Apple et Samsung sont partenaires, mais aussi concurrents. Amies dans le domaine des semi-conducteurs, les deux sociétés bataillent dans le domaine de la téléphonie mobile et des tablettes média. Un paradoxe qui s'exprime aujourd'hui par le dépôt d'une plainte par Apple à l'encontre de Samsung pour « copie » de son style.
Les frères ennemis…
Apple a déposé le 15 avril une plainte auprès de la Cour du district nord de Californie à l'encontre de Samsung pour violation de brevets, modèles et marques ainsi que pour concurrence déloyale.
« Le fait que les produits récents de Samsung ressemblent tant à l'iPhone ou l'iPad, de leur forme à leur interface utilisateur et même leur emballage n'a rien d'une coïncidence », s'émeut Steve Park, un porte-parole d'Apple. « Ce genre de copie flagrante est injuste et nous devons protéger la propriété intellectuelle d'Apple quand les entreprises volent nos idées » : propriété intellectuelle et concurrence déloyale, on retrouve là les deux axes de la plainte d'Apple.
Apple considère que Samsung viole un ensemble de brevets et de modèles couvrant l'iPhone, l'iPad et iOS avec le Galaxy S 4G et l'Epic 4G (deux variations américaines du Galaxy S i9000), le Nexus S et la Galaxy Tab. Il s'agit donc autant d'une plainte visant le matériel de Samsung (forme générale, éléments promotionnels, emballage) que son logiciel (ressemblances entre Touchwiz et iOS) mais aussi directement Android (mention du Nexus S, qui n'est pas personnalisé par Samsung). Cette plainte est donc en partie une énième variation de l'affrontement Apple / Google, qui a déjà touché HTC et Motorola.
« Plutôt que d'innover et développer ses propres technologies et un style Samsung unique pour ses smartphones et tablettes, Samsung a choisi de copier les technologies d'Apple, son style innovant et son interface graphique » explique Apple. On avait déjà pu observer une certaine ressemblance entre plusieurs produits de Samsung et l'iPhone ou l'iPad : la firme coréenne est allée jusqu'à imiter les éléments promotionnels d'Apple (lire : Apple et Samsung : les frères ennemis).
…partenaires de 10 ans
En déposant une plainte contre Samsung Electronics, Apple s'attaque à un partenaire privilégié : « Apple est de nos clients principaux en matière de semi-conducteurs et d'écrans » explique Chung Jae-woong, porte-parole de Samsung.
Comme Hyundai ou LG, Samsung est un chaebol, un conglomérat à la coréenne — c'est d'ailleurs « le » conglomérat par excellence, le plus grand du monde en matière de chiffre d'affaires (142 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2010). Le Samsung Group est un ensemble de sociétés aux liens à la fois étroits (participations multiples les unes dans les autres) et lâches (structures et directions différentes).
La Samsung Town, une ville dans la ville jumelée à… Disneyland Paris.
Samsung Electronics (électronique), Samsung C&T (construction) et Samsung Life Insurance (assurance et finance) sont trois des filiales les plus connues du groupe Samsung. Elles ont toutes les trois leur siège à Séoul, dans la Samsung Town. La plainte d'Apple vise évidemment Samsung Electronics, la filiale la plus importante du groupe. Ce n'est pas n'importe quelle société : c'est le plus grand fabricant de produits électronique, le plus grand producteur d'écrans et le plus grand fondeur du monde.
Samsung Electronics est elle-même divisée en quatre branches. La branche « Semiconductor » produit de la mémoire flash (SDRAM, SRAM, NAND), des processeurs spécialisés ou des capteurs photo. La division « Telecommunication Network » conçoit des équipements réseau, alors que la branche « LCD Digital Appliances » fabrique des dalles moniteur (LCD, LED, OLED, AMOLED…). Enfin, la branche « Digital Media » conçoit et commercialise des écrans, des ordinateurs portables, des imprimantes, des appareils photo, mais aussi des smartphones, des tablettes… et même de l'électroménager.
Apple connaît bien les branches « Semiconductor » et « LCD Digital Appliances ». Elle est le principal client de l'activité mémoire de Samsung, qui fournit les barrettes RAM de la plupart des Mac, les modules SSD du MacBook Air, ou les modules mémoire de l'iPhone ou de l'iPad). On retrouve des dalles Samsung dans de nombreux produits Apple, et le cœur processeur du SoC A4 a été conçu conjointement par les deux sociétés.
Bref, les deux sociétés se connaissent bien : Apple représente 4 % du chiffre d'affaires du groupe Samsung, le deuxième client derrière Sony. Mais la branche « Digital Media », qui commercialise la Galaxy Tab ou le Samsung Galaxy S et ses dérivés, est en concurrence frontale avec la firme de Cupertino. Et cette activité produit prend une place de plus en plus importante dans les résultats du groupe, au point que Samsung se débarrasse maintenant de sa division disques durs.
Vers un accord à l'amiable ?
« Même si Apple est notre client, l’entreprise américaine est aussi notre rivale sur le marché mobile », rappelle Chung Jae-woong : « Comme (Apple) a intenté un procès contre nous, une poursuite judiciaire est inévitable. » La lune de miel entre les deux sociétés est donc bien terminée.
On le sait peu, mais Samsung dépose des brevets à tour de bras, bien plus qu'Apple : si l'USPtO a accordé 563 brevets à Apple en 2010, elle n’en accordait pas moins de 4 551 à Samsung. La firme coréenne est la deuxième société la plus active en matière de propriété intellectuelle. Elle va donc répondre sur ce terrain, brevets contre brevets : « Nous pensons qu'Apple a violé nos brevets en matière de standard de communication. Nous envisageons une contre-accusation. »
Apple a été assez offensive avec son portefeuille de brevets ces derniers mois, mais face à des sociétés naines dans le domaine, et qui ne peuvent espérer que Google ne vole à leur secours. Un face-à-face avec Samsung s'apparenterait donc à un véritable bras de fer, qu'Apple ne cherche peut-être pas.
Il est fort possible que nous soyons ici dans une démonstration de force. Apple montre ses muscles, donnant l'éclatante démonstration de sa détermination : même Samsung n'est pas à l'abri de poursuites, et de poursuites avec des éléments assez vagues en plus. Les fabricants de smartphones Android (et Google) sont prévenus. À nouveau.