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Les nouveaux modes de production des œuvres

Arnaud de la Grandière

mardi 22 mai 2012 à 15:02 • 18

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En introduisant la "désintermédiation" à tous les étages, Internet a plus que chamboulé la manière dont nous consommons les biens culturels. Les "œuvres de l'esprit" ne sont désormais plus distribuées ni consommées comme auparavant, et la dématérialisation a été jusqu'à modifier la façon même dont les œuvres sont créées (lire : Quand les supports influaient sur les œuvres). C'est désormais un autre pan de l'industrie culturelle qui évolue, avec la production elle-même qui tombe entre les mains du public.

Chefs-d'œuvre en péril

Le métier de producteur a très mauvaise presse depuis quelques années maintenant. À en croire les propos que l'on peut trouver sur la toile, de plus ou moins bonne foi, on pourrait brosser un portrait assez caricatural du producteur, qui serait un vampire des temps modernes, dont la seule fonction tiendrait à ponctionner de l'argent sur les ventes des œuvres (les producteurs mythiques, de Quincy Jones à Phil Spector, apprécieront).

Avec les moyens modernes, la création s'est amplement démocratisée, permettant à quiconque, avec un peu de talent, de créer depuis son domicile le prochain tube à la mode. Mieux encore, il est désormais possible de l'éditer soi-même, en distribuant son œuvre sur Internet, et ainsi de se débarrasser totalement de l'intermédiaire encombrant qu'est la maison de disque. Argument massue s'il en est, l'album In Rainbows de Radiohead sorti en 2007, autoproduit par le groupe et distribué exclusivement en ligne, à un prix de vente décidé au bon vouloir de chaque acquéreur. Voilà donc l'avenir et le salut de la musique tous trouvés.



Ce serait cependant omettre qu'In Rainbows est le septième album studio du groupe, et qu'avant celui-ci, Radiohead a eu six autres disques qui ont été produits de manière classique (et dont les revenus ont permis de financer celui-ci). Le travail des maisons de disque (production et promotion) a bel et bien permis à Radiohead d'obtenir la notoriété qui a rendu cette aventure viable. Nombre d'albums "amateurs" naissent dans des conditions similaires sans connaître pour autant la même destinée. Et si Internet a permis de découvrir quelques talents qui auraient autrefois pu rester ignorés, leur capacité à vivre de leur travail n'a toujours dépendu que de leur intégration dans le circuit classique de production par la suite.

À compte d'auteur

Si la création artistique a toujours été accessible à tous, la consommation de masse a longtemps induit une sélection par les producteurs et éditeurs, seuls à même d'investir les frais nécessaires à la reproduction, la distribution et la promotion des œuvres. Même dans le cas du livre, dont la création n'exige pas plus que du temps, du papier et de l'encre, leurs auteurs n'étaient pas en mesure d'assurer leur entière autonomie jusqu'au lecteur final. Seule alternative, la production à compte d'auteur : l'écrivain en herbe finance de sa poche la fabrication d'un nombre limité d'exemplaires en espérant rentrer dans ses frais en vendant lui-même son opus autour de lui. Nombre de sociétés ont d'ailleurs tiré parti de la vanité d'aspirants écrivains, qui aura fini par se retourner contre eux. Il ne suffit pas hélas toujours de croire en son talent pour qu'il soit reconnu par le public, et beaucoup d'exemplaires produits à compte d'auteur sont restés invendus.

La dématérialisation allait régler ce problème, puisque la reproduction et la distribution d'un livre ne coûtent désormais plus rien. Et de fait, on trouve de plus en plus d'œuvres mises en vente sur la toile par leurs propres auteurs, parfois même sur des plateformes commerciales de premier plan (Kindle Store et iBookStore en tête), grâce aux services des sociétés d'autopublication. Celles-ci servent d'interface entre l'auteur et tout ce qui donnera à son œuvre le statut officiel de livre (numéro ISBN, distribution en ligne, etc.). La plupart intègrent également un service d'impression à la commande, évitant les investissements en pure perte. Moralité, le nombre de livres produits a littéralement explosé : rien qu'en 2008, la société d'auto-édition Lulu publiait à elle seule 4000 nouveaux titres en moyenne par semaine. De quoi faire blêmir les critiques qui se lamentaient déjà de l'invraisemblable quantité de livres proposés à chaque rentrée littéraire…

Dans une telle marée, il devient d'autant plus difficile d'y trouver son compte : sans sélection, la qualité moyenne est en chute libre. Même sur les œuvres dignes d'intérêt, l'absence de tout travail d'édition (tant du point de vue artistique que commercial, sans oublier la mise en page ou la correction…) peut parfois se faire sentir lourdement. Et lorsqu'un éditeur pouvait autrefois peser de tout son poids pour promouvoir un livre dans lequel il croyait, la rencontre entre un auteur et ses lecteurs ne s'appuie plus que sur les heureux hasards et le bouche à oreille. C'est sans doute là où on mesure le mieux que le travail d'édition ne se limite pas à percevoir illégitimement une rente sur le talent d'autrui. Et les petits éditeurs sont les premières victimes de ce nouveau mode de production, augmentant un peu plus le gouffre qualitatif entre les grandes maisons d'édition et l'autopublication.



Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette surproduction est un problème qu'on retrouve également dans l'App Store : dans les 645 669 applications disponibles à ce jour, seule une minorité parvient à rencontrer un véritable succès commercial, et il est plus que vraisemblable qu'un certain nombre d'applications laissées pour compte auraient mérité un meilleur destin commercial s'il y avait une sélection à l'entrée, ou du moins des moyens facilitant la découverte des perles rares. C'est un problème qui est destiné à devenir de plus en plus préoccupant, tant pour les utilisateurs que pour les développeurs, et Apple devra y répondre tôt ou tard, d'une manière ou d'une autre. La nature ayant horreur du vide, les éditeurs se constituent parfois des catalogues à coups de rachats, assurant toujours la promotion commerciale des applications en dehors de l'App Store. Pour tous les autres, et comme pour le livre autopublié, le salut vient du marché de niche, où nulle concurrence ne viendra faire de l'ombre.

Si l'auto-production n'est pas sans inconvénient, elle n'est également pas la solution universelle : elle n'est pas envisageable pour certaines œuvres collectives, ou encore celles nécessitant des moyens plus conséquents. Il faut déjà être fortuné pour s'offrir la location d'un studio pour quelques journées d'enregistrement et bénéficier d'un son professionnel, que dire alors de la production d'un long métrage ou même d'un jeu vidéo un tant soit peu ambitieux. Ce type de créations est sans doute celui où les moyens mis à disposition influent le plus sur le résultat final, et les cas d'auto-production relèveront de la très rare exception.

À tout le moins, ce modèle ne peut plus être considéré comme une alternative viable au système de production existant dans sa variété et sa richesse actuelle, même si (perte de rentabilité oblige), celles-ci vont s'amenuisant. Les producteurs sont d'autant plus frileux qu'ils sont les seuls à courir un risque financier, dont rien ne vient garantir la rentabilité. On assiste donc à une multiplication des reprises, adaptations, remakes, reboots, suites, et autres "préquelles", avec de moins en moins d'œuvres originales et de premières créations. Il faut dire que le goût du public pousse amplement dans cette direction, étant de moins en moins aventureux, et plus enclin à consommer par nostalgie une œuvre déjà connue, réinterprétée pour le besoin de la minime nouveauté.

Le Crowdfunding, un modèle intermédiaire



Pour ces œuvres qui exigent plus de moyens, Internet a permis l'avènement d'un autre modèle, le financement assuré par le public lui-même, ou crowdfunding. Des plateformes permettant à chaque internaute d'investir des sommes plus ou moins modestes dans la production d'une œuvre sont nées. Dans le domaine de la musique, MyMajorCompany a pu produire avec succès quelques artistes, ajoutant l'effet vertueux de sensibiliser et d'impliquer le public face à la problématique de la production des œuvres en ces temps de piratage décomplexé. D'autres plateformes comme IndieGoGo visent à produire des initiatives de toute nature (musique, œuvres caritatives, PME, film). De son côté, si Kickstarter a une vocation plus générique d'investissement dans tout projet commercial, il a vu avec succès une génération spontanée d'œuvres de l'esprit, particulièrement dans le domaine des jeux vidéos.

Divers studios indépendants se sont en effet tournés vers Kickstarter pour financer leurs projets, et certains ont connu un succès incroyable. Le plus emblématique est sans aucun doute le studio Double Fine Productions, détenant à ce jour le record du plus gros budget en crowdfunding. Il faut dire que le projet avait quelques avantages dans son berceau, et non des moindres : mené par Tim Schafer, créateur mythique de jeux d'aventure "point and click" chez LucasArts (Monkey Island I & II, Day of the Tentacle, Full Throttle, Grim Fandango…), le studio était déjà à l'origine de Psychonauts ou encore Brütal Legends. L'annonce d'un retour au genre point and click par ces vétérans de LucasArts a donc tout naturellement attiré l'attention des aficionados. Le projet Kickstarter avait pour but d'atteindre 400 000 dollars, mais grâce à la bonne couverture média de l'événement, le plafond a littéralement été explosé, en récoltant pas moins de 3 336 371 dollars en à peine plus d'un mois, répartis entre 87 142 investisseurs (et autant de noms à inclure au générique !). De quoi amplement garantir un portage du jeu sur Windows, OS X, Linux, iOS, et Android pour sa sortie prévue pour le deuxième trimestre 2013.



L'affaire a fait beaucoup parler d'elle, et d'autres projets ont pu être financés de la même manière : après avoir obtenu les droits du classique Leisure Suite Larry (lire Leisure Suit Larry revient sur Mac et iOS), Replay Games a fait financer son dépoussiérage par Kickstarter, obtenant 655 182 dollars (pour un objectif minimum de 500 000). Wasteland 2 (suite bien nommée de Wasteland, un jeu de rôle post-apocalyptique sorti en 1988), a quant à lui amplement dépassé son objectif de 900 000 dollars, pour obtenir 2 933 252 dollars de financement. La recette-miracle semblait donc toute trouvée, et c'est donc tout naturellement qu'une plateforme dédiée au crowdfunding de jeux indépendants est née, Gambitious. Il n'en reste pas moins que ces succès de crowdfunding ont tous en commun de ne pas être inconnus au bataillon : ils reprennent des licences bien connues, ou, à l'image de l'album autoproduit par Radiohead, sont à l'initiative de développeurs émérites et reconnus. De fait, Kickstarter indique que seul un quart des projets de jeux vidéo parviennent à atteindre leurs objectifs de financement (alors que 45 % de tous les projets Kickstarter y parviennent). De ce point de vue, le crowdfunding pour les jeux en général est loin du succès incarné par ces quelques exemples.


Kickstarter jusqu'au bout de l'absurde : un projet Kickstarter pour financer… la présentation d'un projet Kickstarter,vu par XKCD


De par sa nature même, le crowdfunding se cantonne aux idées qui seront populaires sur le papier, mais dont rien pour autant ne dit qu'elles rencontreront un succès commercial une fois mis sur le marché. À l'inverse, nombre de projets qui ont connu un plébiscite commercial n'auront pu vivre que parce qu'ils auront été repérés par un producteur visionnaire. Steve Jobs lui-même se disait convaincu de l'inutilité des études de marché : pour lui, le public ne pouvait imaginer ce dont il a envie ou besoin tant que vous ne le lui montrez pas. Il reste donc indiscutablement tout un pan d'œuvres diverses et variées qui ne peuvent exister que par la grâce d'un producteur, pour peu que cette espèce en danger continue de survivre.
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