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Eric Schmidt : Google et le « gang des quatre »

Anthony Nelzin-Santos

mercredi 01 juin 2011 à 17:30 • 10

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À l'occasion de la neuvième conférence All Things Digital, rendez-vous annuel du gratin de l'informatique, Eric Schmidt s'est exprimé de manière très générale sur Google, répondant aux questions de Walt Mossberg et Kara Swisher sur la vie privée, le futur de la société, Android… et le gang des quatre, Amazon, Apple, Facebook et Google. Résumé.

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Images © Asa Mathat / All Things D


Le gang des quatre et l'innovation
Amazon, Apple, Facebook et Google, voici le « gang des quatre », défini par Eric Schmidt comme « des sociétés exploitant parfaitement une stratégie de plateforme ». Microsoft est donc tenue à l'écart de ce groupe de « marques grand public [fournissant] quelque chose que vous ne pouvez pas faire ailleurs ou autrement » : la firme de Redmond serait uniquement une entreprise au service des entreprises, et non du grand public.

Eric Schmidt explique que chaque membre de ce gang des quatre possède « une portée et des ressources financières dont une société seulement pouvait se targuer il y a dix ou vingt ans ». De manière étrangement humble pour ce dirigeant connu pour ses frasques verbales, Schmidt est persuadé que ces quatre sociétés ne pourront pas rester au sommet de leur forme de manière permanente : « toute la question est de savoir si et comment ces sociétés peuvent maintenir l'excellence de leurs produits dans le futur ». De même, aucune de ses sociétés ne pourra prendre le dessus sur toutes les autres : les autorités de la concurrence l'empêcheraient.

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« C'est un axiome : plus le temps passe, et plus le temps passé par une société au top de l'Internet se réduit », explique-t-il : ce gang des quatre pourrait donc être renversé du jour au lendemain. Il imagine plusieurs scénarios, de la chute d'une de ces quatre sociétés, qui serait dès lors remplacée par une autre, à la montée en puissance d'une société qui n'est pas dans ce top 4. Il mentionne notamment Paypal ou Twitter, qu'il n'hésite pas à positionner à la cinq et sixième place de son classement.

Eric Schmidt assure cependant que Google a bien l'intention de rester le plus longtemps possible au sommet par une politique énergique d'innovation, à la fois interne (nouveaux développements) et externe (acquisitions). L'innovation est le seul remède à la maladie qui ronge progressivement toutes les sociétés technologiques : « deux types montent une société, entrent en bourse, deviennent riches, et la société devient "asymptotiquement" ennuyante et elle vieillit ».

Le gang des quatre : la concurrence de Google
Amazon, Apple et Facebook font certes partie du même club, mais Google est en concurrence frontale avec eux : « nous sommes partenaires [de ces sociétés], mais aussi concurrents ».

« Nous avons vraiment essayé de nous accorder avec Facebook » répond un Eric Schmidt sur la défensive à une Kara Swisher qui lui fait remarquer que Google coure après Facebook sur le terrain du social depuis quelques années sans parvenir à rivaliser. « Facebook a fait plusieurs choses que j'admire » : Eric Schmidt a toujours été partisan d'un Internet sans anonymat (« l'identité/identification est incroyablement utile parce que dans le monde numérique, vous avez besoin de savoir à qui vous avez affaire »).

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Après Buzz, Google va à nouveau tenter d'injecter du social dans ses activités avec le service « +1 », qui permet d'indiquer que l'on « aime » un lien à ses amis. Avec les comptes Google, la firme de Mountain View va ainsi construire son propre graphe social. Officiellement, Eric Schmidt assure que ce produit n'est pas un concurrent de Facebook, mais la stratégie est en fait la même : mettre les amis au centre de la recherche pour ajouter à l'intelligence artificielle l'intelligence humaine (et accessoirement utiliser l'intelligence humaine pour apprendre à la machine).

L'ancien CEO de Google, désormais président, assure que les relations avec Apple sont du même ordre qu'avec d'autres sociétés : cordiales dans la limite des champs où elles sont concurrentes. Ainsi, Google « a tout juste renouvelé ses accords avec Apple pour l'utilisation des services de recherche et de cartographie ». Schmidt coupe ainsi court aux rumeurs prêtant à Apple l'intention de se passer de Google Maps dans iOS 5, au profit d'une solution maison. Même chose avec Amazon, qui fournit après tout une boutique musicale à Android.

Google, la tête dans les nuages
Google, Apple et Amazon sont partenaires certes, mais aussi et surtout concurrents. Google et Amazon s'écharpent par exemple dans le domaine du casier virtuel, sur lequel Apple devrait les rejoindre dès la semaine prochaine avec iCloud. À ce propos, Eric Schmidt tient à préciser que « Google est plus qu'une société de recherche et de publicité ». La firme de Moutain View serait d'abord et avant tout « une société de cloud computing », pour reprendre le terme à la mode, « faisant un navigateur, des cartes, et plus encore ».

Google part du principe que tout doit être gratuit et accessible au plus grand nombre (ou du moins sponsorisé par la publicité), à part quelques fonctions payantes réservées au monde de l'entreprise. Une vision que ne partagent évidemment pas les majors, qui ont du mal à s'adapter au passage de l'économie de rareté à l'économie de l'accessibilité et de la circulation : Google a tenté de construire un service qui soit plus qu'un casier numérique dans lequel stocker ses morceaux, mais a toujours échoué, comme d'autres acteurs du marché, à trouver des accords autour d'un système de streaming musical. Schmidt reconnaît l'avance d'Apple dans le domaine avec iTunes, avance qui lui aurait permis de signer ces fameux accords pour iCloud, et de proposer bien plus que ce qu'Amazon et Google ne peuvent avancer.

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Google Music est important pour la stratégie mobile de Google : « la musique est devenue nécessaire sur ces appareils ». C'est d'ailleurs sur ce terrain qu'Apple et Google sont le plus opposées, sans que cela ne semble alarmer Schmidt. Son hypothèse est simple : il y a suffisamment de place pour Android et iOS, et mieux encore, la concurrence de ces deux OS suffit à saturer le marché du développement (attrait pour les outils de développement et le volume généré). Objective-C pour iOS, Java pour Android : les développeurs n'ont pas le temps ou les ressources pour maîtriser plus de deux langages et entretiennent donc la domination de ces deux plateformes.

D'où la question de Loic Le Meur, le fondateur de Seesmic : Android n'est-il qu'une étape avant la plateforme universelle qu'est la plateforme HTML5 ? La question est censée : avec Chrome OS, son autre système d'exploitation, Google promeut l'universalité du Web (lire : Android et Chrome OS : Google doit-elle choisir ?). La réponse de Schmidt préserve l'ambivalence entre les deux discours de Google : « il y aura un point de convergence dans le futur [entre Android et les Chromebooks] ». « De notre point de vue, [Android et Chrome OS] font des choses différentes […] Une manière simple de comprendre est de penser aux appareils tactiles comme les smartphones et [tablettes] (Android) et des appareils à clavier physique (Chrome OS) », explique-t-il. « Un point de convergence potentiel est que les gens construisent des wrappers autour d'applications Java pour qu'elles s'exécutent [dans le navigateur] », imagine Schmidt ; la solution la plus directe et déjà utilisée est peut-être plus simplement d'enfermer une web-app dans une webview native, ici pour Android, là pour iOS. Le débat natif/universel est en tous cas loin d'être terminé, et progresse au contraire au fur et à mesure des avancées technologiques des deux camps et de l'évolution du paysage économique dans le cadre de la guerre des plateformes.

L'épineuse question de la vie privée
Schmidt est peu revenu sur Android, présent au détour d'une nouvelle démonstration de Google Wallet (lire : Google Wallet : le téléphone comme portefeuille). L'épineuse question de la vie privée, elle, est revenue sur le tapis comme les mouches sur le papier collant. Selon Kara Swisher, Steve Jobs aurait en effet décrit les smartphones Android comme « des fouines au fond de votre poche », sous-entendant qu'ils collectent trop de données. De quoi provoquer une réaction épidermique de Schmidt : « pour être très clair : ce n'est pas ce que nous faisons ».

Le fond du problème tient à ce que les applications collectent : Android comme iOS imposent des avertissements, mais Google a décidé de ne pas vérifier a priori le fonctionnement des applications. « Que pourrions-nous faire d'autre ? », demande-t-il : « Apple et Google ont deux modèles opposés : ils modèrent a priori, nous ne le faisons pas ». Le président de Google a logiquement tenu à faire le point sur la politique de gestion des données privées de la société.

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Schmidt, qui devrait être impliqué dans la campagne d'Obama pour l'élection de 2012 et à qui l'administration actuelle aurait offert le poste de ministère du Commerce, a réitéré son opposition à une intervention gouvernementale dans la gestion des données personnelles et la régulation d'Internet. On sait que lors de l'eG8, Eric Schmidt s'est fortement opposé à la volonté régulatrice de Nicolas Sarkozy : « avant que l'on ne décide d'une régulation […] demandons-nous d'abord s'il existe une solution technique qui puisse s'adapter, être déployée mondialement, et évoluer rapidement. Parce que nous nous adaptons plus rapidement que n'importe quel gouvernement, sans même parler des gouvernements réunis. »



Comme d'autres, Eric Schmidt craint en fait la « balkanisation » d'Internet, c'est-à-dire que la mise en place de régulations spécifiques, pays par pays, ne crée une myriade de réseaux déconnectés les uns des autres — une crainte tout à la fois philosophique et économique. Selon le président de Google, « la vie privée est un compromis entre les intérêts du gouvernement et du citoyen. Plus [les politiques de gestion] sont standardisées, mieux c'est. »

Schmidt, qui insiste sur le fait que Google fonctionnera toujours sans compte et sans cookies (donc avec des possibilités de pistage fortement réduites voire annihilées), rappelle aussi que les utilisateurs d'un compte peuvent contrôler les données enregistrées par Google (dans les préférences Vie privée). Les logs d'utilisation des services Google sont conservés 12 à 18 mois, sauf dans le cas de Wallet : Schmidt a indiqué ne pas vouloir créer de précédent et s'en tenir strictement aux législations déjà en place dans le monde du paiement électronique (carte bleue). De même, il a indiqué que dans le futur, Google s'efforcera de rester à l'écart de la reconnaissance faciale : elle n'empêchera pas des développeurs de le faire, mais ne le fera jamais elle-même pour ne pas être tentée de croiser ces données avec d'autres.

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Une avancée qui dérive sur l'habituel délire futuristique du président de Google, qui déroule des concepts autour de la singularité sans jamais prononcer le mot (lire : MWC 2011 : Eric Schmidt et le futur de l'informatique). Jurant que l'informatique n'est bonne qu'à calculer et pas à penser et ne deviendra donc jamais consciente d'elle-même. Dresser un parallèle entre Google et Skynet, voilà de quoi finir une intervention avec le sourire… ou un petit frisson dans le dos.
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