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HP quitte le PC

Florian Innocente

vendredi 19 août 2011 à 16:22 • 93

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"Nous sommes incroyablement enthousiastes sur les opportunités autour de webOS, ainsi que le sont nos 300 000 employés, nos 110 000 commerciaux et intégrateurs, nos 13 000 partenaires dans la grande distribution… beaucoup de monde est emballé par le potentiel de webOS, mais nous avons aussi beaucoup de travail devant nous”.

Ces propos tenus durant une interview à This Is My Next par Stephen DeWitt, Senior Vice President de la nouvelle division webOS global Business Unit ne datent pas d'avril 2010, au lendemain de l'annonce du rachat de Palm, mais d'il y a seulement un mois. Et le reste de l'interview, conduite avec la compagnie de Jon Rubinstein, ex patron de Palm, était à l'avenant. Pleine de superlatifs sur la manière dont HP allait gérer l'avenir de la plateforme, diversifier l'offre produit, améliorer l'OS et soigner sa relation avec ses clients. Honnête aussi dans la reconnaissance de certains problèmes qui avaient entaché le lancement de la première tablette webOS.

On serait prêt à parier que l'entrain et la bonne volonté qui émanaient de ces propos étaient sincères : les équipes en charge de webOS n'auraient pas appris la nouvelle avant la sortie du communiqué de presse… (lire : HP : la TouchPad handicapée par son manque de puissance ?). De même, 24h avant, le site d'HP France mettait en ligne un nouveau modèle de TouchPad à 64 Go au lieu de 32, une coque blanche et une puce plus rapide…

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En un mois tout a basculé. Un mois, c'est aussi le temps qui a suffi à Google pour négocier le rachat de Motorola et passer dans le camp des fabricants de téléphones. En un mois donc, toute la stratégie d'HP qui allait jusqu'à faire de l'OS mobile un quasi challenger de Windows - il était prévu que webOS accompagne celui de Microsoft sur ses PC - a volé en éclats. Pulvérisée sans sommation aucune. Rarement on a vu une famille de matériels, passer aussi rapidement de vie à trépas, un peu plus d'un an après leur rachat en grande pompe ! (lire aussi chez 01Net les réactions chez HP France).

On assiste depuis quelques années à des mouvements massifs, rapides et d'une incroyable brutalité. Dans le mobile par exemple, le revirement stratégique chez Nokia aux dépens de Symbian son OS historique. On a observé la descente aux enfers de Windows Mobile et sa remise à plat au profit d'un Windows Phone qui peine toujours à marquer des points, de l'aveu même du patron de Microsoft (lire Steve Ballmer : entre défaite et victoire). On voit que RIM est à la peine, bousculé et en pleine transition système. On a vu éberlué hier la manière dont HP a froidement abattu sa tablette et ses téléphones. Sans oublier bien sûr le règne, inimaginable il y a quelques années, d'Apple et de Google, à l'origine tous deux étrangers à ce milieu.

Dans le secteur informatique, les résultats financiers d'Apple qui détonnent tous les trimestres et cette décision d'HP de se redéfinir en éloignant le PC du coeur de son activité témoignent de la même dynamique. Les lignes du paysage changent, les frontières bougent, mais pas par touches discrètes, au gré de véritables séismes.

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Léo Apotheker, le PDG d'HP a donc annoncé hier plusieurs mouvements d'ampleur et une volonté de "transformer l'entreprise” afin de la diriger vers des secteurs à plus “grande valeur ajoutée” et assurant une “croissance des marges plus importante”. Des terrains qui excluent désormais le grand public au bénéfice unique des administrations et des petites et grandes entreprises. Une réorientation qui préserve l'activité imprimante, mais débarque l'ordinateur personnel, les smartphones et les tablettes.

Cela passe aussi par le rachat pour environ 10 milliards de dollars (7 milliards d'euros) d'Autonomy Corporation. Une société anglaise, dont HP était l'un des clients, spécialisée dans les logiciels de gestion de l'information et de l'exploitation de bases de données.

La division Personal Systems Group (PSG) - qui comprend les PC, webOS, la tablette TouchPad et les smartphones Pre, Veer - va être détachée de l'entreprise et devenir autonome. Mais HP ne ferme pas la porte à sa revente pure et simple. Ce processus ne va pas se faire en un claquement de doigts, il pourrait durer entre 12 et 18 mois, sauf pour les terminaux webOS qui ne seront plus vendus à partir du prochain trimestre. Apple avait également utilisé ce principe de filialisation avec sa plateforme Newton, avant que Steve Jobs, arrivé peu après, ne la réintègre pour mieux la supprimer quelque mois plus tard. Un autre exemple, plus positif celui-là, est FileMaker Pro, qui vit sa vie en marge des activités de son propriétaire à Cupertino.

HP ne se contente pas d'éloigner webOS, il stoppe tout futur développement matériel le concernant. La tablette TouchPad n'aura donc vécu qu'un mois et demi. Il y avait eu hier des rumeurs de niveaux ventes catastrophiques pour ce produit dans une grande chaîne américaine (lire HP TouchPad : peut mieux faire). HP a confirmé que cette activité matérielle autour de webOS avait pesé sur ses comptes : 332 millions de dollars de pertes sur ce trimestre et des perspectives couleur grisâtre.

Nos appareils webOS n'ont pas généré assez de ventes auprès des clients sur le marché et cela aurait pris trop de temps pour remonter la pente” a expliqué Catherine Lesjak la directrice financière. À peine lancée au début juillet, la TouchPad avait essuyé des critiques sur le manque de finition de son OS (lire HP TouchPad : une toute nouvelle tablette derrière l'iPad) et la pauvreté de son catalogue. En aucune mesure elle ne pouvait dans sa forme actuelle offrir une alternative à l'iPad.

Immédiatement ou presque, son prix - alors équivalent à l'iPad - avait été abaissé de 100 $ (ce qui en soi n'est pas rassurant en plein lancement). Mais ce fut en vain et au prix de marges encore plus rognées. Dès lors HP a préféré jeter l'éponge, non sans prévoir une dépense supplémentaire d'environ 1 milliard de dollars pour gérer l'arrêt de ses périphériques webOS.

Le rachat de Palm avait coûté 1,2 milliard, il avait été réalisé sous la houlette du précédent PDG d'HP, Mark Hurd. Léo Apotheker, appelé il y a neuf mois à le remplacer et venant de l'Allemand SAP (de grosses solutions de gestion d'entreprise, autant dire à des kilomètres du monde de l'ordinateur personnel et du grand public) s'était fait néanmoins l'avocat de cette opération et de ses opportunités (lire HP prépare un nouvel "App Store" et une bêta de webOS pour PC). Mais il aura certainement eu moins d'états d'âme à tirer un trait sur une décision de son prédécesseur.

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Dans le communiqué annonçant cette résolution, l'avenir de webOS est flou. HP dit étudier plusieurs options pour "optimiser la valeur de ce logiciel”. Cela peut passer par des accords de licence. Il a été fait mention à un moment aussi de l'utilisation de webOS dans les périphériques de HP, ce qui était prévu au départ. Mais c'est l'incertitude qui règne en premier lieu. Même si en coulisse certains propos se veulent rassurants.

Lors d'une réunion interne, raconte This Is My Next, Stephen DeWitt a clairement expliqué à ses équipes qu'HP allait continuer d'investir sur webOS avec l'intention de signer des accords de licence avec des fabricants de matériels. “Nous ne nous éloignons pas de webOS” aurait-il plusieurs fois déclaré.

Un plan doit être détaillé ces 15 prochains jours, mais il a aussi concédé que des inconnues subsistaient. Un participant a posé la question d'un accord avec HTC ou Samsung. Todd Bradley, l'un des vice-présidents d'HP a répondu qu'actuellement l'OS était conçu pour les processeurs de Qualcomm. Il faudrait d'abord arriver à réduire cette dépendance pour attirer de tels partenaires. DeWitt a ensuite admis que l'un des facteurs d'échec de webOS résidait dans la qualité du matériel qui l'accompagnait et que HP devait cesser “d'essayer de se forcer à mettre sur le marché des produits non compétitifs”.

HP s'éloigne de ses origines

La relégation de la division PC vers l'extérieur d'HP et le recentrage sur le service est un autre signe fort de la manière dont évolue l'industrie informatique. IBM avait procédé de même en décembre 2004 en revendant son activité d'ordinateurs personnels au chinois Lenovo pour devenir un groupe tourné vers le service. À l'époque le directeur financier d'IBM avait souligné l'avantage de l'opération “Nous aurons un chiffre d'affaires moins élevé, mais cela améliorera notre profil financier”.

Dire que cette décision d'Apotheker est un tremblement de terre est un euphémisme. Ce n'est pas un obscur fabricant qui réajuste ses priorités, HP n'est pas moins que le premier vendeur d'ordinateurs au monde. Il avait en 2002 racheté un autre protagoniste célèbre, Compaq, une marque toujours utilisée. Cette division PSG, qu'il éloigne, a réalisé un chiffre d'affaires de 41 milliards de dollars en 2010. Le nom d'HP, né en 1939 en Californie, est synonyme d'ordinateur au même titre qu'Apple. C'est au début des années 80 qu'il s'est lancé dans la micro informatique. Voilà ainsi un acteur historique de l'informatique qui laisse derrière lui une grande partie de l'activité qui a participé à le définir et à modeler cette industrie. Mais les résultats sur cette activité deviennent pesants. Si les ventes de PC HP auprès des pros ont augmenté de 9 % ce dernier trimestre, celles auprès des particuliers ont chuté de 17 %.

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Léo Apotheker, lors de la présentation des résultats trimestriels, a eu cette observation qui rend compte des bouleversements en cours. “Il se produit clairement un mouvement séculier dans l'espace grand public. La situation économique a joué sur nos ventes et l'effet tablette est réel". Ce constat sur la tablette dont l'influence est mesurable, Apotheker l'a fait à deux reprises durant cette réunion.

La tablette ne va pas remplacer l'ordinateur, qui reste incontournable pour quantité d'activités, mais elle commence à se voir dans le paysage. L'ordinateur, lui, s'est fondu dans le décor. Il est devenu un produit de consommation courante au profil commun d'une marque à l'autre. À partir du moment où ses grandes masses (OS, processeur, carte mère et carte graphique) proviennent du même fournisseur, la marge de manoeuvre pour se différencier se réduit à peau de chagrin. La dernière variable de différenciation est celle du prix, avec à la clef un impact négatif sur les marges, donc sur la rentabilité et in fine l'attrait de cette activité pour ses actionnaires.

Apple a su se tenir à distance de ce siphon. Non qu'elle se fournisse chez des fabricants inconnus de ses concurrents, mais par le recours à des critères distinctifs plus forts : le design en est un et l'OS en est un plus important encore. Mais pas seulement. Par sa taille et sa volonté aussi de ne pas être à tout prix présente sur tous les marchés, elle a pu tenir une gamme resserrée et dégager de confortables marges.

Mieux, elle se permet de déjouer l'effet de gravité qui tire les fabricants de PC vers le sol. En février dernier, Tim Cook, le directeur général d'Apple, rappelait qu'il s'agissait du 21e trimestre consécutif où la croissance des ventes de Mac dépassait celle des PC, et de loin. Cela dure donc depuis cinq ans !

Encore cette semaine, les chiffres de Gartner, sur le dernier trimestre et pour l'Europe de l'Ouest, montraient qu'Apple avait réussi à vendre plus de machines que l'année précédente alors que dans le même temps, ses voisins affichaient des croissances négatives. Quand ils ne s'effondraient pas à l'image d'Asus et Acer, les spécialistes du pas cher (lire Gartner : Apple entre dans le top 5 en France).

Mais au-delà de cette capacité de différenciation et de cette bonne gestion, il y a tout l'écosystème Apple. Appareils mobiles, applications, boutiques de contenus et de logiciels… Apple ne vend pas un Mac elle vend un environnement au sens très large du terme, jusque par ses propres canaux de distribution, formation et SAV avec les Apple Store. Une solution globale qu'aucun autre constructeur n'a pu reproduire dans son ensemble. Et vu le temps mis pour assembler ce puzzle, on imagine mal un fabricant y parvenir de sitôt, quand bien même en aurait-il la volonté.

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Sur cette notion d'écosystème les propos d'Apotheker sont sans ambiguïté “Le marché de l'ordinateur personnel évolue très rapidement avec de nouvelles formes de produits et des écosystèmes d'applications. Au vu de cette réalité, HP estime qu'il est dans l'intérêt de la société et de ses actionnaires d'explorer de nouvelles voies pour le Personal Systems Group, qu'il puisse se repositionner et réagir à ces changements rapides, afin de maintenir sa position de leader en technologie et en part de marché”. Si cela se traduit par une revente, ce sera au nouveau propriétaire de se débrouiller pour trouver la recette.

Il va être intéressant de voir si cette annonce aura des effets auprès des concurrents d'HP. Tous sont confrontés au même dilemme, mais au moins HP a cette capacité de pouvoir élaguer l'une de ses activités sans disparaître pour autant.

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