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Mac OS X : la difficile naissance d'Aqua

Florian Innocente

vendredi 25 mars 2011 à 22:11 • 59

AAPL

aquabeta

Cordell Ratzlaff, son nom n'est pas spécialement connu. Pourtant le travail de son équipe s'affiche chaque jour sur notre écran. C'est lui qui dirigea les travaux pour créer Aqua, l'interface arrivée avec Mac OS X. L'OS, qui a participé au renouveau d'Apple avant de se diffuser jusque sur des téléphones, baladeurs et boîtiers TV, a fêté hier ses 10 ans. Cult of Mac a recueilli quelques souvenirs de Ratzlaff, sur la genèse de cette interface.

Cordell_Ratzlaff

Ratzlaff s'occupe aujourd'hui de design chez Kapitall. Il y a dix ans, Steve Jobs ne l'avait pas fait venir pour s'occuper de Mac OS X. Comme Jonathan Ive, Ratzlaff était déjà dans les murs. Il a passé en tout, neuf ans chez Apple, entre 1990 et 1999. Avant OS X, il avait dirigé la mise au point des interfaces de Mac OS 8 et 9.

Après le rachat de NeXT par Apple, une seule personne fut assignée à la tâche de rhabiller NeXTStep - le futur Mac OS X - en reprenant l'interface de Mac OS 8 “Son boulot n'était pas franchement intéressant : faire en sorte que le nouvel OS ressemble à l'ancien”. Mais rapidement Ratzlaff, estima qu'il y avait bien mieux à faire, tant la fondation technique était séduisante. Son équipe commença à travailler sur des esquisses pour une toute nouvelle interface. Il s'agissait de tirer profit des capacités de l'OS de NeXT en matière d'animations et de graphismes, et de le traduire visuellement à l'écran.

Il faut se souvenir qu'avant d'être transformé en Mac OS X, NeXTStep (ci-dessous) avait déjà fait sensation par l'élégance de son interface lors de son lancement en 1989. Même si avec le recul elle peut paraître terriblement grisâtre, Steve Jobs et ses équipes avaient réussi à recréer quelque chose de novateur, de très différent du Mac et de son système.

http://static.macg.co/img/2011/3/nextstep-20110325-120447.jpg

L'une des inspirations de Ratzlaff fut le premier iMac avec sa couleur, sa matière translucide, ses formes sans aucun angle. Cela se retrouva dans les croquis d'Aqua par l'utilisation de davantage de couleur, des menus translucides (tellement qu'ils furent sensiblement estompés dans les toutes premières versions du système, ndr), des coins arrondis, des boutons aux formes organiques.

Dans une autre interview chez Design Interactions (pour le livre du même nom), Ratzlaff cite deux autres changements apportés à l'interface de Mac OS, avec l'introduction d'une dimension temporelle. Par exemple le fait de mettre un disque à la corbeille pour l'éjecter. Chose que les habitués du Mac avaient assimilé, mais qui pouvait dérouter des nouveaux venus : la même action, tantôt supprimait un document, tantôt éjectait un volume. Avec Mac OS X, la sélection d'un volume fait que la corbeille se transforme immédiatement en un symbole - plus rassurant et plus explicite - illustrant l'action d'éjection.

Il convenait aussi que l'utilisateur sache d'où venaient et où allaient les objets à l'écran en fonction des manipulations effectuées. D'où, l'effet Genie qui montre les fenêtres aspirées par le Dock ou s'en échappant. Ou encore l'effet de Zoom du Dock lorsqu'on le survole pour compenser le fait que la taille de ses icônes va en se réduisant au fur et à mesure qu'on en ajoute.

Enfin, il citait comme autre source d'inspiration pour ses designers, ces pages de publicités où l'on voit des verres d'alcool avec glaçons, et les effets de transparence et de reflets produits entre ces éléments.


Bertrand Serlet, qui chapeautait entre autres choses l'équipe de Ratzlaff (lire aussi Le patron de Mac OS X quitte Apple) se montra impressionné, mais il fit clairement comprendre qu'Apple n'avait ni le temps ni les ressources pour les intégrer. Le designer affecté au replâtrage de NeXTStep poursuivit donc son travail solitaire et ingrat (les premières démos faites à la presse et aux développeurs du prototype de Mac OS X, alias Rhapsody, montraient un curieux mélange des deux systèmes - capture ci-dessous - sans qu'on sache trop ce qui allait rester ou pas).

http://static.macg.co/img/2011/3/RhapsodyDR2-20110325-135115.jpg

Quelques mois plus tard, les équipes de Mac OS X se réunirent pendant deux jours pour faire un point général. Cordell Ratzlaff devait intervenir à la fin, histoire de terminer ce séminaire sur une note un peu plus légère. Il espérait cependant - même sans trop y croire - y recevoir le soutien des autres ingénieurs.

À l'issue de ces deux journées il devint toutefois évident que le chantier de Mac OS X était énorme, au point que certains se demandaient comment ils en viendraient à bout, voire, si cela était même possible “Et voilà que moi, à la fin, j'arrive et je dis 'Au fait il y a aussi cette nouvelle interface. Elle est translucide, il y a des animations en temps réel, et elle gère un vrai canal alpha” (une couche de transparence sur les images, ndr). La réaction des participants ne s'est pas fait attendre “Il y a eu littéralement des rires dans la salle parce qu'il était hors de question que l'on refasse l'interface. J'en suis ressorti assez déprimé”.

L'oeil de Steve

Deux semaines plus tard, Steve Jobs qui n'avait pas participé à cette réunion, ni vu les esquisses du groupe Human User Interface, prit rendez-vous avec l'équipe. À cette époque il menait toujours un audit auprès des différents groupes et projets en cours au sein d'Apple.

À peine était-il entré dans la salle de réunion qu'il livra son sentiment sans ambages sur ce que les designers d'Apple avaient accompli avec les précédentes versions du système “C'est vous qui avez conçu Mac OS, n'est-ce pas ?… assentiment collectif de l'assistance… “Eh bien, vous êtes une bande d'idiots”.

Le patron - encore par intérim - d'Apple fit pendant vingt minutes l'inventaire de ce qui lui déplaisait dans l'actuel Mac OS, c'est à dire à peu près tout. Il mit en exergue le fait qu'il y avait au moins huit manières différentes d'accéder au contenu des dossiers dans le Finder. Jobs entendait simplifier la gestion des fenêtres pour limiter leur nombre.

Ratzlaff sentit à ce moment-là qu'il était assis sur un siège éjectable puisque les critiques de Jobs portaient sur le travail qu'il avait conduit depuis des années. Mais il se dit en même temps que s'il avait dû être viré, cela aurait été fait depuis longtemps. Après avoir discuté des améliorations possibles et montrées les esquisses d'Aqua à Jobs, celui-ci déclara “Faites-moi des prototypes de tout ça et vous me les montrerez”.

Les trois semaines qui suivirent, les designers travaillèrent jour et nuit, réalisant des modèles fonctionnels avec le Director de Macromedia. Avec cette crainte que leur emploi dépende du jugement final de Jobs. Celui-ci revint les voir et il fut stupéfait du résultat. Avec ce compliment gradué sur l'échelle d'un QI “C'est la première preuve d'une intelligence à 3 chiffres que je vois chez Apple”. Puis juste après avoir fêté cela autour d'une bière, ils virent Jobs remonter le couloir accompagné de Phil Schiller à qui il déclara, alors qu'ils approchaient “Il faut que tu voies ça”. “À partir de cet instant, on n'a plus eu aucun problème” se souvient Ratzlaff.

Toutes les semaines pendant 18 mois, Jobs donna son point de vue sur chaque élément d'interface, demandant plusieurs variations pour choisir la meilleure. Tout se faisait avec des prototypes Director d'un côté et une version écrite en code sur une machine à côté. Sur la première Jobs ne faisait que manipuler des animations : des menus se déroulant, des fenêtres s'ouvrant et se fermant. Puis il collait son nez sur la version vraiment codée pour évaluer la transposition.

Il les comparait pixel par pixel pour vérifier si tout était pareil. Il allait jusqu'au fond des détails, si ça ne correspondait pas, il criait le nom d'un ingénieur pour qu'il vienne voir”.

Ratzlaff se souvient, amusé, que son équipe passa six mois à affiner les barres de défilement pour satisfaire le grand patron. Plein de choses n'allaient pas dans les premières itérations : les flèches de défilement n'étaient pas de la bonne taille, elles étaient placées au mauvais endroit, leur couleur n'allait pas, il fallait considérer l'aspect avec la fenêtre active et en arrière-plan, etc. Tout cela prit un temps formidable pour se caler alors que cela tenait d'une certaine manière du détail.

Jobs souhaitait aussi faciliter l'accès aux réglages système. Sachant qu'OS X allait être nouveau pour les vétérans du Mac comme pour les débutants. Il insista par exemple pour que ces réglages soient rassemblés dans une seule fenêtre de préférences, et son application installée dans le Dock, un autre élément repris de NeXT mais inédit dans Mac OS (sauf à considérer l'utilitaire "Lanceur").

Epurer pour respirer

Le patron d'Apple voulait que les fenêtres mettent plus avant leur contenu qu'elles-mêmes, le premier étant plus important pour l'utilisateur que le second. Un élément d'interface fit les frais de cette obsession : le nouveau bouton placé à droite de la barre titre des fenêtres. Il activait le mode "single window". Un mode qui permettait de toujours conserver une seule fenêtre à l'écran. Quoi qu'on fasse, quelle que soit l'application ou la nature du document, tout se déroulait dans une seule et même fenêtre. Car Jobs détestait leur multiplication à l'écran (avec le recul on comprend pourquoi le mode plein écran est à ce point mis en avant dans Lion, ou l'utilisation de la fonction Exposée, ndr).

Ce mode avait toutefois comme inconvénient d'obliger à redimensionner constamment les fenêtres selon la nature de leur contenu. Mais pire que cela, pour Jobs, la nécessité d'avoir ce bouton pour l'activer l'indisposait. Le mode single window - modifié dans son comportement - fit cependant l'objet d'une présentation lorsqu'Aqua fut dévoilé (à 6 min 25 dans la vidéo ci-dessous), mais il fut masqué par la suite (*).



L'idée des trois couleurs dans les boutons de fenêtres vint de Jobs. Il suggéra de s'inspirer des feux tricolores. Car au départ les designers s'en étaient tenus à les afficher tous les trois gris, et ce n'est qu'en survolant ces boutons de la souris que leur fonction était révélée. Chose que fait toujours Mac OS X d'ailleurs. Mais Jobs trouvait le principe malcommode et pas assez explicite “Quand on a entendu ça, on a trouvé cette idée d'association avec des feux tricolores bizarre sur un ordinateur. On y a travaillé, et finalement on s'est rendu compte qu'il avait raison” (plus tard, Apple ajouta l'option pour forcer ces boutons à rester tout de même gris, pour certains professionnels de la photo ou de la PAO, ndr).

http://static.macg.co/img/2011/3/aqua_window-20110325-163134.jpg

Cette refonte générale de l'interface fut menée dans le plus grand secret, tandis que le chantier de Mac OS X était lui largement public. Jobs craignait d'une part que ses concurrents ne la copient et d'autre part que cela bloque les ventes de Mac. Les gens préférant reporter leurs achats pour avoir la dernière évolution du système. Aussitôt que le développement de Mac OS X démarra, Jobs ordonna à ses troupes de cesser de critiquer l'actuel Mac OS en public. Avec le raisonnement que sans Mac OS, Apple ne pourrait jamais aller jusqu'à Mac OS X. Il fallait tenir pendant que cette transition était engagée.

La première présentation de Mac OS X, et tout particulièrement d'Aqua, en 2000 fut une sorte de ponctuation dans la période qui avait vu le retour de Jobs chez Apple. L'équipe dirigeante avait été renouvelée, le PowerPC G3 lancé, l'iMac révélé, l'Apple Store ouvert et le marketing et la communication remis sur pieds. C'est au moment où il dévoila Aqua que Jobs annonça aussi qu'il prenait la tête d'Apple de manière permanente, abandonnant son titre de patron par intérim ("iCEO").

Il a d'abord attendu que la dernière partie importante de la société arrive au niveau de ses exigences avant de prendre le titre de CEO d'Apple” conclut Cordell Ratzlaff.

(*) On peut encore activer le mode single window tel que montré par Jobs, hors effet Genie.
Dans le Terminal copiez-collez :
defaults write com.apple.dock single-app -bool true
validez, puis entrez
killall Dock

Pour revenir au comportement par défaut, changez true par false

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crédit image : Wikipedia
illustration magazine 25 ans

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