Non, l’iPhone 4 n’est pas un iPhone « low-cost ». C’est un vieil iPhone vendu pas cher, nuance. Et une nuance de taille, qui fait la différence sur le long terme.
Apple concentre à elle seule la grande majorité des bénéfices du marché du smartphone : de ce point de vue, sa marge de progression est donc limitée, d’autant que ses réserves de croissance ne sont pas infinies. Cher, l’iPhone est sensible à la subvention opérateur, tout particulièrement en cette période de crise. Mais ce modèle économique se délite en Europe, notamment en France, est inexistant en Chine, marché crucial pour Apple, et est même contesté aux États-Unis.
À l’échelle de ce marché, qui pourrait doubler dans les cinq ans, ce n’est pas le déclin qui guette Apple, mais un mal bien plus pernicieux, la stagnation. Il lui faut donc répondre à ce problème et s’adresser à ce marché qui voudrait un iPhone, mais se tourne au mieux vers le marché de l’occasion, au pire vers la concurrence moins chère et bien souvent sur Android. Continuer à proposer le modèle de l’an dernier mais baisser son prix n’est pas une bonne réponse, ou du moins pas une bonne réponse sur le long terme.
Car jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas parce qu’on manque d’argent qu’on manque de fierté ou de vanité — et à ce jeu-là, mieux vaut acheter un Samsung Galaxy S III flambant neuf et fortement subventionné que ce qui n’est rien d’autre qu’un vieil iPhone. Certains marchés sont même plus sensibles à la nouveauté que d’autres : c’est le cas de la Chine par exemple, où le succès de l’iPhone a été limité à un bout du marché par son cycle décalé et à l’autre bout par l’absence d’une entrée de gamme qui ne soit pas la gamme de l’an dernier.
Dit autrement, au risque d’enfoncer des portes ouvertes : si vous avez le choix, au même prix, entre un appareil « low-cost de cette année » ou un appareil « low-cost qui était le haut de gamme d’il y a trois ans », vous prendrez le premier. Pour autant, bien sûr, que cet iPhone d’entrée de gamme ne soit pas un iPhone au rabais — ce qui n’est pas évident et explique sans doute pourquoi Apple y travaille depuis « des années » selon le Wall Street Journal (et les rumeurs, qui ne sont jamais dénuées de fondements, contrairement à leurs « analyses »). Elle doit de fait résoudre la quadrature du cercle.
L’argument de ceux qui s’inquiètent des résultats financiers d’Apple est difficile à comprendre. L’intérêt d’un iPhone « low-cost » est précisément d’être conçu pour préserver la marge d’Apple et asseoir un peu plus sa domination économique sur l’industrie du mobile. C’est bien ce qui est compliqué : il faut faire aussi bien si ce n’est mieux pour deux à trois fois moins cher. On peut en effet imaginer qu’Apple vise la barre des 200 €, comme le fait Brian White, un analyste de Topeka Capital Market. « Apple n’a pas besoin d’un smartphone à 100 $, mais je pense que quelque chose autour des 200 $ avec le cachet d’Apple, l’esthétique d’Apple et la nouveauté se vendrait [NDLR : en Chine dans son hypothèse]. »
À vrai dire, la situation actuelle n’est pas forcément la plus confortable pour Apple (gamme de dix modèles), ni la plus rentable (différentes tailles d’écran, etc.). Plus d’un observateur pense donc qu’elle résulte d’un compromis en attendant un vrai modèle « low-cost ». La stratégie qu’a développée Apple pour diversifier l’iPod est un bon exemple à suivre, mais l’iPad mini fournit sans doute un modèle plus facile à appréhender. À l’intérieur, il n’est rien de plus qu’un iPad 2 ; mais à l’extérieur, c’est un tout nouveau modèle avec un nouveau design, et son format entraîne de nouveaux usages, tandis que son prix lui ouvre de nouveaux marchés. Résultat, il représente désormais la majorité des ventes.
Un des premiers prototypes d'iPhone, en plastique.
Un futur iPhone « low-cost » pourrait s’inspirer de ce modèle : des composants internes à la fois bon marché et suffisamment puissants, un jeu sur les économies d’échelle qui permette de ne pas sacrifier des postes clefs comme l’écran ou la batterie, un peu de polycarbonate à la place de l’aluminium et une apparence différente et nouvelle. Un savant jeu de funambule entre l’économie et la nouveauté pour provoquer le désir d’achat chez de nouveaux clients — et peut-être même d’actuels qui décalent le renouvellement !
Actuellement, Apple ne s’adresse qu’à 10 % du marché de la téléphonie selon Enders Analytics. Si elle descend à 200 $, elle quadruple son nombre de clients potentiels. Elle y descendra : Tim Cook n'a jamais hésité à dire que l'iPhone n'était pas réservé qu'« aux riches ». Bloomberg évoque même 99 à 149 $, même s’il n’est pas bien clair s’il s’agit d’un prix avec ou sans subvention. Dans l’hypothèse folle où il s’agirait du prix nu, Apple multiplierait par sept la taille du marché de l’iPhone ! Nul besoin de descendre plus bas : ce marché représente 95 % du chiffre d’affaires de l’industrie et permettrait à Apple d’au moins doubler les bénéfices réalisés sur l’iPhone.
En jouant sur le volume avec un matériel adapté, Apple continuerait donc à engranger des milliards de dollars ; et elle a besoin de jouer sur le volume pour éviter la stagnation de son écosystème. Amener de nouveaux utilisateurs à l’iPhone, c’est enchaîner de nouveaux clients à l’App Store et l’iTunes Store. Des clients fidèles qui achèteront un nouvel iPhone dans quelques années, peut-être même le modèle le plus cher. Et qui motiveront les développeurs à continuer de servir l’iPhone en priorité.
Un scénario idyllique qui nécessite néanmoins que cet iPhone « low-cost » soit d’abord et avant tout un excellent iPhone. Voilà sans doute pourquoi il n’est toujours pas là. En attendant, l’iPhone 4 fait office de ramasse-miettes.