Tim Cook a répondu aujourd'hui aux questions du sous-comité du Sénat américain qui s'intéresse aux pratiques fiscales d'entreprises américaines et de leur niveau d'imposition. En septembre dernier, des cadres supérieurs d'HP et de Microsoft avaient été invités à témoigner sur le même sujet, cette fois c'est le patron d'Apple qui a jugé bon de se déplacer pour monter au créneau et dire sa vérité (lire aussi Optimisation fiscale : quand Apple se fait plus vertueuse qu’elle ne l’est vraiment). Il était accompagné de son directeur financier Peter Oppenheimer et de Philip Bullock, son chef des opérations fiscales.
Cette audition a vu témoigner également des professeurs d'université spécialisés sur ces questions et des représentants du fisc et du Trésor américain. Ceux-ci n'ont pas fait état d'infractions de la part d'Apple, jugeant qu'elle restait dans les bornes de la légalité. Mais l'un d'eux a déclaré qu'il était quasiment tombé de sa chaise lorsqu'il avait lu qu'Apple contestait l'utilisation de techniques d'optimisation fiscale.
Le président de ce sous-comité, le sénateur Levin (démocrate) et son homologue, le sénateur McCain (républicain), ont chacun rendu hommage à la success-story d'Apple et à ses produits, avant d'entrer le vif des débats. Cette audition a été l'occasion de voir deux positions s'affronter au sein du camp politique. Le sénateur Libertarien du Tea Party, Rand Paul, s'est montré outré et a fustigé la tenue de cette audition.
« Citez-moi un homme politique parmi ceux qui sont ici qui ne cherche pas à minimiser ses impôts… Dites-moi ce qu'Apple a fait d'illégal. Je suis offensé par un gouvernement… qui convoque une audience pour intimider l'une des plus grandes réussites de l'Amérique… Si quelqu'un doit être jugé ici, c'est le Congrès. Je pense franchement que le comité devrait présenter des excuses à Apple. Plutôt que les dirigeants d'Apple, nous aurions dû faire venir un miroir géant. Ce problème est uniquement et entièrement causé par notre code des impôts. Ce comité devrait se regarder dans le miroir. Je trouve cela abominable. Nous devons des excuses à Apple, les féliciter pour leurs créations d'emplois, et se concentrer sur notre travail et revoir la législation fiscale »
Une réaction qui a exaspéré le sénateur Levin, qui a rappelé que personne n'avait forcé Apple à venir s'exprimer.
Les sénateurs Levin et McCain
Tim Cook a réitéré l'apport d'Apple en matière d'emplois et indiqué que la fameuse ligne de Mac "Made in the USA" serait produite au Texas et certains de ses composants, ailleurs aux États-Unis. Le PDG d'Apple a contesté l'idée selon laquelle sa présence en Irlande n'avait comme seul objet que d'y transférer des bénéfices afin d'y être taxés plus légèrement. Cook a expliqué qu'il s'y déroulait une activité commerciale réelle et qu'Apple non seulement respectait la loi, mais aussi son esprit. Il a néanmoins convenu que dans d'autres pays que les États-Unis, Apple profitait d'une imposition plus clémente.
« Nous ne transférons pas une propriété intellectuelle à l'étranger pour l'utiliser afin de vendre ensuite des produits aux États-Unis (auquel cas les bénéfices ne sont pas imposés aux États-Unis. Microsoft a été accusée d'utiliser une technique similaire par le même comité, ndlr). Nos filiales comptent pour 70% de notre cash du fait de la rapidité de notre croissance à l'international. Nous utilisons cet argent pour financer la construction d'Apple Store à travers le monde ainsi que la fabrication de nos appareils. Il serait extrêmement coûteux de rapatrier cet argent aux États-Unis. Malheureusement, le code des impôts ne s'est pas adapté à l'industrie numérique. Nous sommes pénalisés dans nos relations avec nos concurrents étrangers qui ne connaissent pas ces contraintes dans la libre circulation de leur capital »
Un exemple parmi d'autres donné en préambule de l'audition de Microsoft et d'HP en septembre. Deux filiales de Microsoft ont collecté pour 12 milliards de royalties sur la propriété intellectuelle du groupe, à travers des ventes de produits qui utilisent ces brevets, mais seulement 4 milliards ont été retournés aux États unis où plus de 85% de la R&D est pourtant effectuée. 8 milliards restent ainsi loin des poches du fisc américain
La sénatrice McCaskill s'est faite l'avocate du diable et a demandé pourquoi Apple ne déménageait pas son siège social sous des cieux fiscaux plus cléments, en quittant les États-Unis. Si cela avait trait à des questions de coûts pour engager un tel déménagement.
« Nous sommes une entreprise américaine. Nous en sommes fiers. L'essentiel de notre R&D est en Californie. Nous nous y plaisons énormément » a répondu Tim Cook, puis de compléter lorsqu'il lui a été demandé si cette position était intangible « Cela a à voir avec qui nous sommes en tant que personnes. Nous sommes une entreprise américaine, que nous vendions en Chine ou en Égypte. Nous sommes une entreprise américaine. Il ne m'a jamais effleuré que nous puissions nous en aller dans un autre pays. Cela défie mon imagination et j'ai une sacrée imagination. Cela irait encore au-delà ».
Le sénateur McCain a fait remarquer qu'Apple, par cette utilisation de sa filiale irlandaise, profitait d'un avantage sur de plus petites entreprises opérant uniquement sur le sol américain.
« Je suis d'accord avec vous sur le fait que cette imposition de 35% est nettement trop élevée, vous dites que l'objectif de la filiale irlandaise est d'atténuer cette charge administrative. N'est-il pas évident que vous ne supportez pas le même fardeau fiscal que s'il devait s'appliquer aux États-Unis. Cela vous donne un avantage sur de plus petites entreprises basées uniquement aux États-Unis ? »
Tim Cook a contesté cette analyse :
« Monsieur, j'ai énormément de respect pour vous. Je vois les choses d'une manière différente. Apple génère ces bénéfices en dehors des États-Unis. De par la loi et les règles, elles ne sont pas imposables ici. AOI (Apple Operations International, ndlr) investit cet argent à l'étranger et les intérêts de ces investissements sont imposés aux États-Unis. Je vois cela comme un sujet très complexe et je suis heureux que nous ayons cette discussion. Honnêtement, je ne trouve pas cela inéquitable. Je ne suis pas quelqu'un d'injuste. Ce n'est pas ce que nous sommes en tant qu'entreprise ni ce que je suis en tant qu'individu. Je ne vois pas les choses ainsi. »
Les sénateurs ont également souligné que le fonctionnement propre à la filiale installée en Irlande, initié en 1980 et reconduit en 2008, n'avait pas d'équivalent pour d'autres pays. Ainsi, les ventes faites au Canada ou en Amérique du sud sont imposées aux États-Unis. Apple a ainsi sciemment choisi de ne pas rapatrier l'argent dégagé des opérations menées ailleurs dans le monde depuis l'Irlande, alors que 95% de la R&D qui intègre les produits vendus est réalisée sur le sol américain.
Le PDG d'Apple a milité pour une simplification du code des impôts « Apple a toujours cru dans la simplicité, pas la complexité ». Quitte à ce que cela entraîne une augmentation de sa charge fiscale. Apple aimerait voir ces 35% d'imposition ramené à environ une vingtaine de pourcents et que la taxation des bénéfices réalisés à l'étranger et ramenés aux États-Unis soit faite avec un pourcentage à un chiffre.
Tim Cook s'est ensuite félicité que cette R&D soit faite aux États-Unis et que tous les bénéfices dégagés aux États-Unis y soient également taxés.
Le sénateur Levin lui a répondu et a conclu les débats dans le même mouvement :
« Je sais cela. Et tous les bénéfices du Mexique et du Canada et de l'Argentine sont imposés aux États-Unis. Mais vous avez pris la décision de transférer la valeur économique à l'étranger et le résultat est que la plupart de vos bénéfices ne sont pas imposés. Vous êtes une entreprise américaine. Vous en êtes fiers, nous en sommes fiers. Le résultat de ces arrangements est que la plupart de vos profits sont maintenant en Irlande, dans ces sociétés qui n'existent pas. Bien sûr, nous devons changer ce système. Mais pour le changer, nous devons comprendre ce qui se passe. Ce qui se passe, c'est une énorme perte de revenus aux États-Unis.
Nous avons ces sociétés qui sont en mesure de transférer leurs bénéfices dans des endroits où vous ne payez pas d'impôt sur le revenu. Il est de notre intérêt de bien le comprendre si nous devons y remédier. C'est notre but aujourd'hui. Pour apporter un éclairage sur ce point. J'espère que cet objectif a été atteint. Nous ne pouvons faire perdurer un système où une entreprise, une multinationale, qui connaît une réussite aussi phénoménale que la vôtre peut prendre une décision, comme en 2008, pour choisir où iront ses profits.
Lorsque la R&D est à 95% aux États-Unis, vous avez des crédits d'impôt sur la R&D, vous avez tous les avantages à vivre dans ce pays. Et vous êtes là à décider unilatéralement de poursuivre ou non un système où les profits sont déplacés vers un endroit où ils sont hors de portée du fisc américain.
Tout le monde est d'accord que nous devons changer ce système. Afin de nous permettre de le faire, nous devons comprendre ce qui se passe. Vous prenez une décision unilatérale, trois employés d'Apple en 2008, ont pour l'essentiel décidé où ces profits seraient taxés ou non taxés. Ce n'est pas juste. Ce n'est pas juste. […] Il est important pour nous d'écrire les lois. Vous êtes d'accord M. Cook sur le fait que nous devons réécrire ces lois. Je vous remercie d'être venus. »
Dans une analyse d'après audition, le Financial Times a constaté qu'Apple n'avait pu esquiver le fait qu'elle utilise bien des montages assez sophistiqués qui l'amènent à payer moins d'impôts aux États-Unis, mais aussi à l'étranger.
Pour autant, le quotidien juge que le patron d'Apple a réussi son coup, en n'apparaissant ni sur la défensive, ni hésitant. Alors que ce genre d'oral, même s'il n'a rien d'un procès, dans le sens judiciaire du terme, peut être à haut risque en terme d'image. Au contraire, Cook a fait montre de sa bonne volonté, estime le journal, lorsqu'il a suggéré qu'Apple était disposée à payer plus d'impôts en échange d'une législation plus simple lui permettant de rapatrier son trésor de l'étranger.
Sur une note plus humoristique, quelques minutes avant la fin, le sénateur McCain a demandé à Cook pourquoi diable les utilisateurs d'iPhone comme lui passaient leur temps à mettre à jour leurs applications, et pourquoi Apple n'y changeait rien « Nous essayons toujours de faire mieux » a répondu Tim Cook en riant.
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crédit photo : The Financial Times