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Post-PC : le bouleversement de toute une industrie

Arnaud de la Grandière

lundi 22 août 2011 à 16:18 • 94

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Avec le rachat de Motorola par Google et l'abandon du matériel par HP, les cartes continuent d'être redistribuées dans un marché résolument très fluide.

Du côté du PC, c'est une véritable hécatombe : les plus grands fabricants se sont éteints ou retirés du marché les un après les autres : IBM, Gateway, Compaq, et maintenant HP, faisaient pourtant figure de forteresses imprenables, avec des chiffres de vente plus que respectables. Ces prestigieuses sociétés ont été victimes d'une guerre tarifaire sanglante, et à vrai dire inéluctable.

Avec une plateforme matérielle figée et partagée par tous, et un seul système d'exploitation pour les gouverner tous, la seule manière de tirer son épingle du jeu et de faire la différence avec une pareille donne est d'être le moins cher. À ce petit jeu, ce sont les petites structures qui sont les mieux armées : les mastodontes ont un train de vie trop dispendieux pour survivre. Cela pourrait surprendre étant donné les économies d'échelle que ces sociétés peuvent exploiter, mais ces sociétés sont en concurrence avec leurs propres fournisseurs.

Apple, de son côté, a fait le pari inverse : en misant sur le design, la qualité, les finitions, une plateforme matérielle et logicielle qu'elle maîtrise quasiment de bout en bout, tout différencie le Mac des autres machines, et justifie donc une grille tarifaire différente, en dépit des cassandres qui exigeaient de manière insistante qu'Apple se lance dans cette guerre des prix. Le passage à Mac OS X fut un virage serré, alors que le Mac relevait à peine la tête (lire Il y a 10 ans, la naissance agitée de Mac OS X). Mais le pari a été plus que payant, puisqu'en ayant une part de marché bien moindre, elle cumule des bénéfices autrement plus confortables. D'aucuns ont chanté un peu trop vite la geste victorieuse du PC en oubliant que le but n'était pas de vendre le plus d'unités possible, mais de gagner le plus d'argent. Sur ce critère, le Mac est amplement vainqueur : Apple gagne plus d'argent que HP et Dell réunies, pourtant numéro un et deux du marché respectivement, du moins en volume. Et le fait que les numéros un du PC se retirent du jeu les uns après les autres montre que cette première place n'est guère enviable.

Pire encore, le Mac connaît une croissance insolente, faisant mieux que tout le reste de l'industrie depuis pas moins de cinq années consécutives. Moralité, les marges confortables d'Apple sont augmentées d'autant, et creusent un peu plus l'écart. Les derniers chiffres de Gartner sont encore plus surprenants, avec une baisse des ventes de 18 % pour le PC (lire Les ventes de PC s'effondrent en Europe de l'Ouest), Acer elle-même a perdu 42 % de ses ventes (lire Acer : disputes autour de l'iPad). La crise est certes passée par là, mais Apple semble vivre en autarcie de toute conjecture défavorable, et il est difficile de ne pas entrevoir dans ces mauvais chiffres un effet iPad.

Car si Apple a reproduit avec succès sa méthode, d'abord avec l'iPod, puis l'iPhone (lire : La méthode Apple (ter)), elle a cependant changé son fusil d'épaule avec l'iPad, seul domaine totalement vierge où elle n'avait aucune concurrence.

En l'espèce, il s'agissait pour Apple d'amorcer la pompe d'un écosystème quasiment neuf : pour que les développeurs se mettent à créer des applications pour iPad, et ainsi ajouter de l'intérêt à sa plateforme naissante, il fallait une base installée suffisante, même en s'appuyant sur la compatibilité avec l'iPhone (qui n'a guère tenu lieu que d'amuse-gueule). Sachant qu'elle partait déjà avec une tête d'avance sur sa future concurrence, elle a fait le choix d'enfoncer le clou avec une gamme tarifaire bien inférieure à que ce qu'on attendait, réussissant avec l'iPad par là où elle avait échoué avec le Mac (le prix d'introduction du Mac était bien plus élevé que ce qu'Apple projetait initialement). Apple a clairement considéré que non seulement l'iPad était un produit de consommation de masse, mais qu'il était voué à succéder au PC pour le commun des mortels, et au-delà. Il faut dire que la société a bien muri depuis ses premières heures, et qu'elle sait de triste mémoire qu'avoir le meilleur produit ne suffit pas : elle a bâti en coulisse une infrastructure très solide, qui vont d'un réseau de distribution propre jusqu'à des économies d'échelle fermement négociées.

On assiste à une situation ubuesque où les champions du low-cost n'arrivent pas à s'aligner sur les tarifs du champion de la forte marge, pas même ceux chez qui Apple se fournit. Une situation d'autant plus préoccupante pour les fabricants de tablettes Android, que ceux-ci ne peuvent plus compter sur la subvention des opérateurs téléphoniques comme ils l'ont fait pour écouler avec succès leurs smartphones du même cru. D'autre part, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ils sont à nouveau en peine de pouvoir se différentier les uns des autres, hormis la surcouche graphique qu'ils peuvent ajouter sur Android, et qui jusqu'à maintenant n'a guère suffi à les faire sortir du lot. Reste donc la sempiternelle guerre des tarifs, vers laquelle certains semblent déjà s'orienter (lire Le fondateur d'Acer : « Les tablettes ne sont qu'une mode »).

Seule solution pour battre Apple sur le tarif : baisser les ambitions, d'autant que la gestion du multitâche sur Android exige plus de puissance, et proposer des "nouveaux formats" de tablette : en réalité l'écran sept pouces aura été le seul moyen de pouvoir proposer des tarifications inférieures à l'iPad, et encore. On commence cependant à trouver de plus en plus de tablettes à 300 €, mais l'iPad a inscrit un seuil psychologique dans l'esprit du consommateur, tant en termes qualitatifs qu'en termes de tarification : tout ce qui est en deçà ne fait guère figure que de copie bon marché, incapable de rivaliser sur le plan de la qualité. Le constat est sans appel, tant dans la critique que dans l'accueil réservé par le public : l'iPad se taille la part du lion.

La mayonnaise semble vouée à ne jamais prendre, mais d'autres acteurs ont tâché de reprendre à leur compte la recette d'Apple. Il semble que Google, après quelques tentatives sur la gamme Nexus, se soit décidé, avec le rachat de Motorola, à peser plus lourd dans le design matériel des téléphones Android. De tous, HP était sans doute celle qui avait les meilleures chances, et on pouvait placer quelques espoirs dans sa stratégie après l'annonce du rachat de Palm. webOS est sans conteste un OS plein de qualités, qui fait des propositions courageuses et originales, et HP a montré sa maîtrise du matériel : en cumulant les deux, elle aurait été entièrement maîtresse de sa destinée, tout comme l'est Apple. Malheureusement, le rachat de Palm était le projet de Mark Hurd, limogé de manière peu glorieuse par le conseil d'administration de HP (lire HP/Oracle : du rififi dans la Silicon Valley), et non celui de Leo Apotheker, fraîchement arrivé de la direction de SAP. Ce dernier a donc laissé le projet TouchPad arriver à terme, pour finir par lui couper la tête au premier signe de faiblesse sans lui donner plus de chance, et a totalement bouleversé la nature même de HP, pour passer aux services et à la logistique… tout comme il le faisait chez SAP.



C'est du moins l'explication avancée par John Gruber, qui ne manque pas de mérite. Toutefois, il aura bien fallu qu'Apotheker vende l'idée au conseil d'administration de HP. On ignore quels furent les arguments avancés, mais on peut les deviner en lisant la déclaration de Leo Apotheker : l'effet iPad, que le PDG de HP nomme pudiquement "effet tablette", mais sachant que cet effet ne s'est pas fait sentir pour le TouchPad, il faut donc y voir une validation de l'iPad comme incarnation de l'ère "post-pc". Si l'iPad est un succès incontestable, il est encore loin d'avoir supplanté le PC, mais ce bouleversement démontre que Steve Jobs n'est plus seul à croire à sa bonne étoile : elle a déjà sorti le numéro un mondial du ring. Comble de l'ironie, c'est chez HP que le jeune Steve Jobs fit ses premières armes, sur le terrain même où siègera demain le futur vaisseau mère d'Apple.

IBM a brillamment réussi sa reconversion, reste à voir si HP s'en tirera aussi bien. On attend également de voir les premiers fruits de l'union entre Google et Motorola, dont les cultures d'entreprise sont radicalement différentes. Et au train où vont les choses, il faut s'attendre à d'autres annonces du même cru : les forces en présence sont en plein rééquilibrage, fourbissant chacune leurs armes avant que la réelle bataille ne commence.
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