Vraisemblablement stoppée net dans ses efforts par les câblo-opérateurs, Apple ne devrait pas commercialiser de téléviseur dans un futur proche. « Le futur, c'est long » disait Steve Jobs, et l'échéance pourrait aussi bien être 2013 que 2020. En attendant, quel futur pour l'Apple TV ?
La télévision, ce n'est pas forcément un téléviseur
Tim Cook a récemment avoué que l'Apple TV sous sa forme actuelle n'avait pas dit son dernier mot. L'ajout impromptu d'une chaîne dédiée à l'iTunes Festival 2012 montre que la petite boîte noire d'Apple peut très bien s'enrichir du direct pour dépasser son simple statut de passerelle vers un catalogue de vidéo à la demande. C'était d'ailleurs le principal axe de recherche pour un téléviseur Apple, qui pourrait être recyclé dans le boîtier seul. Qu'importe si l'expérience télévisuelle selon Apple se passe encore quelque temps de téléviseur : la firme de Cupertino est pragmatique et se contente de contrôler les éléments cruciaux de l'expérience utilisateur — et l'élément crucial, c'est le contenu.
L'échec vraisemblable des négociations avec les câblo-opérateurs est un mauvais signal, qui peut potentiellement remettre en cause la présence de quelques films et de nombreuses séries dans l'iTunes Store, et ainsi affaiblir la position d'Apple dans le marché de la vidéo à la demande. Apple peut néanmoins utiliser ses bons rapports avec le groupe Disney pour provoquer un nouvel effet domino, cette fois dans le direct. Seuls deux grands types de contenu nécessitent encore le direct : l'actualité et les sports, et Disney possède un pied dans chacun, d'une part avec ABC News, d'autre part avec ESPN. De quoi potentiellement provoquer un nouvel appel d'air par le simple effet de la concurrence.
Maintenir ou renforcer l'offre de vidéo à la demande et y ajouter des bouquets en direct pourrait d'ailleurs permettre à Apple de placer son Apple TV en concurrent des boîtiers des câblo-opérateurs. Elle pourrait séduire les chaînes qui se reposent pour le moment uniquement sur la publicité en leur proposant une forte part de l'abonnement, comme elle le fait déjà avec le basket-ball (NBA), le base-ball (MLB), et les informations économiques (WSJ). La simple perspective de l'organisation par Apple d'une nouvelle concurrence pourrait débloquer les négociations avec les câblo-opérateurs traditionnels comme Comcast, Time Warner et Cox. Cet aspect se limite aux États-Unis, quoi qu'Apple pourrait profiter des accords noués pour l'iTunes Store pour démarcher dans le monde entier — une hypothèse peu assurée vu l'état de l'Apple TV actuel, qui fait la part belle aux services américains (WSJ, NBA, MLB, Netflix, Hulu).
La télévision ne vient pas forcément de la télévision
Le contenu ne vient néanmoins pas forcément des chaînes de télévision et des majors, mais est de plus en plus distribué par le producteur, quel que soit son pays. Qu'Apple ouvre la porte à des applications, et on pourrait imaginer non seulement transformer l'Apple TV en console, une arlésienne, mais aussi « installer la chaîne » de tel ou tel créateur, comme l'on suit des chaînes sur YouTube ou Vimeo (deux services intégrés a minima dans l'Apple TV). On voit d'ailleurs mal Google laisser de côté cette occasion, malgré ses rapports avec Apple, d'afficher des publicités autour des vidéos YouTube sur un écran de plus. Comme avec les jeux dans l'App Store, Apple pourrait ainsi provoquer une nouvelle ruée vers l'or des indépendants — et ouvrir une nouvelle ligne dans son bilan comptable en prenant sa commission au passage…
L'autre partie de ce mariage avec internet ne touche pas les contenus, mais le contexte, autre versant de l'expérience télévisuelle. Les réseaux sociaux sont aujourd'hui une partie intégrante des usages, et les chaînes n'hésitent plus à mettre en avant non pas leur site, mais leur hashtag Twitter ou leur page Facebook. Ils complémentent le direct en proposant des commentaires à chaud, ou prolongent l'engagement entre les épisodes. Comme d'autres, Apple pourrait intégrer les réseaux sociaux, pourquoi pas en reconnaissant automatiquement le contenu et en proposant le flux Twitter ou Facebook associé.
Les fournisseurs résistent néanmoins à l'idée de surimposer des éléments à leurs contenus — la débâcle Google TV l'a montré. Qu'importe : on utilise aujourd'hui smartphones et tablettes tout en regardant la télévision. Comme Microsoft qui va transformer ces appareils en véritables guides avec son système SmartGlass, Apple pourrait très bien augmenter AirPlay pour qu'il fasse aussi passer des informations de l'iPhone et l'iPad à l'Apple TV et inversement. On pourrait ainsi non seulement contrôler les programmes, mais aussi consulter les réseaux sociaux, obtenir des informations sur l'épisode en cours… Une approche parfaitement logique si l'on va des applications appairées entre écran périphérique et grand écran.
Le téléviseur ne fait pas forcément 70"
L'iPhone et l'iPad sont d'ailleurs d'ores et déjà de petits postes de TV : leurs apps leur apportent des contenus en direct, que l'on peut envoyer sur grand écran via l'Apple TV avec AirPlay — sauf quand le fournisseur bloque cette fonction… Si l'Apple TV devait végéter, Apple pourrait se reposer sur ses petits écrans en attendant d'enfin pouvoir proposer son propre téléviseur. Mais elle pourrait aussi investir une nouvelle catégorie d'appareils radicalement différente. En Chine, Tecent s'est récemment allié à TCL pour fabriquer une grande tablette affichant ses contenus. Grande : elle mesure 26" de diagonale — il s'agit en fait d'un petit téléviseur qui peut passer facilement d'une pièce à l'autre grâce à son poids de 5,5 kg.
Il ne s'agit pas d'une initiative isolée : de nombreux fabricants proposent désormais des tablettes de ce genre, certaines avec tuner, d'autres sans. Dans le salon, à l'horizontale, une telle tablette peut agir comme une TV connectée, pilotée à la télécommande ou au smartphone, avec quelques applications supplémentaires. Dans la cuisine par exemple, elle peut aussi être mise à la verticale, et l'on peut imaginer suivre une recette dans une app tout en regardant un épisode de série. Cet usage est moins immédiat et facile à expliquer qu'un téléviseur classique ou un smartphone — mais pas forcément plus que la tablette, qui a réussi à trouver une place entre le smartphone et l'ordinateur à la maison. Le service marketing d'Apple pourrait très bien inventer de nouveaux besoins interstitiels pour justifier un tel appareil, qui se nourrirait de l'écosystème iOS et banaliserait la TV.
Il ne s'agit bien sûr que d'une des pistes possibles, mais une éventuelle « télé Apple » pourrait être radicalement différente de ce que l'on considère être aujourd'hui un téléviseur. Et quand bien même Apple se contenterait d'un « simple » téléviseur qu'elle pourrait s'appuyer comme elle aime le faire sur une rupture technologique franche, de la 4K au H.265 en passant par des développements encore dans les labos mais à deux doigts seulement de la mise en production de masse. Un renversement du rapport de force dans l'univers de la télévision, qui mettrait le fabricant au premier plan et non les contenus. C'est peut-être ce qui fait frémir les câblo-opérateurs, échaudés sans doute par l'exemple de la banalisation du rôle de l'opérateur téléphonique…
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