Morceau de bravoure de près de quatre heures, le keynote d’ouverture de la Google I/O 2013 était exceptionnel par sa durée, mais aussi par son contenu. Pour la première fois, la firme de Mountain View y a exposé une vision cohérente de l’informatique mue par des produits liés entre eux, le fameux « One Google » rêvé par Larry Page. Un Google au centre d’une révolution de l’informatique, qui n’est plus une machine manipulée par l’utilisateur, mais une intelligence ambiante à son service.
Une identité numérique
On s’est beaucoup moqué de Google+, le « réseau social fantôme », mais à force de l’intégrer au chausse-pied dans ses produits, Google l’a transformé en un véritable système d’identité numérique. La firme de Mountain View l’avait déjà rendu indispensable pour associer contenus et auteurs sur le web, il est maintenant un système d’authentification unique qui permet de se connecter à des sites, des apps et tous les services de Google.
L’association des contenus à leurs auteurs passe par Google+.
« Vous pourrez toujours choisir d'utiliser Google de manière anonyme », assurait Eric Schmidt en 2012, « mais je pense que la majorité des utilisateurs préférera être connecté, afin que nous sachions le plus de choses possibles et que nous puissions ainsi personnaliser les résultats. » C’est ce que permet Google+ bien plus que ne le permettaient les simples comptes Google : il lie des personnes et non des pseudonymes, des personnes qui nourrissent la machine de lien en lien, de partage en partage, de connexion en connexion.
La finesse des réponses apportées par Google n’en est qu’améliorée, d’autant qu’il peut désormais puiser non seulement dans le web, mais aussi dans vos contenus personnels. La finesse du ciblage des publicités, qui représente 97 à 98 % du chiffre d'affaires de Google, en profite aussi. Tant pis si, au passage, l’effet-bulle est accentué : pour découvrir de nouvelles opinions et de nouvelles connaissances, Larry Page vous renvoie… aux livres.
L’informatique au service de l’utilisateur
Des livres que vous pourrez lire sur le temps dégagé par les services de Google, devenus de parfaits assistants. Dans quelques mois, Hangouts regroupera tous les canaux de communication sur iOS, Android et le web : SMS, messagerie instantanée, appels audio, appels vidéo. Le nouveau Maps regroupe quant à lui tous les services de localisation de Google, là encore sur iOS, Android et le web : cartes, itinéraires, recommandations locales, Zagat, Google Earth.
Dans les trois cas, l’objectif est de vous faire utiliser plus simplement les services, et donc de vous les faire utiliser davantage. La même logique s’applique à la nouvelle « non-interface » de Google Search : il n’y a même plus besoin de cliquer et de taper, il suffit de parler. Ce n’est plus seulement un moteur de recherche, mais aussi un moteur de recommandations et un assistant personnel, capable de noter vos rappels, d’envoyer des mails ou de chercher dans vos contenus Google+ — autrement dit Google Search est en train de disparaître pour devenir le moteur de tous les produits de Google.
L’informatique pour devancer les désirs de l’utilisateur
En tant que régie publicitaire, la firme de Mountain View doit aller encore plus loin : elle doit aller vers l’utilisateur, et provoquer l’acte d’achat en devançant ses besoins. Alors que Siri est un assistant passif, Google Now est un assistant actif qui vous alterte si vous risquez de rater votre avion, mais qui attire aussi votre attention sur les points d’intérêt à proximité, un service qui peut se monnayer.
Google Play Music All Access n’est pas seulement un concurrent de Spotify, c’est aussi l’occasion pour Google de mieux comprendre les goûts musicaux de ses utilisateurs et là encore de pouvoir devancer leurs besoins en matière de recommandation. Google+ ne se contente plus d’importer vos photos, il les classe et les retouche à votre place, libérant ainsi du « temps de cerveau disponible ».
Google, le centre du monde
Cynisme mis à part, cet ensemble est extraordinairement cohérent : Google se place en fournisseur incontournable de services utiles sans qu’on ait même à les manipuler. Google supprime vos rides sur les photos Google+ et altère au passage la réalité, mais Google voudrait même redéfinir la réalité. Lorsque Larry Page milite pour qu’« une partie du monde » soit « mise de côté » pour devenir un terrain d’expérimentation sans régulation, on l’entend presque développer une société googlisée qui sortira en bêta et sera améliorée par des mises à jour progressives.
Encore handicapé par ses cordes vocales fragiles, Larry Page est monté sur scène pour présenter sa vision du monde. Un monde où Google est incontournable.
Le seul obstacle à cette vision du monde dont on ne sait si elle relève de l’utopie ou de la dystopie ? C’est peut-être Apple, cible de toutes les attaques de Google. Ce nouveau monde ne pourra être construit sans les développeurs que la firme de Cupertino arrose de milliards de dollars, alors Google les brosse dans le sens du poil en leur accordant ce qu’ils ont toujours demandé à Apple. Ce nouveau monde sera peuplé par une nouvelle génération, alors Google va chasser Apple sur son terrain favori, celui de l’éducation où sont formés les citoyens-consommateurs de demain. Ce nouveau monde ne saurait tolérer des éléments parasites, alors Google abandonne un nouveau protocole ouvert, en l’espèce XMPP.
Le grand dessein de Larry Page est désormais en marche, celui d’un monde plus connecté. Mais d’abord et avant tout connecté à Google.