Surréaliste. Pensez donc, alors qu’Apple a réalisé un chiffre d’affaires de 54,5 milliards de dollars pour un bénéfice de 13,1 milliards de dollars, certains demandent depuis quelques jours la tête de Tim Cook. Des blogueurs, analystes et journalistes économiques mettent en cause sa gestion d’Apple. Hier, en bourse, la firme de Cupertino a connu sa pire séance depuis septembre 2008 en enregistrant un recul de plus de 13 %. Alors, est-ce le début de la fin comme certains le laissent à penser ?
Des résultats records et décevants
Tout d’abord, faisons un retour rapide sur les chiffres annoncés par Apple en milieu de semaine. Pour faire court, ils sont à la fois exceptionnels et en léger retrait par rapport à ce que l’on pouvait en attendre. Mais il convient de relativiser, le bénéfice d’Apple - 13,1 milliards de dollars - est quasiment équivalent au chiffre d’affaires de Google sur la même période. Comparaison n’est pas raison (et il y aurait beaucoup à dire sur celle-ci), mais cela montre bien sur quelle planète se situe Apple.
Quelles sont donc les craintes des milieux financiers ? La réponse est la même qu’en septembre 2008, lorsque l’action avait cédé 18 % en pleine tempête boursière. À l’époque déjà, les analystes craignaient qu’Apple ne soit pas en mesure de croître au même rythme que précédemment à cause de la crise économique et anticipaient une baisse de la rentabilité du Californien (lire : Les temps sont durs pour AAPL).
Le point qui cristallise toutes les inquiétudes, c’est l’iPhone. Le nouveau modèle ne s’est pas aussi bien vendu qu’escompté. 30 % de croissance alors que la firme de Cupertino vient tout juste de lancer un produit majeur, c’est trop peu, surtout quand on sait que les ventes de smartphones ont progressé en moyenne de 36 %. Plus inquiétant encore selon IDC, ce sont les anciens modèles et plus particulièrement l’iPhone 4 qui ont permis à Apple d’afficher une telle croissance. La société d’études estime que les chiffres d’Apple auraient été meilleurs si elle avait pu répondre à la demande sur ce modèle. Elle a dû relancer la production de l’iPhone 4 durant les fêtes de fin d’année.
Nous l’avons évoqué (lire : 2013 : l’année de l’iPhone pour tous) et nous aurons l’occasion d'en reparler, Apple doit sans doute repenser sa gamme de smartphones afin de mieux adresser la demande notamment dans les pays émergents et se distinguer plus clairement de la concurrence.
Aux yeux des marchés financiers, mais également des acteurs de la téléphonie mobile, Apple perd du terrain face à Samsung. Au coude à coude à la fin 2011, le Coréen possède 29 % de part de marché sur les trois derniers mois de l’année sur le segment des smartphones et affiche une croissance de ses ventes de 76 %.
Une affaire Tim Cook ?
Ces annonces en demi-teinte sonnent comme la fin de l’état de grâce de Tim Cook, qui aura traversé 2012 sans trop de problèmes jusqu’à l’affaire Scott Forstall. Mais le retour de bâton est assez violent tout de même. Admiré de tous il y a encore peu, certains se demandent s’il est encore l’homme de la situation. Alors, y a-t-il une affaire Tim Cook comme il y avait une affaire Scott Forstall il y a quelques mois avant que celui-ci ne soit débarqué.
Pour les Échos qui donne l’impression de jouer les pompiers pyromanes, cela semble être clairement le cas. Selon un fin connaisseur forcément anonyme de la marque à la pomme qui se rend régulièrement à Cupertino, Apple ressemble aujourd’hui à la Yougoslavie après la mort de Tito. Tim Cook est fragilisé par des querelles internes, et ce même après le départ de Scott Forstall. La source des Échos ajoute qu'« il est parfois impossible d’organiser une réunion avec deux dirigeants d’Apple sur un sujet qui leur est commun, tant l’animosité entre certains d’entre eux est forte. »
Phil Schiller serait resté proche de Tim Cook, mais ce ne serait pas le cas de Jonathan Ive, qui pourtant a gagné en responsabilité lors de la réorganisation d’Apple annoncée en fin d'année dernière. Ces révélations ont de quoi surprendre ! Si de tels conflits existent et que Tim Cook est effectivement entouré de "barons", alors il aurait sans doute fait tomber d'autres têtes lors de la réorganisation annoncée en fin d'année dernière. Ces propos sont d'autant plus étranges que la réorganisation a été faite afin que les différentes composantes de la société travaillent mieux ensemble.
Les reproches faits à Tim Cook sont souvent les mêmes. Il n’a pas la vision d’un Steve Jobs et se focalise essentiellement sur l’opérationnel, domaine dans lequel Apple connaît pas mal de déboires en ce moment. Objectivement, le lancement de l’iMac est sans doute le pire lancement d’un produit Apple depuis des années.
Mais qui pourrait succéder à Tim Cook ?
Mais raisonnons par l’absurde, qui pourrait succéder à Tim Cook ? En interne, pas grand monde semble taillé pour le poste. Phil Schiller n’a jamais donné l’impression d’avoir de telles aspirations. Quel intérêt aurait de son côté Jonathan Ive à monter au front ? Dans la nouvelle organisation instaurée en fin d’année dernière, il occupe un poste sur-mesure, qui fait de lui sans doute l’homme le plus influent dans l’organigramme d’Apple, sans avoir à faire le sale boulot.
Certains hauts dirigeants partis d’Apple ces dernières années pour diverses raisons pourraient eux aussi prétendre à succéder à Tim Cook. Mais là encore, personne n’a semble-t-il la carrure pour lui disputer le rôle de CEO. Aspirant à diriger une entreprise, Ron Johnson ne fait pas d’étincelles pour le moment à JP Penney. De plus, il n’a sans doute pas le profil espéré. Jon Rubinstein aurait pu être crédible, si son aventure à la tête de Palm n’avait pas tourné au fiasco.
Enfin, il reste ceux que l’on pourrait présenter comme étant les fils prodigues de Steve Jobs. On pense tout de suite à Scott Forstall, mais vu les événements récents, cela semble tout bonnement impossible. Son grand ennemi, Tony Fadell, a probablement plus de chance de postuler un jour à la fonction suprême, mais son moment n'est pas encore venu. Il apprend en quelque sorte le métier à la tête de Nest, mais il s’agit encore d’une toute petite start-up sans commune mesure avec un mastodonte comme Apple. Mais dans l’idée de remplacer Steve Jobs, c’est peut-être lui qui à terme a le plus le profil…
Bref, aucune personne n’est en mesure de se substituer à Tim Cook. Il y a toujours la possibilité de nommer quelqu’un d’extérieur à la société, mais l’exercice est à coup sûr très périlleux. La situation est d’autant plus étonnante, qu’Apple n’a plus connu de crises de management depuis des années.
Apple : la spirale négative
Ce qui est sans doute le plus frustrant pour Apple, c’est qu’en quelques mois, elle est passée du statut de chouchou des marchés financiers et de vedette de l’industrie high-tech à l’ennemi à abattre. Le parallèle avec Samsung est d’ailleurs frappant.
Le Coréen a lui aussi annoncé des résultats records et a tenu en quelque sorte un discours identique à celui de son concurrent. Pêle-mêle, la société a fait savoir que la croissance serait cette année moins forte sur le marché des smartphones, que ses marges - déjà bien inférieures à celles d’Apple - allaient souffrir et qu’elle allait devoir gérer une hausse de ses coûts de production.
Un constat similaire, mais un verdict très différent de la part des marchés financiers. Alors que l’action Apple a enregistré une baisse de 12 %, celle de Samsung n’a reculé que de 2,5 %. Encore une fois, comparaison n’est pas raison, mais cela illustre bien le climat actuel autour d’Apple.
Et sans le vouloir, Apple alimente ce climat hostile. Elle a décidé d’adopter une position défensive qui risque d’être mal comprise au moins à court terme. La société californienne a décidé de restreindre les informations qu’elle mettait à disposition de la communauté financière. Ainsi, elle ne donne plus la répartition de ses ventes d’ordinateurs de bureau et d’ordinateurs portables. Preuve sans doute que les livraisons d’iMac ont été faméliques au cours du dernier trimestre (lire : iMac : pas avant février, voire mars 2013 à la Fnac). De plus, outre le fait que les prévisions en terme de CA sont très basses pour le trimestre en cours, elle ne s’est même pas risquée à donner une prévision pour son bénéfice.
Pour enfoncer le clou, le discours ambiant est d'accuser Apple de ne plus innover depuis que Tim Cook est aux manettes. Ceux qui tiennent ce discours sont certainement les mêmes qui croient encore au père Noël. Contrairement à ce que l'on veut faire croire, Apple n'a jamais lancé de produits révolutionnaires tous les quatre matins, même à la bonne vieille époque. On rappellera que le premier iPod est sorti en 2001, le premier iPhone en 2007 et le premier iPad en 2010. Créer des ruptures technologiques et des produits "révolutionnaires", cela prend du temps. Il n'y a rien d'infamant à ce qu'aucun téléviseur Apple n'ait vu le jour. Entre deux "révolutions", Apple a toujours procédé à des mises à jour progressives de ses produits : les principales nouveautés de 2012 — le MacBook Pro Retina, l'iPad mini, le nouvel iMac — sont dérivés de produits existant depuis des années.
Mais ceux qui suivent Apple de longue date savent que quand les choses sont très calmes, c’est souvent que la firme de Cupertino mijote quelque chose. Si a priori, aucune nouveauté matérielle n’est attendue dans l’immédiat, la marque à la pomme a souvent profité de février/mars pour dévoiler soit de nouvelles versions d’iOS soit d’OS X. Fera-t-elle de même en ce début d’année ?