Les imprimantes 3D existent depuis plusieurs décennies, mais font l'objet de curiosité accrue depuis quelque temps, et sont en passe de devenir accessibles à tous. Mais la portée d'un tel périphérique, s'il devait connaître la même destinée que son ancêtre en deux dimensions, pourrait bien changer beaucoup de choses, jusqu'à notre rapport aux objets.
Commençons par définir l'objet du délit : l'imprimante 3D est une machine capable de fabriquer, par divers procédés, un objet, en diverses matières, suivant un modèle tridimensionnel.
La plupart des imprimantes 3D fabriquent les modèles en superposant des couches de plastique, mais il est également possible d'utiliser de la mousse ou du métal, et même de sortir des objets en diverses couleurs. La course aux tarifs s'est accélérée de mois en mois, le dernier tenant du titre de l'imprimante 3D la moins chère est pour l'heure Printrbot, avec son premier modèle (en kit, mais sans nécessiter de soudure) à 549 $.
Les applications sont plus nombreuses à mesure qu'on en invente de nouvelles. Le prototypage tombe naturellement sous le sens, et fut la première application industrielle de ces machines. Les prothèses médicales sur mesure et les maquettes d'architecte ont également été un débouché tout trouvé, mais d'autres sont moins évidentes : cela va jusqu'à la maison imprimée !
Les amateurs y trouvent facilement leur compte, créant leurs propres figurines, ou des pièces pour réparer à neuf un objet défectueux à moindre coût. Mais l'impression 3D permet même de fabriquer des objets qui seraient impossibles à réaliser par n'importe quel autre moyen ! Si diverses entreprises proposent déjà des moyens de personnaliser leurs produits, ceux-ci sont encore limités aux coloris. L'impression 3D permettrait à chacun de faire sa version unique d'un produit, jusque dans ses formes, alors qu'on envisage de l'utiliser pour la production de masse. Du prêt-à-porter sur mesure, en somme.
Pour ceux qui s'intéressent aux opportunités offertes par l'impression 3D mais qui hésitent encore à faire l'investissement, nombre de sociétés proposent leurs services pour imprimer vos objets, par le biais d'un portail en ligne ou même d'une application sur iOS. Et quoi de plus personnel (ou de mauvais goût) que d'offrir une reproduction de votre bobine.
Une petite communauté d'adeptes enthousiastes s'est constituée autour de ces machines, savourant la magie de voir l'objet qu'ils ont imaginé naître du néant sous leurs yeux. MakerBot, l'une des sociétés aux avants-postes de l'impression 3D, a mis en place une plateforme de distribution pour les modèles créés par la communauté, Thingiverse. Et voilà l'inventaire à la Prévert qui prend forme, de l'endosquelette du Terminator jusqu'aux tringles à rideau en passant par des briques compatibles avec une dizaine de jeux de construction différents. Il suffit à chaque propriétaire d'une imprimante de la marque de télécharger les fichiers pour en posséder une copie physique.
Et c'est là que cette technologie soulève de nouvelles questions en matière de propriété intellectuelle. Si jusqu'ici la représentation d'un objet n'a jamais été soumise à controverse, les choses changent si cette représentation devient un moyen de reproduction sans même bourse délier, exposant ainsi les objets du monde réel aux avatars des œuvres de l'esprit.
Déjà, une première procédure judiciaire a été intentée, soulevant la question de la propriété d'une forme : Thingiverse a du retirer de son catalogue un modèle suite à la plainte d'Ulrich Schwanitz qui déclare être propriétaire de la forme. En cause, un astucieux modèle qui simule fidèlement le triangle de Penrose, une forme pourtant impossible à réaliser. Certains ont réussi à s'en approcher, grâce à une ouverture ou une vrille, mais le résultat n'est probant que d'un point de vue fixe. La solution trouvée exploite notre perception des ombres et notre biais cognitif qui nous pousse à supposer que des objets sont convexes alors qu'ils sont concaves.
La trouvaille fonctionne à merveille, et Schwanitz en vend le modèle sur http://www.shapeways.com, lui aussi consacré à l'impression 3D. La publication sur Thingiverse lui cause donc un manque à gagner. Le site communautaire, qui tient à la protection juridique offerte par le statut d'hébergeur, retire sans discuter le modèle litigieux, et l'affaire en reste là sans créer de jurisprudence. Le cas est singulièrement épineux à trancher pour le juriste, entre la liberté de chacun de recréer une forme, et celle des autres de tirer le légitime profit de leur création. Pour autant, Schwanitz n'est manifestement pas le premier à avoir trouvé cette astuce…
Avec les avancées en matière de capture de volumes, cette problématique pourrait à moyen terme défrayer la chronique judiciaire : si demain il suffit de se promener dans un magasin pour capturer la forme d'une statuette et la reproduire chez soi sur son imprimante 3D, cela risque de poser quelques problèmes… jusqu'à ce qu'une industrie se crée autour de cette technologie, avec des magasins en ligne qui vous vendront les modèles 3D que vous n'aurez plus qu'à imprimer. Le couplage d'un scanner à ces imprimantes pourrait permettre de "téléporter" un objet à distance. Si un bien peut être créé de toutes pièces à destination, plus besoin de le transporter, ni de le faire fabriquer à l'autre bout de la planète où la main d'œuvre est meilleur marché. Voilà qui pourrait bien chambouler certains équilibres économiques.
Mais il restera toujours des produits en matières nobles (cuir, bois, verre…), qui resteront à un stade plus artisanal en tout état de cause ou d'autres qui nécessitent un certain savoir-faire pour leur assemblage. Et il reste à voir si le grand public s'intéressera vraiment à ces étranges machines, qui demandent qu'on les nourrisse de données : encore faut-il pouvoir les leur procurer, ce qui demande un peu de savoir-faire. Comme le souligne Christopher Mims dans un billet sur ces questions, rien ne dit que le soufflé ne retombera pas, comme en son temps la réalité virtuelle. Ce à quoi Tim Maly répond que rien aux débuts de l'impression 2D ne laissait présupposer que de nombreux foyers s'équiperaient un jour d'une imprimante : cette technologie est partie d'un environnement professionnel coûteux et spécialisé pour finir par être exploitable, et exploitée, par le commun des mortels.
Difficile de dire pour autant si les scénarios de science-fiction qui se profilent finiront par prendre corps. Quoi qu'il en soit leur seule perspective est fascinante : d'ores et déjà, on étudie un moyen de tirer parti de cette technologie pour "imprimer" des organes, cellule par cellule…