Incontournable sur les ordinateurs, Flash n’a pas réussi à négocier le virage du post-pc. Bloqué par Apple sur iOS, Adobe a échoué à créer un véritable engouement sur les autres plates-formes. L’éditeur de San Jose a donc décidé d’arrêter les frais, d’adopter une nouvelle stratégie et ouvre ainsi un boulevard au HTML5. Explications…
Flash est né sous le nom de FutureSplash à une époque où le débit des modems se mesurait encore en bauds, et pour cause : au lieu de faire transiter des images par le réseau, les fichiers Flash se contentaient d'envoyer la "recette" (définition des points, courbes, couleurs) qui permettait au plug-in de reconstituer ces images vectorielles en temps réel côté client.
Ce que Flash permettait d'économiser en bande passante était donc déporté en matière de ressources matérielles : pour animer une image vectorielle, il fallait plus de mémoire et plus de ressources du processeur. Un sacrifice bien volontiers concédé au vu du résultat et de la rapidité à faire transiter une jolie animation sur si peu de bits par seconde. Si la vidéo est plus gourmande encore pour le processeur, ça n'est qu'à cause de la compression, qui rapproche l'affichage d'une image bitmap de celle d'une image vectorielle, en exigeant du processeur qu'il reconstitue l'image à partir de ses éléments de base.
Les animations vectorielles n'ont à vrai dire rien de bien nouveau : elles permettaient déjà de suppléer à l'impossibilité matérielle d'afficher de la vidéo sur les machines d'antan. Ainsi, la démo State of the Art du groupe Spaceballs permettait dès 1992 de présenter des animations de toute beauté, en plein écran sur un Amiga 500, alors même que QuickTime, mis sur le marché à la fin de l'année précédente par Apple, se limitait à de véritables timbres-poste (160x120 à 3 images par seconde) sur des machines autrement plus puissantes.
Et pour cause puisque QuickTime était autrement plus versatile : à l'inverse des animations vectorielles, le logiciel d'Apple pouvait prendre en charge n'importe quel type d'images et d'animations (lire QuickTime X : Tabula Rasa). En 1991, Eric Chahi publiait son jeu Another World, dont toutes les cinématiques étaient également en animation vectorielle.
Flash s'inscrit donc dans cette tradition, et s'est donc trouvé parfaitement adapté aux premiers pas du web. Mieux encore, avec l'ajout d'un langage de programmation de type script, Flash permettait à peu de frais de proposer une expérience interactive et homogène sur tous les navigateurs, et faisait office de lingua franca à une époque où précisément Internet Explorer faisait la pluie et le beau temps tout en faisant gaillardement fi de tout standard : Flash était la seule voie du salut.
C'est fort de sa base installée impressionnante que Flash est devenu le standard du web de facto, ouvrant à tous des fonctionnalités que les navigateurs ne proposent pas encore en standard, comme la vidéo. Et tout comme pour Internet Explorer, c'est le même statut qui l'a propulsé dans l'immobilisme.
En dépit des services qu'il a rendus, Flash est devenu très encombrant pour les industriels qui en sont devenus dépendants. Les utilisateurs de Mac ne le savent que trop bien : Flash s'est illustré depuis quelques années par son incroyable gourmandise matérielle, la moindre lecture d'une vidéo avec Flash faisant surchauffer le processeur, lancer les ventilateurs à pleine charge, et mettait la machine à genoux. Adobe s'est réfugiée derrière une excuse toute trouvée, en déplorant le fait qu'Apple n'avait pas ouvert l'accès à l'accélération matériel pour le décodage de vidéo sur Mac OS X, tout en occultant bien commodément que tous les autres logiciels gérant de la vidéo étaient logés à la même enseigne sans pour autant présenter les mêmes symptômes. Le prétexte n'aura d'ailleurs pas tenu longtemps puisqu'Apple proposait peu après cet accès sans que les choses ne changent fondamentalement pour Flash. Si Adobe a manifestement été aiguillonnée par les remarques acerbes de Steve Jobs et a fait des progrès en terme d'efficacité sur Mac (il faut dire qu'on partait de loin), le constat reste très mitigé pour Flash.
Comment donc espérer que Flash puisse être un tant soit peu exploitable sur les plateformes mobiles si Adobe se montre déjà incapable de tirer un meilleur parti de machines autrement plus puissantes ? Si un MacBook Air gagne jusqu’à 30 % de longévité sans Flash, que dire d'un appareil de poche (lire Le MacBook Air se porte mieux sans Flash). Et s'il est bien une preuve que Flash est résolument trop gourmand pour ces processeurs plus sobres, c'est le fait qu'Adobe elle-même ait distribué un "Flash light", expurgé de nombre de fonctionnalités pour pouvoir être tout bonnement exploitable sur les appareils les plus modestes.
Les problèmes ne s'en tiennent d'ailleurs pas là, puisque Flash s'est montré particulièrement instable, Apple l'accusant d'être responsable de la grande majorité des plantages sur Mac OS X. Pire encore, de nombreux trous de sécurité dans le code du plug-in exposent les machines aux hackers mal intentionnés, et seule Adobe est à même de pouvoir les combler sans qu'Apple ou Microsoft y puissent quoi que ce soit. Apple n'a manqué aucune occasion de souligner l'inadéquation de Flash sur iOS, en rappelant que l'absence de clavier physique et de souris rendait inexploitables nombre de contenus en Flash qui les exigeaient.
Mais c'est bien la faille du post-pc qui aura été le dernier clou dans le cercueil de Flash. Dans une dispute particulièrement acerbe et publique avec Adobe, Apple a pointé du doigt tous les manques de Flash, et y ajoute sans doute le pire d'entre tous : Adobe s'est avérée incapable de proposer à Apple une version de Flash qui soit à la fois réactive et économe en énergie, deux conditions indispensables à la viabilité sur les plateformes mobiles.
Adobe aura bien tenté de donner tort à Apple par les faits, en proposant une version de Flash sur Android, webOS et QNX, mais les critiques sont sans appel, validant au contraire le choix d'Apple. Entre temps, Adobe n'avait de cesse que de promettre que la version suivante y mettrait bon ordre sans que rien ne vienne le démontrer dans les faits, et les supporters d'Android avaient au moins cet "avantage" à mettre en avant, quelle que soit sa validité. Dorénavant, on pourra faire l'économie de ce faux débat. Gageons que ce qui était autrefois garanti comme indispensable ne méritera demain que peu de regrets de la part de ses défenseurs d'hier, et que ceux-ci se consoleront de cette défection sans trop de difficulté. Apple et Adobe avaient laissé le consommateur arbitrer leur querelle, en tout état de cause, il semble que le support de Flash n'ait apporté aucun engouement notable pour les tablettes Android.
Mais de la même manière que Flash a offert aux développeurs web la voie de la moindre résistance par rapport aux limites et incompatibilités des navigateurs de naguère, son absence sur iOS a été la faille qui lui a fait perdre son statut de plateforme universelle (lire Quand Adobe et Apple se disputent le web). Toutes les plateformes mobiles ne sont pas capables d'exécuter du contenu Flash, mais toutes sont capables d'afficher du HTML5 à l'aide du moteur Webkit, qui devient donc le plus grand dénominateur commun sur ces machines. Et maintenant qu'Adobe jette officiellement l'éponge sur le marché mobile et qu'IE6 sombre dans l'oubli, la contagion finira par s'étendre aux ordinateurs : HTML5 offrira la voie de la moindre résistance, permettant aux développeurs web de ne développer qu'une seule fois pour s'adresser à tous les écrans connectés, comme autrefois Flash permit de le faire. En somme, la prophétie de Steve Jobs était autoréalisatrice. Flash ne disparaîtra pas, car il continuera de rendre des services qu'il est seul à même de pouvoir fournir, mais il n'aura plus l'importance et l'influence qu'il a eue naguère.
Mais après tout, Adobe ne vend pas son plug-in, et sa popularité n'est qu'un garant en termes de vente des logiciels qui permettent de réaliser le contenu compatible : il lui suffira de proposer un export HTML5 pour ne rien perdre au change. C'est du moins l'argument qu'Adobe avance depuis la fameuse discorde, mais celui-ci n'offre qu'un tableau incomplet. Avec son plug-in, Adobe restait seule maîtresse des fonctionnalités qu'elle jugeait bon d'y ajouter ou non, désormais elle sera tributaire de celles que le W3C implémentera dans son standard, et sera logée à même enseigne que tout autre éditeur de logiciel. Elle y perd donc un avantage stratégique de poids.