Suite à la médiatisation des tensions au sein des Apple Store français et en parallèle aux négociations salariales annuelles, plusieurs réunions ont eu lieu cette semaine entre la direction d'Apple Retail France et les employés et représentants d'employés. L'occasion de faire le point et de mieux comprendre les aspirations des uns et les contraintes des autres.
Le contexte
Le début de l'été est synonyme, chez Apple Retail, d'évaluation des employés. Chaque salarié doit d'abord remplir une fiche d'auto-évaluation, puis s'entretient avec les managers ou les ressources humaines. Les performances générales et les affinités donnent lieu à l'attribution d'une note de 1 à 5 :
Cette note conditionne le niveau d'augmentation, qui est lui-même calculé à partir d'un pourcentage des bénéfices d'Apple Retail France. C'est un premier problème : les montages fiscaux, classiques dans les sociétés à filiales, minimisent les résultats de la société. Les employés du niveau 1 ne perçoivent pas d'augmentation ; l'an dernier, la plupart des employés ont perçu une augmentation de l'ordre de 4 %.
La rumeur d'un coup de pouce supplémentaire dans les Apple Store américains a mis le feu aux poudres, alors que la situation dans les boutiques françaises n'est pas toujours de tout repos. Les enjeux ne se limitent néanmoins pas à des revendications salariales : comme dans tout conflit du genre, il ne faut pas oublier les enjeux de pouvoir. Les syndicats sont encore jeunes au sein d'Apple Retail : leur montée au créneau est aussi conçue comme une démonstration auprès des employés, mais aussi de la direction, qui ne s'embarrasse parfois pas de ces représentants qu'elle estime souvent comme « improductifs ».
Trois canaux de communication sont donc en concurrence. Celui des employés eux-mêmes, que nous avons capté en travaillant de manière large sur le sujet : ceux qui s'expriment le font aussi parce qu'ils souhaitent continuer à travailler dans les Apple Store — mais avec de meilleures conditions. Celui des syndicats et en particulier du Cidre (CFTC), qui représentent les employés comme ils se représentent eux-mêmes. Celui de la direction enfin, dont nous ne captons que les échos, et qui doit trouver le juste milieu entre apaisement et poursuite des opérations. Nous avons par ailleurs contacté Apple Retail sur le sujet, qui n'est pas (encore) revenu vers nous.
Pourquoi ces trois canaux se rencontrent-ils maintenant ? L'augmentation annuelle est un bon prétexte, mais le reste de l'agenda annuel explique aussi le timing du mouvement. Depuis l'an dernier ont lieu en septembre les négociations annuelles obligatoires, grand moment de rencontre entre la direction et les syndicats — en 2011, la discussion a porté sur les jours de congé. Cette année, les syndicats veulent imposer un ordre du jour très précis, articulé en plusieurs points, et censé répondre aux attentes des employés. À un certain échelon de responsabilité, on nous a confié que la direction préférait procéder par tables rondes avec les employés, au risque de court-circuiter les syndicats : « il faut que cela se passe normalement. Il y a beaucoup d'excitation et d'incompréhension. » Du côté des représentants des salariés, on craint justement que les tables rondes n'éparpillent les revendications et que la somme soit inférieure aux parties : « il n'y a pas d'activité syndicale en août. Il faut discuter en juillet, et parvenir à un ordre du jour clair : les employés sont exaspérés et prendre des mesurettes ne fera que repousser le problème. »
Impossible de rater les enjeux de politique interne qui sont la trame de fond de ce mouvement. Impossible aussi de rater la réalité des problèmes, que nous avons déjà exposé, qui punaise cette trame au mur.
Les revendications
Un document publié dans les arrières-boutiques et que nous nous sommes procuré liste neuf points d'achoppement. Le premier traite des dysfonctionnements du système de pointage et de planning, qui entraîne des problèmes de relevés des heures et donc de paye. Les ressources humaines semblent reconnaître le problème et demandent depuis plusieurs mois aux employés de pointer par mail, une solution considérée comme « précaire » par le Cidre.
Le cœur du problème est la grille salariale. À l'ouverture des Apple Store français, Apple Retail n'hésitait pas à recruter des profils techniques, en s'alignant sur la précédente rémunération : il n'était ainsi pas rare qu'un Genius puisse prétendre à une rémunération de 35 à 40 000 € bruts par an. Alors qu'il y a aujourd'hui environ 12 fois plus de demandes que d'offre, Apple Retail a l'embarras du choix et la grille salariale est plus resserrée. Les chiffres que nous nous sommes procurés fin 2011 (en brut) montrent une grille classique pour le commerce de détail :
Cette grille fait face à deux problèmes. Le premier tient à la disparité des rémunérations pour un même poste : les négociations à l'embauche, les niveaux d'augmentation et les affinités entraînent une variance assez forte. Le deuxième tient à la disparité des niveaux de vie à travers la France : alors que les employés montpelliérains sont très discrets sur le sujet, les Parisiens n'hésitent pas à donner de la voix — les uns se contentent de leur paie, les autres comptent les jours avant la fin du mois. L'absence de bénéfices sociaux et les problèmes de paye ne font qu'accentuer ces deux problèmes.
Pendant un temps, il a été envisagé de demander deux grilles salariales, une pour Paris et une pour la Province, une hypothèse bien vite écartée : « c'est tout simplement impossible d'un point de vue légal » résume un manager. Aujourd'hui, les syndicats proposent de fortement relever le niveau de base de rémunération : 24 000 € annuels pour les spécialistes et FRS, 31 000 € pour les Genius et créatifs. Ils demandent aussi plus de transparence sur le dispositif de progression dans la grille salariale.
Au-delà de cette augmentation du palier de base, les représentants du personnel demandent aussi une augmentation de 20 % des salaires des employés ayant plus de six mois d'ancienneté. Enfin, ils demandent l'instauration d'un 13e mois : c'est une pratique somme toute commune, mais complètement ignorée chez Apple Retail.
Les avantages sociaux sont pour ainsi dire inexistants : afin d'améliorer le quotidien des employés, le Cidre propose la mise en place de tickets restaurant (à hauteur de 9 €, sachant que la moyenne est à 6,87 €), ainsi que celle de chèques vacances.
Enfin, certaines revendications portent sur les conditions de travail : on y trouve pêle-mêle la souffrance d'un manque de reconnaissance, la nécessité de régulariser le fonctionnement des temps de pause, et la mise en place de fontaines à eau fraîche dans l'arrière-boutique.
L'ensemble de ces revendications devrait être à l'ordre du jour des négociations de septembre si les syndicats gardent la main. L'enjeu de l'été sera celui de la communication entre ces parties : c'est par un manque de discussions que les dysfonctionnements se sont accumulés et que la pression a fini par être trop forte. Cette polémique interne rappelle en tout cas une nouvelle fois que derrière la façade, Apple est une société comme les autres, avec sa direction parfois sourde, ses syndicats parfois ambitieux, ses employés souvent fatigués, et son lot de petits problèmes. Mais beaucoup de salariés qui ont témoigné disent aussi donner de la voix… parce qu'ils veulent continuer à travailler chez Apple.
Au-delà donc des problèmes, l'aura de la société est son plus formidable atout, le garant même de sa cohésion.
Sur le même sujet :
- Les Apple Store français à deux pas de la grève
L'Apple Store Grand Central.
Le contexte
Le début de l'été est synonyme, chez Apple Retail, d'évaluation des employés. Chaque salarié doit d'abord remplir une fiche d'auto-évaluation, puis s'entretient avec les managers ou les ressources humaines. Les performances générales et les affinités donnent lieu à l'attribution d'une note de 1 à 5 :
- 1 : employé constamment en dessous des attentes ;
- 2 : employé parfois en dessous des attentes ;
- 3 : employé solide — c'est la note obtenue par la majorité ;
- 4 : employé souvent au-dessus des attentes ;
- 5 : employé constamment au-dessus des attentes — c'est une note rarissime.
Cette note conditionne le niveau d'augmentation, qui est lui-même calculé à partir d'un pourcentage des bénéfices d'Apple Retail France. C'est un premier problème : les montages fiscaux, classiques dans les sociétés à filiales, minimisent les résultats de la société. Les employés du niveau 1 ne perçoivent pas d'augmentation ; l'an dernier, la plupart des employés ont perçu une augmentation de l'ordre de 4 %.
La rumeur d'un coup de pouce supplémentaire dans les Apple Store américains a mis le feu aux poudres, alors que la situation dans les boutiques françaises n'est pas toujours de tout repos. Les enjeux ne se limitent néanmoins pas à des revendications salariales : comme dans tout conflit du genre, il ne faut pas oublier les enjeux de pouvoir. Les syndicats sont encore jeunes au sein d'Apple Retail : leur montée au créneau est aussi conçue comme une démonstration auprès des employés, mais aussi de la direction, qui ne s'embarrasse parfois pas de ces représentants qu'elle estime souvent comme « improductifs ».
Trois canaux de communication sont donc en concurrence. Celui des employés eux-mêmes, que nous avons capté en travaillant de manière large sur le sujet : ceux qui s'expriment le font aussi parce qu'ils souhaitent continuer à travailler dans les Apple Store — mais avec de meilleures conditions. Celui des syndicats et en particulier du Cidre (CFTC), qui représentent les employés comme ils se représentent eux-mêmes. Celui de la direction enfin, dont nous ne captons que les échos, et qui doit trouver le juste milieu entre apaisement et poursuite des opérations. Nous avons par ailleurs contacté Apple Retail sur le sujet, qui n'est pas (encore) revenu vers nous.
Pourquoi ces trois canaux se rencontrent-ils maintenant ? L'augmentation annuelle est un bon prétexte, mais le reste de l'agenda annuel explique aussi le timing du mouvement. Depuis l'an dernier ont lieu en septembre les négociations annuelles obligatoires, grand moment de rencontre entre la direction et les syndicats — en 2011, la discussion a porté sur les jours de congé. Cette année, les syndicats veulent imposer un ordre du jour très précis, articulé en plusieurs points, et censé répondre aux attentes des employés. À un certain échelon de responsabilité, on nous a confié que la direction préférait procéder par tables rondes avec les employés, au risque de court-circuiter les syndicats : « il faut que cela se passe normalement. Il y a beaucoup d'excitation et d'incompréhension. » Du côté des représentants des salariés, on craint justement que les tables rondes n'éparpillent les revendications et que la somme soit inférieure aux parties : « il n'y a pas d'activité syndicale en août. Il faut discuter en juillet, et parvenir à un ordre du jour clair : les employés sont exaspérés et prendre des mesurettes ne fera que repousser le problème. »
Impossible de rater les enjeux de politique interne qui sont la trame de fond de ce mouvement. Impossible aussi de rater la réalité des problèmes, que nous avons déjà exposé, qui punaise cette trame au mur.
Les revendications
Un document publié dans les arrières-boutiques et que nous nous sommes procuré liste neuf points d'achoppement. Le premier traite des dysfonctionnements du système de pointage et de planning, qui entraîne des problèmes de relevés des heures et donc de paye. Les ressources humaines semblent reconnaître le problème et demandent depuis plusieurs mois aux employés de pointer par mail, une solution considérée comme « précaire » par le Cidre.
Le cœur du problème est la grille salariale. À l'ouverture des Apple Store français, Apple Retail n'hésitait pas à recruter des profils techniques, en s'alignant sur la précédente rémunération : il n'était ainsi pas rare qu'un Genius puisse prétendre à une rémunération de 35 à 40 000 € bruts par an. Alors qu'il y a aujourd'hui environ 12 fois plus de demandes que d'offre, Apple Retail a l'embarras du choix et la grille salariale est plus resserrée. Les chiffres que nous nous sommes procurés fin 2011 (en brut) montrent une grille classique pour le commerce de détail :
- un vendeur / spécialiste perçoit entre 14 et 27 000 € par an ;
- un créatif ou un Genius perçoit entre 22 et 30 à 32 000 € par an ;
- un « lead » créatif ou un « lead » Genius perçoit entre 35 et 50 000 € par an ;
- un FRS perçoit entre 18 et 28 000 € par an ;
- enfin, les managers sont rémunérés à hauteur de 35 à 60 000 € par an.
Cette grille fait face à deux problèmes. Le premier tient à la disparité des rémunérations pour un même poste : les négociations à l'embauche, les niveaux d'augmentation et les affinités entraînent une variance assez forte. Le deuxième tient à la disparité des niveaux de vie à travers la France : alors que les employés montpelliérains sont très discrets sur le sujet, les Parisiens n'hésitent pas à donner de la voix — les uns se contentent de leur paie, les autres comptent les jours avant la fin du mois. L'absence de bénéfices sociaux et les problèmes de paye ne font qu'accentuer ces deux problèmes.
Pendant un temps, il a été envisagé de demander deux grilles salariales, une pour Paris et une pour la Province, une hypothèse bien vite écartée : « c'est tout simplement impossible d'un point de vue légal » résume un manager. Aujourd'hui, les syndicats proposent de fortement relever le niveau de base de rémunération : 24 000 € annuels pour les spécialistes et FRS, 31 000 € pour les Genius et créatifs. Ils demandent aussi plus de transparence sur le dispositif de progression dans la grille salariale.
Au-delà de cette augmentation du palier de base, les représentants du personnel demandent aussi une augmentation de 20 % des salaires des employés ayant plus de six mois d'ancienneté. Enfin, ils demandent l'instauration d'un 13e mois : c'est une pratique somme toute commune, mais complètement ignorée chez Apple Retail.
Les avantages sociaux sont pour ainsi dire inexistants : afin d'améliorer le quotidien des employés, le Cidre propose la mise en place de tickets restaurant (à hauteur de 9 €, sachant que la moyenne est à 6,87 €), ainsi que celle de chèques vacances.
Enfin, certaines revendications portent sur les conditions de travail : on y trouve pêle-mêle la souffrance d'un manque de reconnaissance, la nécessité de régulariser le fonctionnement des temps de pause, et la mise en place de fontaines à eau fraîche dans l'arrière-boutique.
L'ensemble de ces revendications devrait être à l'ordre du jour des négociations de septembre si les syndicats gardent la main. L'enjeu de l'été sera celui de la communication entre ces parties : c'est par un manque de discussions que les dysfonctionnements se sont accumulés et que la pression a fini par être trop forte. Cette polémique interne rappelle en tout cas une nouvelle fois que derrière la façade, Apple est une société comme les autres, avec sa direction parfois sourde, ses syndicats parfois ambitieux, ses employés souvent fatigués, et son lot de petits problèmes. Mais beaucoup de salariés qui ont témoigné disent aussi donner de la voix… parce qu'ils veulent continuer à travailler chez Apple.
Au-delà donc des problèmes, l'aura de la société est son plus formidable atout, le garant même de sa cohésion.
Sur le même sujet :
- Les Apple Store français à deux pas de la grève