L’explosion de la téléphonie mobile et de l’Internet sur smartphone dans les pays émergents est porteuse de promesses sans bornes. Celles de volumes de vente considérables. Mais pas au prix actuel de l’iPhone. Volumes ou marges ? C’est le choix cornélien auquel est aujourd’hui confronté Apple. Un choix en forme de révolution culturelle pour la marque.
L’iPhone est arrivé en Inde fin août 2008, dans sa version 3G. La presse locale avait suivi attentivement l’événement. L’appareil était très attendu et, bien avant son lancement officiel, des iPhone de première génération, importés des États-Unis et désimlockés, pouvaient déjà être croisés à la terrasse de cafés branchés de New Delhi. Mais la passion de quelques Indiens aisés n’a pas suffi à assurer le succès de ce lancement. On peut le comprendre sans mal. Le smartphone d’Apple a été lancé à un prix bien au-delà des moyens de la grande majorité des Indiens : environ 480 euros alors que l’iPhone de première génération se négociait, au marché noir, moitié prix. Un tarif encore élevé dans un pays où, pour 20 euros, on peut s’assurer les services d’un taxi pour la journée.
Mais qui peut faire l’impasse sur un marché aussi considérable que celui de l’Inde ? Le pays comptait 864,72 millions d’utilisateurs du téléphone mobile au 31 décembre dernier. Et cela ne représente pas encore 71 % de taux de pénétration... Mais, par rapport aux économies développées, le potentiel est d’autant plus grand que les lignes fixes sont en nombre limité et souvent de piètre qualité : le régulateur indien comptait seulement 31 millions de lignes fixes d’abonnés à la fin 2012. Soit 2,52 % de taux de pénétration. Dans ce contexte, il semble évident que la consommation d’Internet se fera par le téléphone mobile, et le smartphone à terme, pour peu qu’il soit suffisamment accessible. Et avec lui, les applications... Selon IDC, le marché indien des smartphones devrait progresser suivant un facteur de plus de 5 d’ici à 2016 pour flirter avec les 110 millions d’unités.
Réinventer la subvention du terminal
Las, le modèle de subvention du terminal, à la française, qui aurait le mérite de le rendre très accessible, semble difficilement applicable à l’Inde. Vodafone et Airtel s’y sont refusés pour le lancement de l’iPhone 3G. Et à raison : dans le sous-continent, la majeure partie des consommateurs de téléphonie mobile ont recours à des formules prépayées. Une façon de maîtriser la facture, mais aussi de jongler entre opérateurs. Une infidélité chronique illustrée par les près de trois millions de demandes de portabilité du numéro enregistrées par le régulateur indien pour le seul mois de décembre 2012.
Alors Apple a trouvé des alternatives, comme un crédit gratuit. L’iPhone 5 est arrivé en Inde début mars, à partir de 45 500 roupies, soit environ 640 euros. Les iPhone 4 et 4S se trouvent encore sur le marché, autour de 370 euros pour le premier, et de 500 euros pour le second. Trop cher, encore, pour le marché indien. Comme le relève Reuters, l’iPhone 5 est aussi proposé par des distributeurs à partir de 70 euros environ par mois. Ce qui le rend bien plus accessible à la classe moyenne locale. Selon nos confrères, qui citent le cabinet d’analystes Canalys, Apple a réussi à écouler 250 000 iPhone dans le sous-continent entre octobre et décembre 2012, contre 90 000 au même trimestre l’année précédente. L’effet d’une distribution renforcée et, surtout, bien plus agressive que par le passé. Et Reuters de citer en exemple The MobileStore, chaîne du groupe Essar, qui vend 15 % des iPhone en Inde et dont les ventes ont triplé entre décembre et janvier, après le lancement d’une offre de paiement à crédit. IDC estimait récemment que les ventes d’iPhone explosaient en Inde.
Des ambitions renouvelées
Mais ces efforts s’inscrivent surtout dans une stratégie plus vaste de conquête du marché indien. En 2012 encore, Tim Cook expliquait que « le mille-feuille de la distribution en Inde augmente réellement le coût de commercialisation des produits ». Récemment, Apple s’est associé à Ingram Micro et à Redington pour améliorer sa présence commerciale dans le pays, et y a même lancé son hobby, l’Apple TV. La perspective d’une implantation directe avec l’ouverture de boutiques à l’effigie de la marque semble toutefois encore lointaine. Les perspectives pouvaient sembler s’améliorer, début 2012, avec les projets du gouvernement indien d’ouverture plus large du commerce de détail aux investissements directs étrangers. Une ouverture qui permettrait à une enseigne mono-marque d’être propriétaire à 100 % de ses investissements locaux... à condition de recourir à des producteurs locaux pour 30 % au moins de ses approvisionnements. Rédhibitoire, semble-t-il. Et les ambitions d’Apple dans la région pourraient bien continuer d’être contrariées encore longtemps : le leader du parti d’opposition BJP Arun Jaitley a encore déclaré, il y a quelques jours, qu’il s’opposerait « jusqu’à son dernier souffle » aux investissements directs étrangers dans le commerce de détail. Des investissements qui, selon lui, « ne sont pas favorables aux consommateurs, aux fermiers, aux négociants, aux fabricants et au pays. » Il apparaît en tout cas évident que l’arrivée massive de grandes enseignes s’apparenterait à un cataclysme majeur dans un pays où le commerce de détail est marqué par sa fragmentation et par la profusion de micro-échoppes.
Une concurrence acharnée
Selon IDC, Apple disposait d’une part de marché de seulement 1,2 % en Inde à la fin du premier semestre 2012. Contre 51 % pour Samsung. À l’automne dernier, certains estimaient que le coréen pourrait finir l’année avec une part de marché de rien moins que 60 %. Nokia domine quant à lui le marché des téléphones mobiles conventionnels, les feature phones, avec 94 % de part de marché. Et il semble bien décidé à profiter de cette assise pour avancer ses pions sur le marché local des smartphones. BlackBerry n’est pas en reste : il vient de lancer son Z10 en Inde à un peu moins de 44 000 roupies (625 €). Quant à Samsung, face à l’offensive commerciale d’Apple, le coréen a réagi en lançant à son tour une offre de paiement échelonné.
Mais pour l’heure, les efforts d’Apple semblent payer, si l’on en croît les derniers chiffres du cabinet IDC. En valeur, la firme aurait ainsi réussi à capter 15,6 % des ventes de smartphones en Inde au dernier trimestre 2012. Interrogé par CNN, Venu Reddy, directeur de recherche chez IDC, relève qu’Apple « est devenu le numéro deux en Inde. Et cela signifie qu’il a réalisé une transformation significative de son positionnement. » Une réussite largement attribuée à l’évolution de la stratégie de distribution du constructeur dans le pays. Samsung n’en conserve pas moins la première place, avec 38,8 % de part de marché.
Un low-cost pas assez cheap ?
Pas sûr en revanche que le supposé iPhone «low-cost» permette de changer radicalement la donne. Compte tenu des tensions sur les marchés des composants, on imagine mal qu’Apple parvienne à radicalement faire chuter ses tarifs pour convertir des acheteurs de feature phones. Et pas sûr non plus que la classe moyenne indienne s’intéresse à autre chose qu’à un véritable iPhone, ne serait-ce que pour des questions d’image. La classe moyenne indienne veut profiter de ce que l’Occident a à offrir, et pas au rabais. Une aspiration qui se traduit par exemple par des appartements vides la journée, mais où la climatisation continue de fonctionner sans relâche. Ce qui ne va pas sans compliquer lourdement la tâche des écologistes locaux.
© Valéry Marchive
L’iPhone est arrivé en Inde fin août 2008, dans sa version 3G. La presse locale avait suivi attentivement l’événement. L’appareil était très attendu et, bien avant son lancement officiel, des iPhone de première génération, importés des États-Unis et désimlockés, pouvaient déjà être croisés à la terrasse de cafés branchés de New Delhi. Mais la passion de quelques Indiens aisés n’a pas suffi à assurer le succès de ce lancement. On peut le comprendre sans mal. Le smartphone d’Apple a été lancé à un prix bien au-delà des moyens de la grande majorité des Indiens : environ 480 euros alors que l’iPhone de première génération se négociait, au marché noir, moitié prix. Un tarif encore élevé dans un pays où, pour 20 euros, on peut s’assurer les services d’un taxi pour la journée.
Mais qui peut faire l’impasse sur un marché aussi considérable que celui de l’Inde ? Le pays comptait 864,72 millions d’utilisateurs du téléphone mobile au 31 décembre dernier. Et cela ne représente pas encore 71 % de taux de pénétration... Mais, par rapport aux économies développées, le potentiel est d’autant plus grand que les lignes fixes sont en nombre limité et souvent de piètre qualité : le régulateur indien comptait seulement 31 millions de lignes fixes d’abonnés à la fin 2012. Soit 2,52 % de taux de pénétration. Dans ce contexte, il semble évident que la consommation d’Internet se fera par le téléphone mobile, et le smartphone à terme, pour peu qu’il soit suffisamment accessible. Et avec lui, les applications... Selon IDC, le marché indien des smartphones devrait progresser suivant un facteur de plus de 5 d’ici à 2016 pour flirter avec les 110 millions d’unités.
Réinventer la subvention du terminal
Las, le modèle de subvention du terminal, à la française, qui aurait le mérite de le rendre très accessible, semble difficilement applicable à l’Inde. Vodafone et Airtel s’y sont refusés pour le lancement de l’iPhone 3G. Et à raison : dans le sous-continent, la majeure partie des consommateurs de téléphonie mobile ont recours à des formules prépayées. Une façon de maîtriser la facture, mais aussi de jongler entre opérateurs. Une infidélité chronique illustrée par les près de trois millions de demandes de portabilité du numéro enregistrées par le régulateur indien pour le seul mois de décembre 2012.
Alors Apple a trouvé des alternatives, comme un crédit gratuit. L’iPhone 5 est arrivé en Inde début mars, à partir de 45 500 roupies, soit environ 640 euros. Les iPhone 4 et 4S se trouvent encore sur le marché, autour de 370 euros pour le premier, et de 500 euros pour le second. Trop cher, encore, pour le marché indien. Comme le relève Reuters, l’iPhone 5 est aussi proposé par des distributeurs à partir de 70 euros environ par mois. Ce qui le rend bien plus accessible à la classe moyenne locale. Selon nos confrères, qui citent le cabinet d’analystes Canalys, Apple a réussi à écouler 250 000 iPhone dans le sous-continent entre octobre et décembre 2012, contre 90 000 au même trimestre l’année précédente. L’effet d’une distribution renforcée et, surtout, bien plus agressive que par le passé. Et Reuters de citer en exemple The MobileStore, chaîne du groupe Essar, qui vend 15 % des iPhone en Inde et dont les ventes ont triplé entre décembre et janvier, après le lancement d’une offre de paiement à crédit. IDC estimait récemment que les ventes d’iPhone explosaient en Inde.
Des ambitions renouvelées
Mais ces efforts s’inscrivent surtout dans une stratégie plus vaste de conquête du marché indien. En 2012 encore, Tim Cook expliquait que « le mille-feuille de la distribution en Inde augmente réellement le coût de commercialisation des produits ». Récemment, Apple s’est associé à Ingram Micro et à Redington pour améliorer sa présence commerciale dans le pays, et y a même lancé son hobby, l’Apple TV. La perspective d’une implantation directe avec l’ouverture de boutiques à l’effigie de la marque semble toutefois encore lointaine. Les perspectives pouvaient sembler s’améliorer, début 2012, avec les projets du gouvernement indien d’ouverture plus large du commerce de détail aux investissements directs étrangers. Une ouverture qui permettrait à une enseigne mono-marque d’être propriétaire à 100 % de ses investissements locaux... à condition de recourir à des producteurs locaux pour 30 % au moins de ses approvisionnements. Rédhibitoire, semble-t-il. Et les ambitions d’Apple dans la région pourraient bien continuer d’être contrariées encore longtemps : le leader du parti d’opposition BJP Arun Jaitley a encore déclaré, il y a quelques jours, qu’il s’opposerait « jusqu’à son dernier souffle » aux investissements directs étrangers dans le commerce de détail. Des investissements qui, selon lui, « ne sont pas favorables aux consommateurs, aux fermiers, aux négociants, aux fabricants et au pays. » Il apparaît en tout cas évident que l’arrivée massive de grandes enseignes s’apparenterait à un cataclysme majeur dans un pays où le commerce de détail est marqué par sa fragmentation et par la profusion de micro-échoppes.
Lancement de l'iPhone 3GS à Bombay - Photo Baishampayan Ghose CC BY SA
Une concurrence acharnée
Selon IDC, Apple disposait d’une part de marché de seulement 1,2 % en Inde à la fin du premier semestre 2012. Contre 51 % pour Samsung. À l’automne dernier, certains estimaient que le coréen pourrait finir l’année avec une part de marché de rien moins que 60 %. Nokia domine quant à lui le marché des téléphones mobiles conventionnels, les feature phones, avec 94 % de part de marché. Et il semble bien décidé à profiter de cette assise pour avancer ses pions sur le marché local des smartphones. BlackBerry n’est pas en reste : il vient de lancer son Z10 en Inde à un peu moins de 44 000 roupies (625 €). Quant à Samsung, face à l’offensive commerciale d’Apple, le coréen a réagi en lançant à son tour une offre de paiement échelonné.
Mais pour l’heure, les efforts d’Apple semblent payer, si l’on en croît les derniers chiffres du cabinet IDC. En valeur, la firme aurait ainsi réussi à capter 15,6 % des ventes de smartphones en Inde au dernier trimestre 2012. Interrogé par CNN, Venu Reddy, directeur de recherche chez IDC, relève qu’Apple « est devenu le numéro deux en Inde. Et cela signifie qu’il a réalisé une transformation significative de son positionnement. » Une réussite largement attribuée à l’évolution de la stratégie de distribution du constructeur dans le pays. Samsung n’en conserve pas moins la première place, avec 38,8 % de part de marché.
Un low-cost pas assez cheap ?
Pas sûr en revanche que le supposé iPhone «low-cost» permette de changer radicalement la donne. Compte tenu des tensions sur les marchés des composants, on imagine mal qu’Apple parvienne à radicalement faire chuter ses tarifs pour convertir des acheteurs de feature phones. Et pas sûr non plus que la classe moyenne indienne s’intéresse à autre chose qu’à un véritable iPhone, ne serait-ce que pour des questions d’image. La classe moyenne indienne veut profiter de ce que l’Occident a à offrir, et pas au rabais. Une aspiration qui se traduit par exemple par des appartements vides la journée, mais où la climatisation continue de fonctionner sans relâche. Ce qui ne va pas sans compliquer lourdement la tâche des écologistes locaux.