Après l'accident survenu dans une usine de Foxconn, le gouvernement chinois a demandé à l'entreprise ainsi qu'à ses homologues taiwanaises implantées dans le pays de veiller davantage au respect des règles de sécurité. Un manquement qui avait été déjà signalé dans un rapport diffusé il y a un mois de cela par une organisation indépendante. Des observations faites en début d'année qui renvoient directement aux causes supposées de cette explosion.
Cette prise de position du gouvernement est le dernier épisode en date dans cette affaire qui a débuté vendredi 20 mai par une explosion dans l'usine de Chengdu. Elle est survenue dans ce qui est décrit comme un atelier de polissage final des iPad, avec comme conséquences la mort de trois personnes tandis que quinze autres étaient blessées. Les causes de cet accident ont été attribuées à la présence dans un conduit de très fines poussières d'aluminium combustibles, associées à une insuffisance de ventilation. Ce serait donc un défaut structurel de cette usine plutôt qu'une erreur humaine.
Une usine champignon
Ce document rappelle d'abord que Foxconn a installé des usines en Chine afin de rapprocher des zones d'habitation de ses employés. Au fil du temps le groupe est devenu tout bonnement gigantesque - il compte environ 1 million de salariés - et peut ainsi offrir aux fabricants de produits électroniques - dont Apple, HP et Dell - des économies d'échelle difficiles à concurrencer. Sa présence déborde du cadre asiatique puisque Foxconn compte produire des iPad au Brésil, pays dans lequel il a déjà pris pied via deux usines.
MIC Gadget expliquait il y a quelques jours que ce complexe de Chengdu avait commencé à sortir de terre en août dernier et un peu plus de deux mois seulement les premières productions d'iPad commençaient. L'investissement total dans cette usine, une fois achevée, doit s'élever à deux milliards de dollars (1,4 milliard d'euros) et elle occupera une superficie de 1,7 million de mètres carrés.
Le SACOM s'est intéressé en mars dernier à deux usines - celles des municipalités de Chongqing et de Chengdu (ci-dessus en photo) - situées dans l'ouest du pays. La première compte 10 000 employés, la seconde, toute neuve, 100 000, mais ce chiffre devrait être plus que doublé à terme. Chengdu s'occupe d'une partie de la production des iPad 2 (entre 25% et 30% d'après Digitimes), l'autre est surtout dévolue à l'assemblage de portables et d'équipements réseau pour HP. Leur aînée, l'usine de Shenzen, compte 500 000 salariés qui planchent sur les produits d'Apple, HP, Nokia ou Dell.
Le rapport souligne d'abord le contraste entre les promesses faites aux candidats à l'embauche et la réalité du quotidien. Annonces ambiguës, dépassements horaires, erreurs de paies, insuffisance des équipements des salariés sur les chaînes de production, lacunes dans l'information sur les substances manipulées, impossibilité d'exprimer les problèmes rencontrés, etc. Entre mars et avril, 120 employés de Shenzen, Chengdu et Chongqing ont été interrogés par le SACOM. La plupart étaient des ouvriers, les autres occupant divers postes de responsabilité. La majorité avait entre 16 et 30 ans.
S'agissant plus spécifiquement de Chengdu, le rapport relève qu'une préférence est explicitement donnée à l'embauche de femmes “Apparemment Foxconn préfère des ouvrières parce qu'elles peuvent être facilement contrôlées” ce qui se traduirait déjà par une discrimination à l'embauche. Entre mars et avril, le salaire mensuel à Chengdu est passé de 950¥ (103€) à 1300¥ (142€). Toutefois les salariés de Chengdu percevaient déjà ce montant puisqu'il était complété d'une allocation pour les frais de nourriture et de logement. Deux postes supprimés dans la nouvelle grille salariale, Foxconn reprenant ainsi d'une main ce qu'elle donne de l'autre.
Le SACOM juge que ces sommes ne suffisent pas à couvrir les dépenses de vie courante, obligeant les salariés à se tourner vers les heures supplémentaires. Le salaire à Chengdu devrait être plutôt porté à 2600¥ selon les calculs de l'organisation, en phase avec les demandes des salariés qui l'estiment à 2500¥.
En 2010, dans l'attente que l'usine de Chengdu soit prête à les recevoir, les ouvriers embauchés furent déployés sur Shenzen où les niveaux de salaires étaient un peu plus élevés (1200¥ à l'époque), mais une fois sur Chengdu leur rémunération a été revue à la baisse, à 950¥. Loin des 1600 à 2000¥ promis par les annonces de recrutement pour la seule période d'apprentissage. Annonces qui faisaient également miroiter des sommes allant de 2150 à 2800¥ selon les cas.
Alors qu'Apple exige de ses sous-traitants que les heures supplémentaires soient effectuées sur la base du volontariat et en accord avec la loi, le SACOM affirme qu'en dehors des périodes où la production diminue, Foxconn a violé la réglementation en vigueur dans ses trois usines. D'aucuns parmi les employés affirmant aussi que le critère du volontariat n'était complètement respecté. À Chengdu, ces dépassements d'heures supplémentaires seraient d'un facteur de 2 à 3.
Suit une litanie de plaintes sur l'organisation du travail et des roulements entre les équipes, sur l'obligation d'être présent 30 minutes avant de prendre son poste et 30 minutes après, une attente qui est oubliée dans les salaires. Ou encore les temps de pause pour déjeuner réduits parfois à une demi-heure, obligeant à le consommer sur son poste de travail. Autre exemple, le salarié qui doit prendre en charge les machines de ses collègues lorsqu'ils sont en pause déjeuner.
Chengdu, toute nouvelle installation pour Foxconn, logée dans une zone industrielle, se démarque de Shenzen, plus ancienne, par l'absence d'infrastructures permettant d'offrir un cadre de détente pour les employés (cafés, restaurants, commerces…). Résultat, les journées tournent autour du travail et du repos.
Conditions de travail
L'usine étant encore en chantier - le campus sud doit accueillir 250 000 personnes à terme - il était décrit un environnement encore "chaotique" : éclairages insuffisants, nuages de poussière provoqués par les engins de construction, voies de circulation peu praticables…toutes choses courantes sur un chantier, mais avec lesquelles les employés doivent composer au jour le jour lors de leurs déplacements pour aller travailler “J'avale de la poussière comme dans un aspirateur. Mes narines sont tous les jours complètement noires” explique un employé, alors que d'autres racontent que ces conditions sont devenues un sujet de plaisanterie, chacun pouvant deviner d'où vient l'autre en fonction de la saleté sur ses vêtements…
Dans les ateliers de fraisage, les ouvriers se plaignent de ne pas être informés de la nocivité des produits chimiques qu'ils utilisent, ou qu'ils ne sont pas assez bien équipés pour s'en protéger. Sur les machines à commandes numériques utilisées pour percer les coques d'iPad, le liquide de refroidissement employé dégage une odeur jugée irritante et que les masques ne suffisent pas à filtrer. D'après l'employé cité, le produit en question est décrit sur Internet comme dangereux pour les poumons. Des ouvriers se plaignent également du fort volume sonore dans les ateliers. L'un d'eux parle aussi d'un turnover des employés de l'ordre de 10% par mois.
Extrait de la vidéo d'Apple sur l'iPhone 4
L'usine de Chongqing utilisée pour les ordinateurs portables de HP reçoit aussi son lot de critiques. Odeurs désagréables dans l'atelier de moulage plastique, équipement inadéquat du personnel, résidus des opérations d'usinage, etc.
Une autre partie du rapport sonne comme une prémonition à l'accident survenu il y a quelques jours “Dans le département de fraisage de Chengdu, certains ouvriers déclarent qu'ils respirent constamment dans de la poussière d'aluminium. Les ouvriers du département polissage se plaignent aussi que les lieux sont remplis de poussière d'aluminium. Bien qu'ils portent des gants, leurs mains sont malgré tout recouvertes de cette poussière, ainsi que leurs visages et leurs vêtements. Certains travailleurs font remarquer que la ventilation devrait être améliorée”.
Plus loin il est fait état de manipulation de substances collantes sans gants, car cela complique la bonne tenue en main des pièces à travailler. D'autres témoignages similaires émaillent le rapport à différents niveaux de production dans l'usine. Il y a par exemple le cas d'une employée de 22 ans “Xiao Ying était chargée d'enlever les résidus de colle sur les coques d'iPad. Elle devait utiliser un alcool industriel pour les nettoyer. Il y a 12 personnes sur cette ligne de production. L'objectif en général est de produire entre 1000 et 2000 unités par jour. Une nuit, il leur a été demandé d'en produire 3000. Durant la première pause déjeuner ils n'ont eu que 30 minutes pour se restaurer. Et il fallait retourner ensuite immédiatement au travail. À 5h30 aurait dû arriver la seconde pause de restauration. Ils ont été forcés de continuer à travailler. Le repas n'a pu être pris qu'à 7h30”. Comme d'autres avant elle, la jeune femme a démissionné trois mois après son embauche.
Des descriptions qui jettent, à nouveau, une lumière crue sur la fabrication au quotidien de ces appareils, qu'Apple d'ailleurs montre dans ses clips promotionnels. On y croise toutefois plutôt des machines-outils joliment filmées et des mains soigneusement gantées…
Extrait de la vidéo d'Apple sur l'iPhone 4
Des cas de brimades, d'humiliations et de gestion des personnes de manière quasi militaire sont aussi rapportés à Chengdu comme à Chongqing. Le SACOM pointe la contradiction jugée hypocrite de Foxconn qui d'un côté tente de stopper les suicides par différentes initiatives visant à être à l'écoute des employés, et de l'autre continue d'exercer sur eux une autorité éprouvante. Certains se trouvant parfois assimilés à de simples machines.
Partage des responsabilités
L'organisation rappelle aussi que les clients de Foxconn ont du personnel sur place chargé de veiller à la qualité des produits et de surveiller le respect des consignes édictées lors de la signature de contrats “En d'autres termes, les marques ont une compréhension des conditions de travail sur les lieux. Il ne peut y avoir aucune excuse de leur part pour décliner leur responsabilité sur les abus constatés. En particulier Apple, unique client de l'usine de Chengdu, a l'obligation de travailler avec Foxconn pour agir." Et d'appeler aussi Apple à prendre la tête d'une initiative visant à améliorer ces conditions de travail, à s'assurer que les heures supplémentaires sont faites selon les règles et payées, à améliorer la communication entre les ouvriers et leur hiérarchie ainsi qu'à augmenter ses prix d'achat afin que cela se répercute sur les salaires (lire aussi Apple met à jour son rapport sur ses fournisseurs).
À la suite de l'accident de Chengdu, le gouvernement chinois a émis un souhait “Nous espérons que Foxconn et les autres entreprises Taiwanaises en tireront des leçons, en s'acquittant de leurs responsabilités en matière de sécurité, en renforçant les contrôles internes, en examinant les risques de dangers dans les meilleurs délais afin d'assurer une production plus sûre” a déclaré un porte-parole du chinois aux affaires taiwanaises, cité par Reuters.
De son côté Foxconn a réagi à l'époque au rapport du SACOM par une déclaration réfutant tout problème “Nous sommes guidés par nos propres politiques strictes, le droit du gouvernement chinois, et nos engagements envers nos clients pour s'assurer que le plus haut niveau des normes de santé et de sécurité est appliqué à nos activités dans toutes nos installations.”
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