10 janvier 2012, Xavier Niel annonce avec éclat les deux offres de Free Mobile après des mois de ramdam. Free impose le nouveau mètre étalon tarifaire : 2 € pour 1 heure d'appel et 60 SMS ; 19,99 € pour les appels illimités, les SMS/MMS illimités et 3 Go de DATA. « On vient là pour foutre le bordel », déclare malicieusement Xavier Niel à Univers Freebox le lendemain de la conférence de lancement — un keynote qui a pris des tournures de réquisitoire contre les opérateurs en place. Force est de constater un an plus tard que « le bordel » est réussi.
Tour à tour, obligés de s'aligner sur les prix planchers de Free Mobile qui engrange plusieurs millions d'abonnés en quelques mois (4,4 millions au 30 septembre), les opérateurs historiques brandissent la menace de plans sociaux. « Quel paradoxe de voir le propriétaire de Free nier les risques qui pèsent sur l'emploi ! Il est bien l'un des responsables de la situation qui déstabilise profondément un secteur d'avenir, essentiel pour la compétitivité française », estime en juillet Olivier Roussat, le directeur général de Bouygues Télécom.
Le gouvernement organise alors une rencontre pour apaiser les acteurs concernés et quelques idées sans lendemain sont lancées — il est notamment question d'abandonner deux mesures de la loi Chatel : les hotlines gratuites et l'arrêt simplifié d'un abonnement avec 24 mois d'engagement. Entre-temps, Arnaud Montebourg, élu socialiste devenu ministre du Redressement productif, change son discours à propos de Free Mobile. De bonne nouvelle pour le pouvoir d'achat des Français, le nouvel entrant devient une menace pour le marché . « Comment donc avons-nous trouvé le génie de mener la concurrence du marché à un tel point qu’il s’autodétruit ? » s'interroge Arnaud Montebourg dans une attaque virulente à l'encontre de l'ARCEP, l'autorité de régulation des télécoms.
« Le trouble-fête dérange et les polémiques s’enchaînent : conférence de lancement, couverture réseau, contrat d’itinérance, pertes d’emplois de la concurrence, caractéristiques de l’offre, débit Internet, modalités d’achat du mobile… les attaques fusent de toutes parts ! », résume en connaissance de cause Angélique Berge, la directrice de la relation abonnée de Free, à l'occasion du premier anniversaire (via Univers Freebox).
L'opérateur est en effet régulièrement pointé du doigt pour ses problèmes de débits et de connexions. En parallèle, il ne se passe quasiment pas une semaine sans qu'un opérateur ou un MVNO modifie ses offres. Tarifs en baisse, ajouts de minutes d'appels ou de Go de DATA, augmentation des débits... tout est bon pour se montrer le plus compétitif possible face à Free Mobile qui reste toujours très bon marché mais qui souffre d'une mauvaise image en terme de qualité de réseau. Un point sur lequel ses concurrents n'hésitent pas à appuyer, à l'image de SFR.
Sauf que Free Mobile n'entend pas se laisser attaquer sur la qualité de son réseau et il le fait savoir dès le mois de mars. Adoptant l'adage « la meilleure défense c'est l'attaque » — dont il s'est fait d'ailleurs la spécialité, preuve en est avec la déclaration de guerre à Google —, l'opérateur indique qu'il « attaquera en justice toute personne dénigrant la réalité de sa couverture ou de ses investissements. »
Reflets d'un marché ultra concurrentiel très tendu, les poursuites en justice pleuvent au cours de l'année 2012. En juillet, Free Mobile attaque SFR pour concurrence déloyale, dénonçant les subventions des terminaux comme des crédits à la consommation déguisés. Attendu pour décembre, le jugement du tribunal de Commerce de Paris sera finalement rendu le 28 janvier. De son côté, Bouygues Telecom lance à la fin de l'année une poursuite à l'encontre de Free pour dénigrement. Il s'agit d'une réponse à une attaque de Free pour diffamation à la suite des propos de Didier Casas, secrétaire général de Bouygues, qui avait déclaré au journal Les Échos que le trublion avait mis au point « la notion nouvelle de réseau vide qui couvre, [grâce à laquelle] on pourrait désormais remplir les obligations de sa licence sans dépenser d'argent pour son réseau. »
Dans le même temps, SFR porte plainte devant la Commission européenne pour « acquisition de contrôle conjointe de France Télécom sur Free Mobile ». L'opérateur au carré rouge estime que le contrat d'itinérance qui lie Orange et Free permet au premier de contrôler le second et de fait constitue une entité solidaire susceptible de perturber la concurrence.
« Le marché des télécoms n'est pas un Farmville [un jeu social sur Facebook, NDLR] judiciaire ! La vraie bataille se livre sur le terrain, dans les boutiques », répond à cette attaque Pierre Louette, le directeur général adjoint d'Orange, dans une interview parue hier dans Les Échos. Orange ferait l'objet d'une intense campagne de poursuites judiciaires menée par ses concurrents d'après lui. Une situation à laquelle compte répliquer l'entreprise par... une « plainte au civil contre le PDG de SFR pour dénigrement ». L'opérateur historique va donc rejoindre ce Farmville judiciaire qu'il dénonce. « Pour nous la coupe est pleine, nous allons répliquer davantage », déclare sans ambages Pierre Louette.
« Nous avions la certitude de perdre de l'argent dans le grand public à cause de Free Mobile ; ces revenus d'itinérance jouent le rôle de coussin amortisseur », explique le dirigeant d'Orange. Un contrat d'itinérance indispensable à Free Mobile en attendant que son réseau soit suffisamment important pour couvrir la quasi-totalité de la population.
Une itinérance dont la qualité est mise en cause par un reportage d'Envoyé Spécial qui sera diffusé ce soir sur France 2 — et qui tombe donc à point nommé pour célébrer le premier anniversaire de Free Mobile. Un extrait du reportage a été diffusé via Le Figaro. On y voit deux personnes tester la lecture d'une vidéo avec d'une part un abonnement Orange et d'autre part un abonnement Free Mobile mais dont la connexion passe par Orange. Résultat, la lecture de la vidéo fonctionne très bien dans le premier cas mais pas dans le second. Nul doute que les avocats de Free scruteront avec attention ce soir ce « cadeau d'anniversaire ».
Xavier Niel disait vouloir « diviser par deux la facture [téléphonique] des familles ». Le compte y est-il ? Ce sera à chacun de juger en faisant ses propres calculs tant les forfaits ont évolué — dans le bon sens, ils comprennent toujours plus de minutes d'appels et de DATA — et sont difficilement comparables à ceux d'il y a un an. Mais il est indéniable que Free Mobile aura fait baisser les tarifs.
Reste le problème du réseau en construction qui continue de faire l'objet de critiques. Le bilan 2012 de l'ARCEP donne à voir un réseau souvent en dessous de la moyenne mesurée. L’UFC-Que Choisir a annoncé la tenue d'une conférence de presse la semaine prochaine où elle démontrera que la qualité du réseau de Free Mobile n'est toujours pas satisfaisante. Au centre de la bataille — du « bordel » ? — économique et judiciaire, Free Mobile serait comme un poisson dans l'eau d'après Xavier Niel. « On n’est jamais aussi bon que quand on est attaqué », estime-t-il.
Photo de Xavier Niel LeWeb11 CC BY
Un marché en pleine mutation
Tour à tour, obligés de s'aligner sur les prix planchers de Free Mobile qui engrange plusieurs millions d'abonnés en quelques mois (4,4 millions au 30 septembre), les opérateurs historiques brandissent la menace de plans sociaux. « Quel paradoxe de voir le propriétaire de Free nier les risques qui pèsent sur l'emploi ! Il est bien l'un des responsables de la situation qui déstabilise profondément un secteur d'avenir, essentiel pour la compétitivité française », estime en juillet Olivier Roussat, le directeur général de Bouygues Télécom.
Le gouvernement organise alors une rencontre pour apaiser les acteurs concernés et quelques idées sans lendemain sont lancées — il est notamment question d'abandonner deux mesures de la loi Chatel : les hotlines gratuites et l'arrêt simplifié d'un abonnement avec 24 mois d'engagement. Entre-temps, Arnaud Montebourg, élu socialiste devenu ministre du Redressement productif, change son discours à propos de Free Mobile. De bonne nouvelle pour le pouvoir d'achat des Français, le nouvel entrant devient une menace pour le marché . « Comment donc avons-nous trouvé le génie de mener la concurrence du marché à un tel point qu’il s’autodétruit ? » s'interroge Arnaud Montebourg dans une attaque virulente à l'encontre de l'ARCEP, l'autorité de régulation des télécoms.
« Le trouble-fête dérange et les polémiques s’enchaînent : conférence de lancement, couverture réseau, contrat d’itinérance, pertes d’emplois de la concurrence, caractéristiques de l’offre, débit Internet, modalités d’achat du mobile… les attaques fusent de toutes parts ! », résume en connaissance de cause Angélique Berge, la directrice de la relation abonnée de Free, à l'occasion du premier anniversaire (via Univers Freebox).
L'opérateur est en effet régulièrement pointé du doigt pour ses problèmes de débits et de connexions. En parallèle, il ne se passe quasiment pas une semaine sans qu'un opérateur ou un MVNO modifie ses offres. Tarifs en baisse, ajouts de minutes d'appels ou de Go de DATA, augmentation des débits... tout est bon pour se montrer le plus compétitif possible face à Free Mobile qui reste toujours très bon marché mais qui souffre d'une mauvaise image en terme de qualité de réseau. Un point sur lequel ses concurrents n'hésitent pas à appuyer, à l'image de SFR.
Publicité SFR d'octobre 2012 - source Actu Neuf
Sauf que Free Mobile n'entend pas se laisser attaquer sur la qualité de son réseau et il le fait savoir dès le mois de mars. Adoptant l'adage « la meilleure défense c'est l'attaque » — dont il s'est fait d'ailleurs la spécialité, preuve en est avec la déclaration de guerre à Google —, l'opérateur indique qu'il « attaquera en justice toute personne dénigrant la réalité de sa couverture ou de ses investissements. »
« Le marché des télécoms n'est pas un Farmville judiciaire ! »
Reflets d'un marché ultra concurrentiel très tendu, les poursuites en justice pleuvent au cours de l'année 2012. En juillet, Free Mobile attaque SFR pour concurrence déloyale, dénonçant les subventions des terminaux comme des crédits à la consommation déguisés. Attendu pour décembre, le jugement du tribunal de Commerce de Paris sera finalement rendu le 28 janvier. De son côté, Bouygues Telecom lance à la fin de l'année une poursuite à l'encontre de Free pour dénigrement. Il s'agit d'une réponse à une attaque de Free pour diffamation à la suite des propos de Didier Casas, secrétaire général de Bouygues, qui avait déclaré au journal Les Échos que le trublion avait mis au point « la notion nouvelle de réseau vide qui couvre, [grâce à laquelle] on pourrait désormais remplir les obligations de sa licence sans dépenser d'argent pour son réseau. »
Dans le même temps, SFR porte plainte devant la Commission européenne pour « acquisition de contrôle conjointe de France Télécom sur Free Mobile ». L'opérateur au carré rouge estime que le contrat d'itinérance qui lie Orange et Free permet au premier de contrôler le second et de fait constitue une entité solidaire susceptible de perturber la concurrence.
« Le marché des télécoms n'est pas un Farmville [un jeu social sur Facebook, NDLR] judiciaire ! La vraie bataille se livre sur le terrain, dans les boutiques », répond à cette attaque Pierre Louette, le directeur général adjoint d'Orange, dans une interview parue hier dans Les Échos. Orange ferait l'objet d'une intense campagne de poursuites judiciaires menée par ses concurrents d'après lui. Une situation à laquelle compte répliquer l'entreprise par... une « plainte au civil contre le PDG de SFR pour dénigrement ». L'opérateur historique va donc rejoindre ce Farmville judiciaire qu'il dénonce. « Pour nous la coupe est pleine, nous allons répliquer davantage », déclare sans ambages Pierre Louette.
« Nous avions la certitude de perdre de l'argent dans le grand public à cause de Free Mobile ; ces revenus d'itinérance jouent le rôle de coussin amortisseur », explique le dirigeant d'Orange. Un contrat d'itinérance indispensable à Free Mobile en attendant que son réseau soit suffisamment important pour couvrir la quasi-totalité de la population.
Une itinérance dont la qualité est mise en cause par un reportage d'Envoyé Spécial qui sera diffusé ce soir sur France 2 — et qui tombe donc à point nommé pour célébrer le premier anniversaire de Free Mobile. Un extrait du reportage a été diffusé via Le Figaro. On y voit deux personnes tester la lecture d'une vidéo avec d'une part un abonnement Orange et d'autre part un abonnement Free Mobile mais dont la connexion passe par Orange. Résultat, la lecture de la vidéo fonctionne très bien dans le premier cas mais pas dans le second. Nul doute que les avocats de Free scruteront avec attention ce soir ce « cadeau d'anniversaire ».
Xavier Niel disait vouloir « diviser par deux la facture [téléphonique] des familles ». Le compte y est-il ? Ce sera à chacun de juger en faisant ses propres calculs tant les forfaits ont évolué — dans le bon sens, ils comprennent toujours plus de minutes d'appels et de DATA — et sont difficilement comparables à ceux d'il y a un an. Mais il est indéniable que Free Mobile aura fait baisser les tarifs.
Reste le problème du réseau en construction qui continue de faire l'objet de critiques. Le bilan 2012 de l'ARCEP donne à voir un réseau souvent en dessous de la moyenne mesurée. L’UFC-Que Choisir a annoncé la tenue d'une conférence de presse la semaine prochaine où elle démontrera que la qualité du réseau de Free Mobile n'est toujours pas satisfaisante. Au centre de la bataille — du « bordel » ? — économique et judiciaire, Free Mobile serait comme un poisson dans l'eau d'après Xavier Niel. « On n’est jamais aussi bon que quand on est attaqué », estime-t-il.
Photo de Xavier Niel LeWeb11 CC BY