Les différents opérateurs, notamment Orange, étaient partis en campagne ces derniers jours afin de tenter de contrer Free. Xavier Niel a profité de son passage à la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale pour essayer de mettre fin à certaines polémiques (cette audition peut être revue en ligne). Les membres de cette commission ont littéralement bombardé de questions le fondateur de Free sur les sujets du moment : la couverture du territoire, la 4G, la concurrence, le forfait social des opérateurs, la fibre optique ou encore les conséquences sur l’emploi…
Xavier Niel a été invité entre autres à présenter sa vision de la téléphonie mobile en France. Il n’a pas hésité à considérer les clients de ses concurrents comme des « vache à lait », notamment Bouygues (plusieurs fois la cible de piques) en évoquant les tarifs de ses forfaits illimités qui dépassaient en 2008 les 150 euros par mois. Il a d’ailleurs invité son concurrent à baisser ses prix plutôt que d’envoyer un peu partout en France (notamment en Bretagne) des huissiers pour s’assurer du bon fonctionnement des réseaux Free Mobile (Bouygues, comme les autres, avait démenti en être l'initiateur). Il s’est au passage moqué des fameuses photos montrant une Freebox dans un local technique Free Mobile. Photos qui aux dernières nouvelles auraient été prises dans un local de France Telecom à Lyon (lire : Ultimes détails sur la photo de "l'installation Free Mobile"). Une blague entre collègues ?
« Les prix n’ont pas baissé »
« Les prix n’ont pas baissé pour 90% des Français », a déploré Xavier Niel depuis le lancement de Free Mobile. L’homme a estimé que les opérateurs ont revu leurs prix uniquement avec leurs sous-marques (B&You, Sosh…). Il a insisté sur le fait qu’aucun des trois opérateurs n’est venu attaquer Free sur son forfait à deux euros, et ce pour une raison bien simple selon lui. Cela engendrerait une baisse significative du revenu annuel moyen par client (ARPU) pour ces acteurs.
Contrairement à ce que certains veulent faire croire (toujours de son point de vue), Free Mobile n’est pas un opérateur virtuel. Il repose actuellement beaucoup sur l’infrastructure d’Orange, tout particulièrement à Paris, mais ce n'est que temporaire. Au passage, il a laissé entendre que ses concurrents mettraient certainement des bâtons dans les roues de Free afin de compliquer le déploiement de son réseau dans la capitale.
Pour en revenir à Orange, Xavier Niel a expliqué que cet accord devrait rapporter plus d’un milliard d’euros à l’opérateur historique. Alternant souvent le froid et le chaud avec Orange, il a déclaré que celui-ci avait « le meilleur réseau », que c’était « l’entreprise dont nous nous sentons la plus proche » et que les équipes des deux groupes entretenaient « d’excellentes relations ». Par ailleurs, il a affirmé avoir choisi Orange, même si ce n’était pas l’offre la moins chère qui lui avait été proposée.
Mais Free a l’ambition de poursuivre la même stratégie pour le mobile que pour l’ADSL et de se déployer partout. L’opérateur dispose actuellement de 1000 antennes et espère en avoir 5000 le plus rapidement possible. Free prévoit d’investir massivement dans les trois années qui viennent afin de rattraper le plus possible son retard sur ses concurrents et (accessoirement) de dégager de meilleures marges.
Et c’est dans cette optique d’ailleurs que Free a acheté le spectre des 900 MHz, une bande qui permet « de couvrir relativement facilement le territoire ». Le dirigeant d'entreprise a expliqué également qu’il avait obtenu les fréquences 4G qui l’intéressaient, celles qui permettent d’avoir du débit dans des zones denses. Free, tout comme Orange, a obtenu 20 MHz de spectre contigu. « Nous pensons que la 4G est faite pour densifier. Orange et nous-mêmes avons obtenu 20 MHz de spectre contigu. C'était le seul qui nous intéressait, car nous avons du spectre 3G. Nous voulions le spectre le plus large possible, car ce que demandent les Français, c'est du débit ».
Xavier Niel a souvent été questionné sur sa vision du marché de la téléphonie mobile, notamment au sujet d’Orange qui, selon lui, est avec Free Mobile le seul acteur pertinent sur le marché (Stéphane Richard s'était récemment étonné de cette vision restrictive des choses venant d'un nouvel acteur qui critiquait la faiblesse de la concurrence en place). Pour le fondateur de Free, son modèle, c’est l’innovation, basée sur la DATA.
Orange, pour lui, est légitime, car il offre une « réassurance ». Et c’est d’ailleurs pour cela qu’il est plus cher que ses concurrents et que cela ne dérange pas les Français. Il estime que les autres sociétés [SFR et Bouygues] doivent se réinventer et « arrêter de singer l’opérateur historique ». D’autre part, Free publiera prochainement une offre afin que les opérateurs virtuels puissent s’ils le désirent accéder à son réseau.
Parmi les critiques faites à la concurrence, Xavier Niel s’est attaqué au système de subvention mis en place par les opérateurs. Pour lui, il s’agit « d’un crédit déguisé sans respecter la loi sur le crédit à la consommation ». Une manière d’inviter le législateur à se pencher sur cette problématique. Free Mobile souhaite offrir la liberté au consommateur, affirmant que ce n’était pas son métier que de vendre des téléphones et qu’il n’avait aucun problème si un client Free Mobile achetait son terminal ailleurs.
Un succès difficile à gérer
Free doit faire face à une demande sans précédent. Et elle dépasse manifestement les objectifs internes du nouvel entrant qui a été contraint de revoir son système d’informations de A à Z pour prendre en compte un tel afflux d’utilisateurs. Xavier Niel a avancé le chiffre de 3 à 4 millions de demandes d'information reçues dès le premier jour de lancement. Il a promis l’arrivée d’un espace client digne de ce nom d’ici quelques jours, dans lequel les possesseurs du forfait 2 € pourront bloquer certaines options.
Il a expliqué par ailleurs que Free a volontairement retardé d’une semaine la commercialisation de smartphones. Le premier objectif est de rattraper son retard actuel. Xavier Niel l’a répété, la plupart des problèmes viennent de ce que les serveurs en charge de la portabilité des numéros sont actuellement débordés. Ils ne peuvent traiter que 30 à 40 000 demandes par jour. Les choses pourraient cependant s’améliorer prochainement. La capacité des serveurs du GIE devrait être accrue d’ici la fin de la semaine et être en mesure de gérer 80 000 portages par jour. D’ailleurs, c’est cela et non la qualité de l’offre de Free Mobile selon lui qui a fait que certaines personnes ont fait marche arrière et sont revenues chez leur opérateur. Un phénomène encore limité si l’on en croit les propos de Stéphane Richard qui parle de « dizaines de personnes » dans un entretien chez Europe 1.
Stéphane Richard : "On avait très largement... par Europe1fr
C’est à ce jour selon Niel le principal problème de Free Mobile qui compte à ce jour plusieurs centaines de milliers d’abonnés, mais il a refusé d’être plus précis. Il a reconnu qu’il pouvait également y avoir quelques cas isolés de cartes SIM qui n’étaient pas arrivées à destination, chose normale pour lui au vu du volume généré : « On a des abonnés qui nous aiment bien, mais qui ne nous pardonnent pas grand-chose ». Il a oublié toutefois de mentionner une défaillance du système informatique de Free avec les numéro de rues se terminant en 0, qui fait que des cartes SIM n’ont pas toujours été envoyées à la bonne adresse. Ainsi, certaines SIM au lieu d’être envoyées au 90, sont arrivées au 9…
Contrairement à ce que certains laissent entendre (lire : Nouvelle polémique sur le réseau Free Mobile [MàJ]), Xavier Niel a affirmé que le réseau de Free Mobile est « ouvert et marche de manière significative ». Si l'on ne voit plus certaines bornes Free Mobile, ce serait lié à la « respiration des cellules 3G ». « Plus il y a de monde sur une cellule 3G, moins la couverture est étendue », ajoutant que tout cela est propre à la technologie UMTS.
Par contre, il a reconnu des problèmes avec Bouygues Telecom concernant l'échange de MMS, mais il s'est dit persuadé que l'opérateur qu'il affectionne tant travaille à corriger ce dysfonctionnement au plus vite…
image : Webatou
Fibre optique : la demande n’est pas très forte
Autre sujet discuté : la fibre optique. Les opérateurs ont véritablement débuté en 2006. À ce jour, « Paris n’est pas couvert à 100% ». Il faudra « une génération » pour fibrer l’ensemble du territoire. Xavier Niel a indiqué investir davantage que ses concurrents. Citant les chiffres de l’ARCEP, en 2010, Orange a engagé 80 millions d’euros, SFR 120 millions et Free 216 millions. Pour accélérer la cadence, Xavier Niel a estimé que les différents acteurs de ce marché devaient travailler ensemble « en bonne intelligence » dans les zones peu peuplées. À ce sujet, il a estimé que la demande du grand public pour la fibre optique « n’était pas encore là ».
Il a fait ensuite une distinction avec la concurrence en affirmant que Free avait des activités de croissance et non de rendement : « Le pourcentage du chiffre d'affaires que nous investissons est de 37%, la totalité de notre cash, contre 13% chez Orange, 12% chez SFR, 6% chez Bouygues Telecom ».
Free Mobile : une mauvaise chose pour l'emploi ?
Les députés ont également lourdement insisté sur la question de l’emploi. L’arrivée de Free Mobile est-elle une bonne chose ? Xavier Niel a répondu que le nombre de personnes travaillant dans les télécoms avait baissé jusqu’en 2009, année où Free a obtenu une licence pour devenir le quatrième opérateur. Le groupe a embauché plus de 1000 personnes pour s’occuper de Free Mobile et continue de recruter. Cela crée également plusieurs milliers d'emplois indirects, dans le BTP notamment avec l'installation des antennes. Pour enfoncer le clou, il a invité les députés à comparer le ratio CA/employés de Free et de Bouygues Telecom. Ce dernier, qui emploie 9000 personnes, aurait 4000 employés de plus s’il avait les mêmes ratios que Free (lire aussi cette interview de détracteurs de la stratégie de Free, chez Libé : «La stratégie Free, c'est la mort des investissements»).
Xavier Niel s’est exprimé au sujet de l’affaire MegaUpload et des différentes lois pour lutter contre le piratage, que ce soit en France ou aux États-Unis. Le directeur de la stratégie d'Iliad estime que dans tous les cas, l’intervention du juge est indispensable. On ne peut couper Internet sans une décision de justice. S’il a reconnu volontiers qu’il fallait tout mettre en oeuvre pour lutter contre le piratage, la question du partage se pose dans l’industrie de la création. Niel a rappelé que cette année, Universal avait battu des records de profits et que dans le même temps à l’exception de quelques-uns, les temps étaient difficiles pour les artistes. Au passage, le dirigeant n’a pu s’empêcher de faire remarquer que les artistes qui roulaient sur l’or étaient rarement imposés en France.
photo Nokia : merci Eric
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