs, négociateur sans concession. C'est le portrait qui ressort de l'échange de mail entre le patron d'Apple et James Murdoch, publié par Quartz. Cette correspondance [PDF], et plus précisément la dernière réponse de Jobs, figure dans les pièces que le Département de la Justice américaine va utiliser pour tenter de démontrer qu'Apple est coupable de collusion sur le prix des livres électroniques (lire Prix des eBooks : le Département de la Justice insiste sur la responsabilité d'Apple).
James Murdoch, fils cadet de Rupert, négociait avec le patron d'Apple la participation de la maison d'édition HarperCollins à l'iBookstore. HarperCollins est l'une des divisions de l'empire News Corp (Fox TV, 20th Century Fox, National Geographic, The Wall Street Journal, etc. pour ne citer que les plus connus).
L'échange par mail a lieu sur trois jours, à partir du 22 janvier 2010. L'iPad sera annoncé le 27, le temps presse et Apple veut compter sur le catalogue de cet important éditeur. Les deux hommes conversent sur un ton amical, mais chacun défend ses positions alors qu'il s'agit de conclure un round de discussions qui a déjà eu lieu entre leurs lieutenants. Au final, c'est le patron d'Apple qui l'emporte, sans avoir reculé d'un pas. On voit au passage à quel point certaines négociations peuvent se dérouler jusqu'à l'extreme limite du temps encore disponible avant l'annonce d'un produit majeur.
Apple avait déjà signé avec les éditeurs Penguin et Simon & Schuster. Ils avaient convenu qu'un nouveau livre au format électronique serait vendu en général 12,99$. Un prix de 3$ supérieur à celui pratiqué par Amazon pour ses Kindle et sur lequel Apple prélèverait ses 30% habituels.
Les demandes d'Apple inquiétaient HarperCollins, James Murdoch s'en fait l'écho dans un mail envoyé à Steve Jobs le vendredi 22 janvier. Murdoch est complètement disposé à travailler avec Apple, mais certaines clauses ne collent pas de son point de vue et celui de ses équipes.
Il explique qu'Amazon paye à HarperCollins un prix de gros de 13$ pour un ouvrage. Amazon revend ensuite ce livre 9,99$ aux utilisateurs de Kindle. L'auteur touche 4,20$ pour une vente en version papier et 3,30$ pour la version électronique. Apple de son côté demande à obtenir les livres pour 9$ et propose des paliers de vente aux clients de 12,99$ et 14,99$.
Murdoch s'émeut que l'économie réalisée sur la vente d'un livre électronique, débarrassé des coûts d'impression, de distribution, de mise en rayon, et autres frais associés au support papier, aille dans les poches d'Apple au lieu de celles de l'éditeur et de l'auteur.
HarperCollins veut plus de liberté pour occasionnellement fixer le prix des livres en dehors des paliers établis dans le contrat avec Apple, en le décidant au cas par cas. Et s'il y a un désaccord tarifaire sur un ouvrage - dans l'hypothèse où l'éditeur veut vendre le livre à un prix plus élevé et qu'Apple refuse - qu'HarperCollins soit autorisé à se tourner vers d'autres plateformes. Apple pour sa part souhaite que les éditeurs ne proposent pas de prix différents chez les distributeurs concurrents.
S'agissant des 30% prélevés par Apple, HarperCollins redoute que les auteurs, devant la proportion de cette ponction, demandent à décaler la sortie du format électronique par rapport au papier. Murdoch propose donc que sur les six premiers mois de publication, Apple ne prélève que 10% sur le format numérique.
Le PDG conclut en insistant bien que News Corp, à travers toutes ses filiales (TV, cinéma, livre et journaux), souhaite travailler avec Apple, mais qu'il parle au nom de ses partenaires qui produisent ces contenus. Il laisse planer aussi le spectre d'un délai pour finaliser l'accord « J'espère que nous pourrons trouver une solution, peut-être pas maintenant et dans les temps pour votre lancement, mais plus tard dans tous les cas ».
Steve Jobs répond le jour même et commence à attaquer les différentes positions de James Murdoch, en lui faisant part de « quelques considérations » et en concluant que si l'on veut vraiment développer l'activité du livre électronique il serait judicieux de se ranger aussi aux côtés d'Apple.
James Murdoch répond le samedi en réduisant essentiellement le nombre de points de contentieux à la clause voulue par Apple qu'un éditeur sur l'iBookstore ne puisse vendre ses livres ailleurs à d'autres tarifs.
Murdoch explique que c'est moins la fourchette de prix proposée par Apple qui gêne HarperCollins que les conditions de présence et d'affichage de prix différents sur d'autres plateformes. Il ajoute ensuite que News Corp est engagé dans quatre négociations différentes avec Apple, pour d'autres contenus du groupe. Mais à chaque fois, ses équipes ont fait face à une position du type "c'est à prendre ou à laisser" de la part d'Apple, empêchant une signature. Il s'enquiert alors auprès de Jobs de la possibilité de voir tout ou parties de ces discussions trouver une issue favorable dans les tout prochains mois.
Steve Jobs répond le dimanche et il ne cède sur rien.
Le mercredi suivant, HarperCollins figurait parmi les 5 des 6 grands éditeurs américains derrière Apple. Depuis, en Europe, le contrat liant Apple et les éditeurs a été cassé par Bruxelles. Aux États-Unis le procès intenté par le Département de la Justice s'ouvre le 3 juin (lire Prix des eBooks : la juge peu convaincue des chances d'Apple).
James Murdoch, fils cadet de Rupert, négociait avec le patron d'Apple la participation de la maison d'édition HarperCollins à l'iBookstore. HarperCollins est l'une des divisions de l'empire News Corp (Fox TV, 20th Century Fox, National Geographic, The Wall Street Journal, etc. pour ne citer que les plus connus).
L'échange par mail a lieu sur trois jours, à partir du 22 janvier 2010. L'iPad sera annoncé le 27, le temps presse et Apple veut compter sur le catalogue de cet important éditeur. Les deux hommes conversent sur un ton amical, mais chacun défend ses positions alors qu'il s'agit de conclure un round de discussions qui a déjà eu lieu entre leurs lieutenants. Au final, c'est le patron d'Apple qui l'emporte, sans avoir reculé d'un pas. On voit au passage à quel point certaines négociations peuvent se dérouler jusqu'à l'extreme limite du temps encore disponible avant l'annonce d'un produit majeur.
James Murdoch
Apple avait déjà signé avec les éditeurs Penguin et Simon & Schuster. Ils avaient convenu qu'un nouveau livre au format électronique serait vendu en général 12,99$. Un prix de 3$ supérieur à celui pratiqué par Amazon pour ses Kindle et sur lequel Apple prélèverait ses 30% habituels.
Les demandes d'Apple inquiétaient HarperCollins, James Murdoch s'en fait l'écho dans un mail envoyé à Steve Jobs le vendredi 22 janvier. Murdoch est complètement disposé à travailler avec Apple, mais certaines clauses ne collent pas de son point de vue et celui de ses équipes.
Il explique qu'Amazon paye à HarperCollins un prix de gros de 13$ pour un ouvrage. Amazon revend ensuite ce livre 9,99$ aux utilisateurs de Kindle. L'auteur touche 4,20$ pour une vente en version papier et 3,30$ pour la version électronique. Apple de son côté demande à obtenir les livres pour 9$ et propose des paliers de vente aux clients de 12,99$ et 14,99$.
Murdoch s'émeut que l'économie réalisée sur la vente d'un livre électronique, débarrassé des coûts d'impression, de distribution, de mise en rayon, et autres frais associés au support papier, aille dans les poches d'Apple au lieu de celles de l'éditeur et de l'auteur.
HarperCollins veut plus de liberté pour occasionnellement fixer le prix des livres en dehors des paliers établis dans le contrat avec Apple, en le décidant au cas par cas. Et s'il y a un désaccord tarifaire sur un ouvrage - dans l'hypothèse où l'éditeur veut vendre le livre à un prix plus élevé et qu'Apple refuse - qu'HarperCollins soit autorisé à se tourner vers d'autres plateformes. Apple pour sa part souhaite que les éditeurs ne proposent pas de prix différents chez les distributeurs concurrents.
S'agissant des 30% prélevés par Apple, HarperCollins redoute que les auteurs, devant la proportion de cette ponction, demandent à décaler la sortie du format électronique par rapport au papier. Murdoch propose donc que sur les six premiers mois de publication, Apple ne prélève que 10% sur le format numérique.
Le PDG conclut en insistant bien que News Corp, à travers toutes ses filiales (TV, cinéma, livre et journaux), souhaite travailler avec Apple, mais qu'il parle au nom de ses partenaires qui produisent ces contenus. Il laisse planer aussi le spectre d'un délai pour finaliser l'accord « J'espère que nous pourrons trouver une solution, peut-être pas maintenant et dans les temps pour votre lancement, mais plus tard dans tous les cas ».
Steve Jobs répond le jour même et commence à attaquer les différentes positions de James Murdoch, en lui faisant part de « quelques considérations » et en concluant que si l'on veut vraiment développer l'activité du livre électronique il serait judicieux de se ranger aussi aux côtés d'Apple.
« 1. Le modèle économique actuel de sociétés comme Amazon qui distribuent des livres électroniques à perte ou sans dégager un profit raisonnable n'est pas tenable longtemps. Au fur et à mesure que les e-books deviendront une activité importante, les distributeurs devront au moins dégager un petit bénéfice, et ce sera dans votre intérêt à vous aussi, qu'ils investissent pour préparer l'avenir de ce secteur, dans son infrastructure, le marketing, etc.
2. Tous les grands éditeurs nous disent, que le prix de 9,99$ d'Amazon pour les dernières sorties dégrade la valeur de leurs produits dans l'esprit des clients, et qu'ils ne veulent pas que cette pratique se poursuive pour les nouveaux titres.
3. Apple propose de rendre aux clients et non de récupérer à son profit les gains économiques procurés par la vente d'un livre débarrassé de ses coûts de matières premières, de distribution, de mise au pilon, de coût du capital, de dettes irrécupérables, etc. C'est pour cela qu'une nouvelle sortie serait fixée au prix de 12,99$, par exemple, au lieu de 16,99$ ou plus. Apple ne cherche pas à gagner au-delà de la mince marge de profit qu'elle dégage de la distribution de musique, de films, etc.
4. 9$ pour chaque nouvelle sortie devrait représenter un modèle économique avec une marge brute neutre pour les éditeurs. Nous ne leur demandons pas de gagner moins d'argent. Pour ce qui est des auteurs, leur donner le même montant de royalties qu'aujourd'hui, et laisser à l'éditeur les mêmes gains est aussi simple que de leur envoyer à tous une lettre leur disant que vous leur versez un pourcentage plus élevé pour les ebooks. Il ne s'en plaindront pas.
5. Les analystes estiment qu'Amazon a vendu un peu plus d'un million de Kindle en un peu plus de 18 mois (Amazon n'a jamais communiqué à ce sujet). Dans les toutes premières semaines de commercialisation, nous allons vendre bien plus de nos nouveaux appareils qu'il ne s'est vendu de Kindle. Si vous restez uniquement avec Amazon, Sony, etc., vous allez certainement laisser passer la révolution des e-books auprès du grand public.
[Apple a vendu 1 million d'iPad en 28 jours et 3 millions en 80 jours après une première disponibilité dans 10 pays, ndlr].
6. Les clients vont vouloir une solution de A de Z, ce qui signifie une librairie en ligne qui propose les livres, qui gère les transactions avec leurs cartes de crédit et qui les transfèrent simplement sur leurs appareils. À ce jour, il n'y a que deux sociétés qui ont fait leurs preuves sur Internet sur des transactions importantes en volumes, Apple et Amazon. L'iTunes Store et l'App Store d'Apple ont plus de 120 millions de clients avec des cartes de crédit enregistrées et ils ont téléchargé plus de 12 milliards d'articles. C'est ce type d'actifs en ligne qui seront nécessaires pour faire grossir le marché des e-books dans des proportions suffisamment importantes pour intéresser les éditeurs.
Donc, oui, obtenir environ 9$ pour chaque nouvelle sortie est moins que les 12,50$ et quelques que paie Amazon aujourd'hui. Mais la situation actuelle n'est pas durable et ce n'est pas une fondation suffisamment stable pour bâtir un marché du livre électronique.
[Une partie de cet e-mail a été censurée par la Cour.]
Apple est la seule autre entreprise actuellement en mesure d'avoir un impact significatif, et nous avons 4 des 6 grands éditeurs qui ont déjà signé. Une fois que nous ouvrirons les portes au second groupe d'éditeurs, nous aurons déjà beaucoup de livres à proposer. Nous aimerions beaucoup avoir HC parmi eux.
Merci de m'avoir écouté.
Steve »
James Murdoch répond le samedi en réduisant essentiellement le nombre de points de contentieux à la clause voulue par Apple qu'un éditeur sur l'iBookstore ne puisse vendre ses livres ailleurs à d'autres tarifs.
« Je pense que le coeur du problème réside dans la flexibilité qui nous serait offerte de proposer des produits ailleurs, à des tarifs qui ne vous conviennent pas. Si nous pouvions vous assurer qu'un certain pourcentage des sorties (supérieur à 50%) serait disponible dans votre fourchette de prix (inférieur ou égal à 14,99$) est-ce cela vous conviendrait ? »
Murdoch explique que c'est moins la fourchette de prix proposée par Apple qui gêne HarperCollins que les conditions de présence et d'affichage de prix différents sur d'autres plateformes. Il ajoute ensuite que News Corp est engagé dans quatre négociations différentes avec Apple, pour d'autres contenus du groupe. Mais à chaque fois, ses équipes ont fait face à une position du type "c'est à prendre ou à laisser" de la part d'Apple, empêchant une signature. Il s'enquiert alors auprès de Jobs de la possibilité de voir tout ou parties de ces discussions trouver une issue favorable dans les tout prochains mois.
« Il est clair qu'Apple est déjà une plateforme intéressante pour beaucoup de nos clients - partout dans le monde. Étant une entreprise de création à la base, News Corp devrait travailler davantage avec Apple et je pense qu'Apple pourrait travailler plus avec nous, de manière globale, que ce n'est le cas aujourd'hui ».
Steve Jobs répond le dimanche et il ne cède sur rien.
« Notre proposition fixe la limite supérieure pour le prix de vente au détail d'e-book, en se basant sur le prix de la version papier de chaque livre. La raison pour laquelle nous faisons ainsi c'est qu'avec notre expérience de la vente d'une grande quantité de contenus en ligne, nous pensons simplement que le marché de l'e-book ne peut pas marcher au delà de 12,99$ ou 14,99$.
Mais bon, Amazon vend ces livres à 9,99$, et qui sait, peut-être qu'ils ont raison et nous échouerons même à 12,99$. Mais nous sommes prêts à essayer avec les prix que nous avons proposés. Nous ne sommes pas disposés à le faire avec des prix plus élevés parce que nous sommes sûrs de courir à l'échec.
Tel que je le vois, HarperCollins peut considérer les choix suivants :
1. Signez avec Apple et on verra si l'on peut tous ensemble créer un véritable marché des e-books à 12,99$ et 14,99$.
2. Continuez avec Amazon à 9,99$. Vous ferez un peu plus d'argent à court terme, mais à moyen terme, Amazon vous dira qu'il veut vous payer 70% de 9,99$. Ils ont aussi des actionnaires.
3. Retirez vos livres d'Amazon. Si les clients n'ont pas la possibilité d'acheter vos e-books ils les voleront. Ce sera le début du piratage et une fois que ça commence ça ne s'arrête plus. Croyez-moi, j'ai vu cela de mes propres yeux.
Peut-être que j'oublie quelque chose, mais je ne vois pas d'autres alternatives. Et vous ? »
Le mercredi suivant, HarperCollins figurait parmi les 5 des 6 grands éditeurs américains derrière Apple. Depuis, en Europe, le contrat liant Apple et les éditeurs a été cassé par Bruxelles. Aux États-Unis le procès intenté par le Département de la Justice s'ouvre le 3 juin (lire Prix des eBooks : la juge peu convaincue des chances d'Apple).