Le Galaxy S III a été accueilli fraîchement par la critique : design fade à l'extrême, publicités si bizarres qu'elles mettent mal à l'aise, fonctions avec un énorme air de déjà-vu, le nouveau smartphone étendard de Samsung peine à convaincre. De fait, Samsung joue à quitte ou double avec ce modèle : soit il lui permettra d'asseoir sa domination sur l'industrie de la téléphonie en prenant une certaine indépendance vis-à-vis de Google, soit il laissera de l'espace à une concurrence affûtée.
Galaxy S III : l'anti-design
Dieter Rams disait d'un bon design qu'il devait être, entre autres choses, esthétique, innovant et discret : sur ces trois points, celui du Samsung Galaxy S III est un échec flagrant. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, mais force est de constater l'apparence très pauvre de ce qui se veut être le smartphone étendard de Samsung, encore plus fade que ne pouvaient déjà l'être les précédentes créations de la firme coréenne. Si ses prédécesseurs étaient des chefs-d'œuvre de design, on n'aurait rien à redire sur l'absence d'originalité du Galaxy S III — mais ce n'est pas le cas, et on peut donc déplorer que le bouton d'accueil soit directement emprunté aux smartphones bas de gamme sous Bada, et que les traits généraux rappellent particulièrement le Galaxy Nexus.
Ces deux points sont néanmoins sujets à critique, et la reprise d'éléments de langage esthétique d'un modèle sur l'autre participe à la construction d'une identité visuelle — fût-elle aussi pauvre que celle de Samsung, marque consensuelle jusqu'à l'invisibilité, qualité première pour un téléviseur ou un lave-linge, moins désirable pour un smartphone, objet qui est aussi marqueur d'un statut.
On peut plus difficilement contester le fait que l'apparence du Galaxy S III soit un « design d'avocats » comme le dit Android Police, un anti-design dirons-nous. La grande réussite d'Apple en 2012 est d'avoir forcé Samsung à concevoir un téléphone qui ne ressemble pas à l'iPhone — et lorsque les designers doivent répondre à un cahier des charges écrit par des avocats ou des législateurs, ils produisent des réfrigérateurs, faute de marge de manœuvre pour laisser place à toute forme de créativité, fût-elle inspirée.
On avait pu se moquer des conditions posées par Apple face à Samsung ou Motorola pour éviter tout procès :
Mais de fait, le Galaxy S III répond précisément à ce cahier des charges et se sépare de la plupart des points qui assimilaient directement le Galaxy S et le Galaxy S II à l'iPhone :
Cette stratégie s'applique aussi au logiciel : les icônes carrées aux coins arrondis ou le dock d'icônes à la base de l'écran ont disparu au profit d'une présentation plus traditionnelle pour un smartphone Android. Apple avait attaqué Samsung sur des questions de « trade dress », d'identité visuelle, et c'est précisément ce point qui manque aujourd'hui à la firme coréenne. Un fait d'autant plus remarquable que HTC et Nokia, pour ne citer que deux fabricants, ont aujourd'hui frappé les esprits avec des modèles comme le One X (ci-dessous) ou le Lumia 800, qui montrent qu'il est possible de faire des téléphones innovants, solides, beaux, pratiques et emblématiques sans copier ou rappeler Apple.
TouchWiz Nature UX : l'anti-Android
On ne peut pas préjuger de l'accueil que réservera le public au Galaxy S III : la critique dénonce certes unanimement sa fadeur qui tend à la laideur, mais les Cassandres de l'iPhone 4S n'ont pas empêché Apple de vendre près de 70 millions d'exemplaires de son smartphone…
Quand bien même la firme coréenne n'en vendrait « que » quelques dizaines de millions qu'elle réussirait quand même son pari : faire un pas de plus dans la construction d'un écosystème fermé, et banaliser complètement le rôle de Google dans la conception d'Android. Comme HTC avec Sense, Samsung couvre Android avec TouchWiz : mais peut-on encore dire que le Galaxy S III utilise vraiment Android, tant celui-ci est masqué, au point même que certaines de ses fonctions de base sont remplacées par des équivalents conçus par Samsung ?
Le succès de Samsung repose en grande partie sur la conception de bons téléphones ayant accès aux nombreuses applications de Google Play, mais la société coréenne est aujourd'hui en position de force pour imposer sa vision d'Android, et d'un Android de facto privatisé.
Comme Amazon, elle est en train de constituer son propre magasin, S-Choice — et obtient déjà des exclusivités, comme celle de Flipboard. Ainsi, les services de Google, colonne vertébrale d'Android qui permettait de passer d'un fabricant à un autre, sont aujourd'hui passés sous silence par Samsung : Dropbox est préféré à Google Drive, S Beam éclipse Android Beam pour le partage via NFC, et S Voice snobe les Google Voice Actions tout en singeant Siri (on imagine l'ambiance lors de la prochaine réunion entre Tim Cook et Lee Kun-hee).
Certains y verront la preuve que l'OS de Google est ouvert et favorise l'« innovation », d'autres la confirmation qu'il facilite en fait la constitution d'un chapelet d'écosystèmes fermés et non interopérables.
Et un écosystème se ferme bien souvent par du matériel, un matériel sur lequel Google n'a aucun contrôle et auquel les autres fabricants ne pourront connecter leurs appareils : c'est le rôle par exemple du AllCast Dongle, un boîtier rappelant furieusement l'Apple TV et qui permet justement d'envoyer les contenus du smartphone vers un téléviseur. Un téléviseur Samsung, de préférence. La technologie de transmission, basée sur le Wi-Fi, est connue sous le nom de AllShare Play — l'inspiration d'Apple n'est là encore pas loin et Samsung vise clairement le modèle intégré de la firme de Cupertino.
Pour le moment encore, la somme des parties est inférieure au tout, et la construction de Samsung est un échafaudage de divers services pas toujours intégrés profondément au système, et communiquant plus ou moins bien entre eux. Mais pour combien de temps encore ? Certaines des fonctions de TouchWiz Nature UX comme Smart Stay (observation du regard de l'utilisateur pour ne pas mettre en veille l'écran automatiquement s'il le regarde) ou Pop Up Play (système d'application-dans-l'application) sont de véritables innovations qui montrent ce que Samsung pourrait faire en s'éloignant encore un peu plus du sillon tracé par Google.
Samsung joue donc à quitte ou double : si le public fait abstraction de son apparence quelconque, il pourra être la première pierre dans la construction d'un écosystème fermé de Samsung, fidélisant durablement ses clients, asseyant sa domination sur l'industrie de la téléphonie, et s'éloignant quelque peu de la copie parfois servile d'Apple et de l'inféodation à Google. Dans le cas contraire, Samsung sera pris au propre piège de son écosystème — HTC se fera sans doute un plaisir de revenir au premier plan.
Galaxy S III : l'anti-design
Dieter Rams disait d'un bon design qu'il devait être, entre autres choses, esthétique, innovant et discret : sur ces trois points, celui du Samsung Galaxy S III est un échec flagrant. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, mais force est de constater l'apparence très pauvre de ce qui se veut être le smartphone étendard de Samsung, encore plus fade que ne pouvaient déjà l'être les précédentes créations de la firme coréenne. Si ses prédécesseurs étaient des chefs-d'œuvre de design, on n'aurait rien à redire sur l'absence d'originalité du Galaxy S III — mais ce n'est pas le cas, et on peut donc déplorer que le bouton d'accueil soit directement emprunté aux smartphones bas de gamme sous Bada, et que les traits généraux rappellent particulièrement le Galaxy Nexus.
Ces deux points sont néanmoins sujets à critique, et la reprise d'éléments de langage esthétique d'un modèle sur l'autre participe à la construction d'une identité visuelle — fût-elle aussi pauvre que celle de Samsung, marque consensuelle jusqu'à l'invisibilité, qualité première pour un téléviseur ou un lave-linge, moins désirable pour un smartphone, objet qui est aussi marqueur d'un statut.
On peut plus difficilement contester le fait que l'apparence du Galaxy S III soit un « design d'avocats » comme le dit Android Police, un anti-design dirons-nous. La grande réussite d'Apple en 2012 est d'avoir forcé Samsung à concevoir un téléphone qui ne ressemble pas à l'iPhone — et lorsque les designers doivent répondre à un cahier des charges écrit par des avocats ou des législateurs, ils produisent des réfrigérateurs, faute de marge de manœuvre pour laisser place à toute forme de créativité, fût-elle inspirée.
On avait pu se moquer des conditions posées par Apple face à Samsung ou Motorola pour éviter tout procès :
- choisir une autre couleur que le noir en façade ;
- choisir une forme générale qui ne soit pas un rectangle parfait, ou qui n'ait pas de coins arrondis ;
- ne pas parfaitement centrer l'écran sur la façade avec des bordures latérales visibles.
Mais de fait, le Galaxy S III répond précisément à ce cahier des charges et se sépare de la plupart des points qui assimilaient directement le Galaxy S et le Galaxy S II à l'iPhone :
- il est disponible en blanc ou bleu, mais pas en noir ;
- les coins inférieurs et supérieurs n'ont pas le même profil et les côtés sont légèrement recourbés ;
- l'écran n'est pas centré, puisque la bordure inférieure est plus haute que la bordure supérieure.
Cette stratégie s'applique aussi au logiciel : les icônes carrées aux coins arrondis ou le dock d'icônes à la base de l'écran ont disparu au profit d'une présentation plus traditionnelle pour un smartphone Android. Apple avait attaqué Samsung sur des questions de « trade dress », d'identité visuelle, et c'est précisément ce point qui manque aujourd'hui à la firme coréenne. Un fait d'autant plus remarquable que HTC et Nokia, pour ne citer que deux fabricants, ont aujourd'hui frappé les esprits avec des modèles comme le One X (ci-dessous) ou le Lumia 800, qui montrent qu'il est possible de faire des téléphones innovants, solides, beaux, pratiques et emblématiques sans copier ou rappeler Apple.
TouchWiz Nature UX : l'anti-Android
On ne peut pas préjuger de l'accueil que réservera le public au Galaxy S III : la critique dénonce certes unanimement sa fadeur qui tend à la laideur, mais les Cassandres de l'iPhone 4S n'ont pas empêché Apple de vendre près de 70 millions d'exemplaires de son smartphone…
Quand bien même la firme coréenne n'en vendrait « que » quelques dizaines de millions qu'elle réussirait quand même son pari : faire un pas de plus dans la construction d'un écosystème fermé, et banaliser complètement le rôle de Google dans la conception d'Android. Comme HTC avec Sense, Samsung couvre Android avec TouchWiz : mais peut-on encore dire que le Galaxy S III utilise vraiment Android, tant celui-ci est masqué, au point même que certaines de ses fonctions de base sont remplacées par des équivalents conçus par Samsung ?
Le succès de Samsung repose en grande partie sur la conception de bons téléphones ayant accès aux nombreuses applications de Google Play, mais la société coréenne est aujourd'hui en position de force pour imposer sa vision d'Android, et d'un Android de facto privatisé.
Comme Amazon, elle est en train de constituer son propre magasin, S-Choice — et obtient déjà des exclusivités, comme celle de Flipboard. Ainsi, les services de Google, colonne vertébrale d'Android qui permettait de passer d'un fabricant à un autre, sont aujourd'hui passés sous silence par Samsung : Dropbox est préféré à Google Drive, S Beam éclipse Android Beam pour le partage via NFC, et S Voice snobe les Google Voice Actions tout en singeant Siri (on imagine l'ambiance lors de la prochaine réunion entre Tim Cook et Lee Kun-hee).
Certains y verront la preuve que l'OS de Google est ouvert et favorise l'« innovation », d'autres la confirmation qu'il facilite en fait la constitution d'un chapelet d'écosystèmes fermés et non interopérables.
Et un écosystème se ferme bien souvent par du matériel, un matériel sur lequel Google n'a aucun contrôle et auquel les autres fabricants ne pourront connecter leurs appareils : c'est le rôle par exemple du AllCast Dongle, un boîtier rappelant furieusement l'Apple TV et qui permet justement d'envoyer les contenus du smartphone vers un téléviseur. Un téléviseur Samsung, de préférence. La technologie de transmission, basée sur le Wi-Fi, est connue sous le nom de AllShare Play — l'inspiration d'Apple n'est là encore pas loin et Samsung vise clairement le modèle intégré de la firme de Cupertino.
Pour le moment encore, la somme des parties est inférieure au tout, et la construction de Samsung est un échafaudage de divers services pas toujours intégrés profondément au système, et communiquant plus ou moins bien entre eux. Mais pour combien de temps encore ? Certaines des fonctions de TouchWiz Nature UX comme Smart Stay (observation du regard de l'utilisateur pour ne pas mettre en veille l'écran automatiquement s'il le regarde) ou Pop Up Play (système d'application-dans-l'application) sont de véritables innovations qui montrent ce que Samsung pourrait faire en s'éloignant encore un peu plus du sillon tracé par Google.
Samsung joue donc à quitte ou double : si le public fait abstraction de son apparence quelconque, il pourra être la première pierre dans la construction d'un écosystème fermé de Samsung, fidélisant durablement ses clients, asseyant sa domination sur l'industrie de la téléphonie, et s'éloignant quelque peu de la copie parfois servile d'Apple et de l'inféodation à Google. Dans le cas contraire, Samsung sera pris au propre piège de son écosystème — HTC se fera sans doute un plaisir de revenir au premier plan.