Depuis sa nomination à ce poste en janvier 2000, Steve Ballmer est un PDG de Microsoft critiqué, en partie parce que l'ombre de Bill Gates continue à planer sur la firme de Redmond. Ce qui s'est transformé peu à peu en mouvement de contestation des actionnaires a atteint un nouveau palier avec la sortie de David Einhorm, directeur du fonds d'investissement Greenlight Capital, contre Steve Ballmer.
De mauvaises performances en bourse
Greenlight Capital détient 0,11 % du capital de Microsoft (9 millions d'actions), et Einhorm s'est fait un nom en étant un des premiers à pointer du doigt la mauvaise gestion de la banque Lehman Brothers, dont la faillite a été le point de départ de la crise financière de la fin des années 2000. Lors de l'Ira Sohn Investment Research Conference qui se déroulait hier le 25 mai à New York, Einhorm n'y est pas allé par quatre chemins, réclamant le départ de Ballmer dont « la présence est ce qui pèse le plus sur l'action Microsoft ».
Il y a quelques semaines, Ben Brooks illustrait l'impact de Steve Ballmer sur la tendance du cours de l'action Microsoft : mou après l'explosion de la bulle Internet, il a repris sa croissance au milieu de la décennie, avant de subir comme tout le monde les effets de la crise fin 2008. Mais depuis, alors que le Nasdaq est reparti à la hausse (+ 22,67 % en 10 ans), Microsoft ne parvient pas à redresser la barre (- 31,76 % dans le même temps). Le cours de l'action n'est qu'une donnée, mais une donnée importante qui explique l'agitation : celui ayant investi 100 000 € dans Microsoft il y a dix ans ne possède plus que 69 000 €.
Cette contre-performance boursière a complètement renversé les statuts dans le monde de l'informatique. Avec 204 milliards de dollars de capitalisation boursière, Microsoft pèse un tiers de moins qu'Apple et ses 310 milliards, première société technologique dans le monde par la capitalisation boursière. Affront suprême : IBM, dont Microsoft a fait le beau temps et la pluie, a parfaitement réussi sa reconversion et pèse aujourd'hui plus lourd que la firme de Redmond (204,6 milliards), pour la première fois depuis 15 ans.
Un manque de vision inquiétant
David Einhorm est avant tout un actionnaire récent essayant d'avoir la peau de Steve Ballmer en espérant que le cours remonte et qu'il puisse ainsi réaliser une jolie plus-value sur du court terme. Certains de ses arguments ne manquent pourtant pas de pertinence.
Il critique ainsi le style de Ballmer et sa vision passéiste du marché de l'informatique, une critique que partagent de nombreux observateurs. Employé numéro 30 de Microsoft et son premier cadre commercial, Steve Ballmer est connu pour ses frasques et son attachement viscéral à Windows et Office, au détriment d'autres projets.
C'est ainsi qu'il a démantelé la division Entertainment & Devices de la firme de Redmond, une branche assez libre d'esprit à qui l'on doit notamment la Xbox, un des jolis succès de Microsoft ces dernières années. Non content de perdre quelques-uns des cadres les plus brillants de la société, Ballmer a ainsi porté un coup fatal au Kin (au profit de Windows Phone 7) et surtout au prometteur Courier (au profit d'une version tablettes de Windows 7), deux projets « pas assez Windows ».
C'est en fait la conclusion d'une période, entre 2005 et 2010, où Microsoft, sous la direction de Steve Ballmer, a complètement raté l'iPod et l'iPhone. Les déclarations de Ballmer lors d'une interview à USA Today en avril 2007 révèlent mieux que toute autre chose cette absence de vision à long terme.
En répondant à côté de la question, PC contre appareils post-PC, Steve Ballmer confirme ici les stratégies opposées de Microsoft et d'Apple. Alors que la firme de Redmond se repose sur les deux vaches à lait que sont Windows et Office, ultra-dominantes dans leurs marchés respectifs (stratégie red ocean, domination d'un marché existant), l'Apple des années 2000 a bien compris que tout son intérêt était de créer de nouveaux marchés ou plutôt de redéfinir des marchés, d'être la seule dans un nouvel espace, sans concurrence, et donc de naturellement le dominer (stratégie blue ocean).
Trois ans plus tard, l'histoire n'a pas donné raison à Steve Ballmer. Le Zune est aujourd'hui de l'histoire ancienne, en même temps qu'Apple abandonne doucement, mais sûrement l'iPod au profit de l'iPhone. Pire encore : alors que Windows Mobile détenait 4,6 % du marché en 2007, il est aujourd'hui tombé sous les 2 %. Dans le domaine du smartphone seul et malgré un prometteur Windows Phone 7, Microsoft ne capte que 10 % du marché, un chiffre en constante baisse, alors que plus du quart des smartphones utilisés aux États-Unis sont des iPhone. Comble de l'humiliation, Google a adopté le même système que Microsoft et détient aujourd'hui près de 40 % de parts de marché.
L'acquisition de Skype : la goutte d'eau
Il serait faux de dire que le règne de Steve Ballmer a la tête de Microsoft n'a été qu'une succession d'échecs. Bien qu'encore très loin dans la course, Windows Phone 7 est réellement prometteur, et pourrait rapidement gagner des parts de marché grâce au soutien de Nokia.
Microsoft a su corriger l'échec Vista, en grande partie dû à l'affrontement entre Bill Gates et Steve Ballmer sur la direction à donner à l'OS, avec un Windows 7 qui apparaît comme un système abouti. La prochaine version promet même de régler quelques problèmes chroniques de Windows et adopte quelques touches de l'interface Metro, qui pourrait donner du fil à retordre à Apple.
Financés à perte, mais avec une abnégation révélatrice de l'importance de ces projets, la Xbox et les services Internet sont de jolis succès pour Microsoft, qui construit patiemment un nouvel écosystème autour de Live et Bing. La firme de Redmond est encore très loin de Google dans le domaine, mais Apple est à des années-lumière.
Bien que les fondations soient là, il manque cependant un leadership fort et éclairé qui puisse unifier ces divers projets en un écosystème cohérent : pas facile d'être dans les baskets de Bill Gates. L'acquisition de Skype a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase chez certains pour qui Microsoft n'est plus qu'un poulet sans tête ayant une peur maladive de Google.
Alors que Google et Facebook (dans lequel Microsoft a une participation) étaient sur les rangs, l'achat de Skype passe en effet pour un coûteux mécanisme de défense : Microsoft n'avait pas besoin de cette acquisition pour développer un système similaire. En déboursant 6 milliards d'euros, Microsoft a coupé l'herbe sous le pied de Google : si la firme de Redmond ne comprend pas toujours Apple, elle comprend parfaitement Google qui lui ressemble tant et qu'elle a clairement désigné comme son ennemi numéro 1 — un trio qui n'est pas sans rappeler le triangle Microsoft/IBM/Apple des années 80 dont on sait comment il a fini pour le plus entêté des trois.
Cette acquisition a été approuvée par Bill Gates : dans une interview à la BBC, le fondateur et président de Microsoft a ainsi déclaré qu'il pensait que l'accord était « bon, très bon pour Skype » et tout aussi « bon pour Microsoft ». Tout le paradoxe de Microsoft réside ici : si beaucoup de responsabilités pèsent sur les épaules de Ballmer, celui qui détient les clefs de son avenir est Gates.
Censé défendre les actionnaires, Gates s'est pour le moment toujours érigé en rempart, préservant le statu quo. Ben Brooks résume bien le sentiment de certains à l'encontre de Steve Ballmer et de Microsoft, en forme d'espoir : « Microsoft n'est pas encore morte, et ne risque pas de l'être de sitôt. Elle entre cependant dans le premier cycle de la phase terminale, et Ballmer ne va pas à l'hôpital […] Microsoft a besoin d'un bon coup de pied au cul. » Bill Gates joue pour le moment le rôle de bouclier. Mais jusqu'à quand ?
Steve Ballmer (cc Microsoft Sweden)
De mauvaises performances en bourse
Greenlight Capital détient 0,11 % du capital de Microsoft (9 millions d'actions), et Einhorm s'est fait un nom en étant un des premiers à pointer du doigt la mauvaise gestion de la banque Lehman Brothers, dont la faillite a été le point de départ de la crise financière de la fin des années 2000. Lors de l'Ira Sohn Investment Research Conference qui se déroulait hier le 25 mai à New York, Einhorm n'y est pas allé par quatre chemins, réclamant le départ de Ballmer dont « la présence est ce qui pèse le plus sur l'action Microsoft ».
Il y a quelques semaines, Ben Brooks illustrait l'impact de Steve Ballmer sur la tendance du cours de l'action Microsoft : mou après l'explosion de la bulle Internet, il a repris sa croissance au milieu de la décennie, avant de subir comme tout le monde les effets de la crise fin 2008. Mais depuis, alors que le Nasdaq est reparti à la hausse (+ 22,67 % en 10 ans), Microsoft ne parvient pas à redresser la barre (- 31,76 % dans le même temps). Le cours de l'action n'est qu'une donnée, mais une donnée importante qui explique l'agitation : celui ayant investi 100 000 € dans Microsoft il y a dix ans ne possède plus que 69 000 €.
Cette contre-performance boursière a complètement renversé les statuts dans le monde de l'informatique. Avec 204 milliards de dollars de capitalisation boursière, Microsoft pèse un tiers de moins qu'Apple et ses 310 milliards, première société technologique dans le monde par la capitalisation boursière. Affront suprême : IBM, dont Microsoft a fait le beau temps et la pluie, a parfaitement réussi sa reconversion et pèse aujourd'hui plus lourd que la firme de Redmond (204,6 milliards), pour la première fois depuis 15 ans.
Un manque de vision inquiétant
David Einhorm est avant tout un actionnaire récent essayant d'avoir la peau de Steve Ballmer en espérant que le cours remonte et qu'il puisse ainsi réaliser une jolie plus-value sur du court terme. Certains de ses arguments ne manquent pourtant pas de pertinence.
Il critique ainsi le style de Ballmer et sa vision passéiste du marché de l'informatique, une critique que partagent de nombreux observateurs. Employé numéro 30 de Microsoft et son premier cadre commercial, Steve Ballmer est connu pour ses frasques et son attachement viscéral à Windows et Office, au détriment d'autres projets.
Steve Ballmer et une tablette HP Windows 7, l'échec de 2010.
C'est ainsi qu'il a démantelé la division Entertainment & Devices de la firme de Redmond, une branche assez libre d'esprit à qui l'on doit notamment la Xbox, un des jolis succès de Microsoft ces dernières années. Non content de perdre quelques-uns des cadres les plus brillants de la société, Ballmer a ainsi porté un coup fatal au Kin (au profit de Windows Phone 7) et surtout au prometteur Courier (au profit d'une version tablettes de Windows 7), deux projets « pas assez Windows ».
C'est en fait la conclusion d'une période, entre 2005 et 2010, où Microsoft, sous la direction de Steve Ballmer, a complètement raté l'iPod et l'iPhone. Les déclarations de Ballmer lors d'une interview à USA Today en avril 2007 révèlent mieux que toute autre chose cette absence de vision à long terme.
David Lieberman (USA Today) Les gens sont passionnés à l'annonce d'un nouveau produit Apple — l'iPhone, bien sûr, mais aussi l'iPod. Est-ce que c'est quelque chose que vous voudriez qu'ils ressentent à l'envers de Microsoft ?
Steve Ballmer (Microsoft) C'est une question étrange. Est-ce que j'échangerais 96 % du marché contre 4 % du marché ? (Rires.) Je veux des produits qui conviennent à tout le monde.
En répondant à côté de la question, PC contre appareils post-PC, Steve Ballmer confirme ici les stratégies opposées de Microsoft et d'Apple. Alors que la firme de Redmond se repose sur les deux vaches à lait que sont Windows et Office, ultra-dominantes dans leurs marchés respectifs (stratégie red ocean, domination d'un marché existant), l'Apple des années 2000 a bien compris que tout son intérêt était de créer de nouveaux marchés ou plutôt de redéfinir des marchés, d'être la seule dans un nouvel espace, sans concurrence, et donc de naturellement le dominer (stratégie blue ocean).
Steve Ballmer Nous avons maintenant l'occasion de répéter l'histoire dans le domaine des téléphones et des baladeurs numériques. Il n'y aucune chance que l'iPhone obtienne une part de marché significative. Aucune chance. C'est un appareil qui coûte 500 $ subventionné. Ils vont certainement faire plein de bénéfices. Mais sur le 1,3 milliard de téléphones qui se vendent, je préfère que mon logiciel soit installé sur 60, 70 ou 80 % d'entre eux plutôt que 2 ou 3 % comme Apple devrait le faire.
Dans le domaine de la musique, Apple s'est levée tôt. Ils ont été les premiers à comprendre que vous ne pouviez pas penser l'appareil et toutes les pièces du puzzle de manière séparée. Bravo. Tout le mérite en revient à Steve [Jobs] et à Apple. Ils ont fait un super boulot.
Mais ce n'est pas comme si on ne pouvait plus innover en matière d'écoute de la musique, de lecture des vidéos, etc. […] Mon oncle de 85 ans n'aura probablement jamais d'iPod, et j'espère que le Zune le convaincra.
Trois ans plus tard, l'histoire n'a pas donné raison à Steve Ballmer. Le Zune est aujourd'hui de l'histoire ancienne, en même temps qu'Apple abandonne doucement, mais sûrement l'iPod au profit de l'iPhone. Pire encore : alors que Windows Mobile détenait 4,6 % du marché en 2007, il est aujourd'hui tombé sous les 2 %. Dans le domaine du smartphone seul et malgré un prometteur Windows Phone 7, Microsoft ne capte que 10 % du marché, un chiffre en constante baisse, alors que plus du quart des smartphones utilisés aux États-Unis sont des iPhone. Comble de l'humiliation, Google a adopté le même système que Microsoft et détient aujourd'hui près de 40 % de parts de marché.
L'acquisition de Skype : la goutte d'eau
Il serait faux de dire que le règne de Steve Ballmer a la tête de Microsoft n'a été qu'une succession d'échecs. Bien qu'encore très loin dans la course, Windows Phone 7 est réellement prometteur, et pourrait rapidement gagner des parts de marché grâce au soutien de Nokia.
Microsoft a su corriger l'échec Vista, en grande partie dû à l'affrontement entre Bill Gates et Steve Ballmer sur la direction à donner à l'OS, avec un Windows 7 qui apparaît comme un système abouti. La prochaine version promet même de régler quelques problèmes chroniques de Windows et adopte quelques touches de l'interface Metro, qui pourrait donner du fil à retordre à Apple.
Windows Phone 7 est prometteur et intègre les plus beaux succès récents de Microsoft (Xbox Live et Bing), mais doit encore faire ses preuves.
Financés à perte, mais avec une abnégation révélatrice de l'importance de ces projets, la Xbox et les services Internet sont de jolis succès pour Microsoft, qui construit patiemment un nouvel écosystème autour de Live et Bing. La firme de Redmond est encore très loin de Google dans le domaine, mais Apple est à des années-lumière.
Bien que les fondations soient là, il manque cependant un leadership fort et éclairé qui puisse unifier ces divers projets en un écosystème cohérent : pas facile d'être dans les baskets de Bill Gates. L'acquisition de Skype a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase chez certains pour qui Microsoft n'est plus qu'un poulet sans tête ayant une peur maladive de Google.
Alors que Google et Facebook (dans lequel Microsoft a une participation) étaient sur les rangs, l'achat de Skype passe en effet pour un coûteux mécanisme de défense : Microsoft n'avait pas besoin de cette acquisition pour développer un système similaire. En déboursant 6 milliards d'euros, Microsoft a coupé l'herbe sous le pied de Google : si la firme de Redmond ne comprend pas toujours Apple, elle comprend parfaitement Google qui lui ressemble tant et qu'elle a clairement désigné comme son ennemi numéro 1 — un trio qui n'est pas sans rappeler le triangle Microsoft/IBM/Apple des années 80 dont on sait comment il a fini pour le plus entêté des trois.
Cette acquisition a été approuvée par Bill Gates : dans une interview à la BBC, le fondateur et président de Microsoft a ainsi déclaré qu'il pensait que l'accord était « bon, très bon pour Skype » et tout aussi « bon pour Microsoft ». Tout le paradoxe de Microsoft réside ici : si beaucoup de responsabilités pèsent sur les épaules de Ballmer, celui qui détient les clefs de son avenir est Gates.
Censé défendre les actionnaires, Gates s'est pour le moment toujours érigé en rempart, préservant le statu quo. Ben Brooks résume bien le sentiment de certains à l'encontre de Steve Ballmer et de Microsoft, en forme d'espoir : « Microsoft n'est pas encore morte, et ne risque pas de l'être de sitôt. Elle entre cependant dans le premier cycle de la phase terminale, et Ballmer ne va pas à l'hôpital […] Microsoft a besoin d'un bon coup de pied au cul. » Bill Gates joue pour le moment le rôle de bouclier. Mais jusqu'à quand ?