« Back to the Mac », disait Apple en présentant un (très) bref aperçu de Mac OS X Lion et en dévoilant le Mac App Store. De fait, la boutique d’applications pour Mac OS X est un « retour sur le Mac » d’un concept ayant fait le succès d’iOS. Pour autant, ce progrès est-il positif ?
Haro sur les HIG
Le point qui fait certainement le plus débat depuis le lancement du Mac App Store concerne l’interface de la boutique d’Apple, mais aussi celle d’applications populaires, en violation complète des Human Interface Guidelines.
Avec ses Human Interface Guidelines (HIG), Apple fixe le cadre général des interfaces d’application dans Mac OS X, ce qui est facilité par le fait qu’elle fournit outils de développement et éléments graphiques standard. Le but n’est pas de créer des applications identiques les unes aux autres, mais cohérentes les unes par rapport aux autres : le but est de créer un sens d’uniformité, des repères facilitant l’utilisation des applications.
« Les utilisateurs apprendront votre application plus rapidement si l’interface ressemble à et se comporte comme les applications avec lesquelles ils sont familiers » : ce sens de cohérence graphique est un élément de friction en moins pour l’utilisateur débutant qui doit déjà apprendre plein de choses, et conforte le power-user dans ses habitudes bien ancrées en lui permettant de se concentrer sur la tâche à accomplir plutôt que sur l’interface.
On a souvent critiqué Apple pour son non-respect supposé de ses propres directives, mais ce non-respect porte plus sur le comportement des applications que sur leur interface, contrairement à une opinion répandue. Apple a par exemple souvent été floue sur le comportement du bouton rouge de fermeture d’une fenêtre, qui est censé quitter l’application si celle-ci n’ouvre pas des documents ou n’a rien à exécuter en tâche de fond. C’est le cas des Préférences Système ou du Mac App Store (mais pas de Pages, de Mail ou d’iTunes, logique), mais ce n’est pas le cas du Carnet d’adresses, sans que l’on comprenne bien pourquoi.
Il est vrai qu’Apple expérimente souvent avec ses propres applications en matière d’interface : iTunes a souvent changé de visage de version majeure en version majeure, mais des changements aussi décriés que celui du placement des boutons d’interaction avec la fenêtre ont leur logique, gravée dans les HIG (lire : iTunes 10 : plus cohérent qu'il n'y paraît). On pourrait objecter que le Finder, iTunes et Mail n’ont pas tout à fait la même apparence : on nous a expliqué il y a quelques années déjà que cela était voulu.
Il faut là encore distinguer cohérence et mimétisme : l’interface des applications est cohérente (des boutons en haut à gauche, une barre d’outils, une barre latérale, une poignée en bas à droite pour redimensionner la fenêtre), mais les petites différentes entre elles permettent de mieux s’y retrouver.
On sait en effet d’un coup d’œil que la fenêtre derrière son navigateur qui possède des capsules dans la barre d’outils est Mail, que l’autre est celle d’iTunes. De fait, les développeurs possèdent une grande liberté, même si Apple impose de réfléchir quelques minutes avant de faire tel ou tel choix sur tel ou tel élément d’interface (Pixelmator utilise des palettes HUD semi-transparentes plutôt que des palettes grises standard parce que c’est une application immersive où le document est central).
La vague des applications de la « Delicious Generation » ou même iMovie ou GarageBand montre qu’il est possible de s’écarter de la bête fenêtre Finder tout en gardant les repères traditionnels des applications Mac OS X et donc sans perturber les automatismes des utilisateurs.
Ce long détour permet de revenir au Mac App Store et aux applications qu’il contient, et au débat lancé par certaines des applications qui y sont disponibles. L’interface de l’application Mac App Store elle-même pose plusieurs problèmes. Il va falloir se faire à la disparition de la barre de titre sa fusion avec la barre d’outils : iTunes 10 a montré la voie, le Mac App Store la confirme. Les HIG la requièrent, mais hors des applications ouvrant un document, où la barre de titre permet de naviguer dans la hiérarchie de navigation, elle sert à peu de choses. La seule question qui reste sans réponse est celle du placement des boutons de fermeture, centrés à l’horizontale dans le Mac App Store, alignés à la verticale dans iTunes, dans les deux cas pour des raisons de symétrie.
On peut néanmoins légitimement réagir à certains choix d’interface qui violent allègrement les HIG : des points de détail certes, mais qui mis bout à bout, font tiquer. Les flèches de navigation du Mac App Store, par exemple, qui sont de la même couleur de la barre d’outils, alors qu’elles devraient être d’une teinte différente pour favoriser le contraste et l’accessibilité.
L’application Twitter pour Mac a carrément déclenché des débats passionnés : elle ne possède pas de barre de titre ; ses boutons de fermeture sont noirs ; il faut utiliser la barre latérale noire pour déplacer la fenêtre mais cette fenêtre ne peut pas passer sous la zone du Dock et donc être placée dans un coin d’écran ; la police utilisée est celle d’iOS (Helvetica) et pas celle de Mac OS (Lucida Grande) ; dans la zone de texte pour écrire un nouveau tweet, la barre noire est cette fois en bas et non sur le côté ; le contraste des éléments de l’application est très mauvais ce qui va sans doute poser des problèmes d’accessibilité ; il est quasiment impossible de savoir si l’application est au premier ou à l’arrière-plan. Certains adorent cette interface, la qualifiant même de parangon de beauté, alors que d’autres détestent. Syndrome d’un affrontement entre vieux de la vieille et habitués d’iOS ?
À s'en tirer les cheveux
Les HIG ont eu l’effet, après quelques tâtonnements et des mises à jour régulières des conseils d’Apple, de fixer un cadre aux limites plus au moins définies à la conception d’interfaces sur Mac OS. iOS aussi a ses HIG, mais à support différent, règles différentes.
L’écran d’un iPhone ou d’un iPad n’affichant qu’une application à la fois, celle-ci est comme un petit univers. Cet écran étant tactile, le développeur doit fournir des contrôles directs avec un retour utilisateur. Apple encourage donc à la création d’interfaces personnalisées, tout en mettant l’accent sur des interfaces « naturelles » : le mimétisme doit ici se faire avec des objets du quotidien. La firme de Cupertino fournit néanmoins un certain nombre d’éléments d’interface standardisés : personnalisation oui, mais dans le respect d’une certaine cohérence. Ainsi, si chaque application iOS est légèrement différente d’une autre, l’ensemble des applications iOS a une certaine cohérence qui offre à la plateforme d’Apple une densité, une consistance que d’autres n’ont pas.
Mac OS et iOS obéissent donc à deux jeux de règles différents, parce que l’un s’utilise avec un dispositif de pointage relatif alors que l’autre s’utilise avec un dispositif de pointage absolu. Mais ces deux jeux de règles participent d’une même philosophie : la cohérence globale des applications, malgré leurs différences parfois énormes, prime sur l’aspect individuel de chaque interface. Cela ne veut pas dire qu’Apple a tout inventé et qu’il faut arrêter de concevoir des interfaces : le « tirer pour rafraîchir » sur le Tweetie pour iPhone de Loren Brichter a fait florès parce qu’il s’intègre bien à iOS, est élégant et fonctionnel. Bref, parce qu’il a l’« esprit » Apple.
Pour certains, beaucoup trop d’applications disponibles dans le Mac App Store n’ont justement pas cet esprit, au point même de les qualifier de « crapwares ». Cette vision est réductrice, mais symptomatique d’un malaise face à certaines nouveautés. Il y a d’abord les fautes de goût, les décisions malencontreuses, les choix de couleurs effectués les yeux fermés : c’est inévitable, et il vaut mieux vite passer sur le cas de ces applications au risque d’être à ce point moqueur qu’on en devient cruel.
Quelques applications venant d’iOS n’ont rien changé de leur interface. Si une glissière a un sens sur un appareil tactile, elle en a beaucoup moins sur Mac (y compris quand Apple en glisse dans ses applications), et enfermer une application iPhone dans une fenêtre Mac OS comme si elle était un widget a un côté gentiment ridicule.
D’autres sont adaptées à Mac OS X, mais possèdent des éléments d’interface qui non seulement détonnent, mais posent des problèmes. Twitter pose quelques questions sur la manipulation de ses fenêtres. Même si elle rappelle celle de Photo Booth, l’interface « faux bois » d’Old Booth est difficilement lisible. Music Library place toute son interface dans un panneau HUD noir transparent, ce qui risque non seulement d’entraîner des problèmes de lisibilité, mais ce qui entraîne aussi quelques incohérences dans la gestion de la « fenêtre ». Puisque les panneaux HUD n’ont qu’un bouton de fermeture, il faut redimensionner la fenêtre manuellement pour qu’elle se transforme en mini-lecteur, et on ne peut pas la minimiser (il faut la fermer).
Le problème n’est pas que les développeurs expérimentent : le problème est que le cadre de cohérence globale semble voler en éclats. Ce phénomène existait bien avant le Mac App Store, mais est d’autant plus sensible que la boutique d’applications pour le Mac est un prisme déformant. Il risque fort de s’accélérer si la tendance est au port pur et simple des applications iOS plutôt qu’à leur adaptation : là réside l’essentiel du « danger » de la copie du modèle iOS.
À venir sur Mac OS X Lion
John Gruber réfute cette argumentation visant à opposer cohérence globale (qu’il qualifie d’uniformité) et l’individualisme de chaque application. Pour lui, les HIG sont des reliques « d’un temps passé », comme ceux qui y sont encore attachés. Il ne faut en fait pas tomber dans un piège qui consisterait à considérer toute application s’éloignant des règles des HIG comme de mauvaises applications. Au risque de se répéter, les HIG fixent un cadre souple, un cadre qui a toute sa pertinence, mais un cadre qui n'est pas sacro-saint.
Le Mac App Store est sans aucun doute une préfiguration de Mac OS X Lion. On a encore peu vu de ce nouveau système, mais il faut s’apprêter à voir disparaître Aqua au profit d’un thème graphique plus proche de celui d’iOS (ascenseurs, éléments des barres d’outils). Apple a particulièrement mis l’accent sur l’utilisation en mode plein écran, et ce mode plein écran entraîne mécaniquement une réorganisation des applications.
En mode plein écran en effet, le document est placé au centre. En haut de l’écran, mais surtout en bas de celui-ci s’affichent les outils : si on veut préserver la symétrie des interfaces, alors la barre d’outils de l’application doit se détacher de la barre de titre et venir se loger en bas de la fenêtre. C’est d’ores et déjà le cas dans iPhoto ’11, et c’est une grande nouveauté qui déplace le centre de gravité des interfaces, et rend presque accessoire la barre de titre, qui risque donc d’avoir tendance à disparaître. Si elle disparaît, la manipulation des fenêtres est moins aisée : c’est en fait le concept même de fenêtre qui se désagrège. Il est certain que Mac OS X Lion nous prépare bien des surprises sur ce point précis, mais on se retrouve entre-temps avec un entre-deux un peu chaotique.
L’autre tendance tirée d’iOS est cette volonté de tout mettre dans des applications : la déclaration d’Indépendance américaine a sa propre application ! Certains critiquent déjà cette « applification » du Web sur iOS, mais cette tendance semble avoir encore moins de sens sur Mac OS, qui possède un système de fichiers accessible à l’utilisateur pour ne pas avoir besoin d’enfermer des documents dans des applications, et possède accessoirement un choix de navigateurs puissants et complets qui permettent d’accéder à des sites Internet qui ne font pas moins que ces applications.
À moins, là encore, que le futur soit définitivement à trouver dans une minimisation du rôle du navigateur de fichiers, ce Finder parent pauvre du Mac, et dans une « applification » des tâches. Nous sommes peut-être en train d’assister à la mort si longtemps prophétisée des HIG Mac OS au profit d’un passage à de nouvelles HIG bien plus proches de celles d’iOS : la cohérence se fera un peu moins sur la présence d’éléments communs et un peu plus sur une mode d’utilisation commun, donnant la part belle au plein écran et aux gestes.
Mieux ou moins bien, il faudra juger sur pièce, mais si l'évolution ne se fait pas au détriment de l'accessibilité (point fort de Mac OS), permet d'accéder à 100 % des fonctions avec un périphérique de pointage non-tactile, et ne dilue pas « l'intuitivité, l'élégance et la puissance » du Mac, les mots sont d'Apple, alors la pilule pourra passer. Deux choses sont sûres : la traduction sans adaptation des métaphores d’iOS au Mac ne fonctionne pas, et le Mac de 2011 risque d’être bien différent de tout ce que l’on a connu. On n’a donc pas fini d’hurler et d’entendre hurler, à tort ou à raison. Aux power-users qui ne savent pas encore trop quoi penser du Mac App Store, on dira en forme de consolation que le cauchemar de l'explication du concept de la DMG aux débutants est fini. Et de cela, on aura du mal à se plaindre…
Haro sur les HIG
Le point qui fait certainement le plus débat depuis le lancement du Mac App Store concerne l’interface de la boutique d’Apple, mais aussi celle d’applications populaires, en violation complète des Human Interface Guidelines.
Avec ses Human Interface Guidelines (HIG), Apple fixe le cadre général des interfaces d’application dans Mac OS X, ce qui est facilité par le fait qu’elle fournit outils de développement et éléments graphiques standard. Le but n’est pas de créer des applications identiques les unes aux autres, mais cohérentes les unes par rapport aux autres : le but est de créer un sens d’uniformité, des repères facilitant l’utilisation des applications.
« Les utilisateurs apprendront votre application plus rapidement si l’interface ressemble à et se comporte comme les applications avec lesquelles ils sont familiers » : ce sens de cohérence graphique est un élément de friction en moins pour l’utilisateur débutant qui doit déjà apprendre plein de choses, et conforte le power-user dans ses habitudes bien ancrées en lui permettant de se concentrer sur la tâche à accomplir plutôt que sur l’interface.
On a souvent critiqué Apple pour son non-respect supposé de ses propres directives, mais ce non-respect porte plus sur le comportement des applications que sur leur interface, contrairement à une opinion répandue. Apple a par exemple souvent été floue sur le comportement du bouton rouge de fermeture d’une fenêtre, qui est censé quitter l’application si celle-ci n’ouvre pas des documents ou n’a rien à exécuter en tâche de fond. C’est le cas des Préférences Système ou du Mac App Store (mais pas de Pages, de Mail ou d’iTunes, logique), mais ce n’est pas le cas du Carnet d’adresses, sans que l’on comprenne bien pourquoi.
Il est vrai qu’Apple expérimente souvent avec ses propres applications en matière d’interface : iTunes a souvent changé de visage de version majeure en version majeure, mais des changements aussi décriés que celui du placement des boutons d’interaction avec la fenêtre ont leur logique, gravée dans les HIG (lire : iTunes 10 : plus cohérent qu'il n'y paraît). On pourrait objecter que le Finder, iTunes et Mail n’ont pas tout à fait la même apparence : on nous a expliqué il y a quelques années déjà que cela était voulu.
Il faut là encore distinguer cohérence et mimétisme : l’interface des applications est cohérente (des boutons en haut à gauche, une barre d’outils, une barre latérale, une poignée en bas à droite pour redimensionner la fenêtre), mais les petites différentes entre elles permettent de mieux s’y retrouver.
On sait en effet d’un coup d’œil que la fenêtre derrière son navigateur qui possède des capsules dans la barre d’outils est Mail, que l’autre est celle d’iTunes. De fait, les développeurs possèdent une grande liberté, même si Apple impose de réfléchir quelques minutes avant de faire tel ou tel choix sur tel ou tel élément d’interface (Pixelmator utilise des palettes HUD semi-transparentes plutôt que des palettes grises standard parce que c’est une application immersive où le document est central).
La vague des applications de la « Delicious Generation » ou même iMovie ou GarageBand montre qu’il est possible de s’écarter de la bête fenêtre Finder tout en gardant les repères traditionnels des applications Mac OS X et donc sans perturber les automatismes des utilisateurs.
Ce long détour permet de revenir au Mac App Store et aux applications qu’il contient, et au débat lancé par certaines des applications qui y sont disponibles. L’interface de l’application Mac App Store elle-même pose plusieurs problèmes. Il va falloir se faire à la disparition de la barre de titre sa fusion avec la barre d’outils : iTunes 10 a montré la voie, le Mac App Store la confirme. Les HIG la requièrent, mais hors des applications ouvrant un document, où la barre de titre permet de naviguer dans la hiérarchie de navigation, elle sert à peu de choses. La seule question qui reste sans réponse est celle du placement des boutons de fermeture, centrés à l’horizontale dans le Mac App Store, alignés à la verticale dans iTunes, dans les deux cas pour des raisons de symétrie.
On peut néanmoins légitimement réagir à certains choix d’interface qui violent allègrement les HIG : des points de détail certes, mais qui mis bout à bout, font tiquer. Les flèches de navigation du Mac App Store, par exemple, qui sont de la même couleur de la barre d’outils, alors qu’elles devraient être d’une teinte différente pour favoriser le contraste et l’accessibilité.
L’application Twitter pour Mac a carrément déclenché des débats passionnés : elle ne possède pas de barre de titre ; ses boutons de fermeture sont noirs ; il faut utiliser la barre latérale noire pour déplacer la fenêtre mais cette fenêtre ne peut pas passer sous la zone du Dock et donc être placée dans un coin d’écran ; la police utilisée est celle d’iOS (Helvetica) et pas celle de Mac OS (Lucida Grande) ; dans la zone de texte pour écrire un nouveau tweet, la barre noire est cette fois en bas et non sur le côté ; le contraste des éléments de l’application est très mauvais ce qui va sans doute poser des problèmes d’accessibilité ; il est quasiment impossible de savoir si l’application est au premier ou à l’arrière-plan. Certains adorent cette interface, la qualifiant même de parangon de beauté, alors que d’autres détestent. Syndrome d’un affrontement entre vieux de la vieille et habitués d’iOS ?
À s'en tirer les cheveux
Les HIG ont eu l’effet, après quelques tâtonnements et des mises à jour régulières des conseils d’Apple, de fixer un cadre aux limites plus au moins définies à la conception d’interfaces sur Mac OS. iOS aussi a ses HIG, mais à support différent, règles différentes.
L’écran d’un iPhone ou d’un iPad n’affichant qu’une application à la fois, celle-ci est comme un petit univers. Cet écran étant tactile, le développeur doit fournir des contrôles directs avec un retour utilisateur. Apple encourage donc à la création d’interfaces personnalisées, tout en mettant l’accent sur des interfaces « naturelles » : le mimétisme doit ici se faire avec des objets du quotidien. La firme de Cupertino fournit néanmoins un certain nombre d’éléments d’interface standardisés : personnalisation oui, mais dans le respect d’une certaine cohérence. Ainsi, si chaque application iOS est légèrement différente d’une autre, l’ensemble des applications iOS a une certaine cohérence qui offre à la plateforme d’Apple une densité, une consistance que d’autres n’ont pas.
Mac OS et iOS obéissent donc à deux jeux de règles différents, parce que l’un s’utilise avec un dispositif de pointage relatif alors que l’autre s’utilise avec un dispositif de pointage absolu. Mais ces deux jeux de règles participent d’une même philosophie : la cohérence globale des applications, malgré leurs différences parfois énormes, prime sur l’aspect individuel de chaque interface. Cela ne veut pas dire qu’Apple a tout inventé et qu’il faut arrêter de concevoir des interfaces : le « tirer pour rafraîchir » sur le Tweetie pour iPhone de Loren Brichter a fait florès parce qu’il s’intègre bien à iOS, est élégant et fonctionnel. Bref, parce qu’il a l’« esprit » Apple.
Pour certains, beaucoup trop d’applications disponibles dans le Mac App Store n’ont justement pas cet esprit, au point même de les qualifier de « crapwares ». Cette vision est réductrice, mais symptomatique d’un malaise face à certaines nouveautés. Il y a d’abord les fautes de goût, les décisions malencontreuses, les choix de couleurs effectués les yeux fermés : c’est inévitable, et il vaut mieux vite passer sur le cas de ces applications au risque d’être à ce point moqueur qu’on en devient cruel.
Quelques applications venant d’iOS n’ont rien changé de leur interface. Si une glissière a un sens sur un appareil tactile, elle en a beaucoup moins sur Mac (y compris quand Apple en glisse dans ses applications), et enfermer une application iPhone dans une fenêtre Mac OS comme si elle était un widget a un côté gentiment ridicule.
D’autres sont adaptées à Mac OS X, mais possèdent des éléments d’interface qui non seulement détonnent, mais posent des problèmes. Twitter pose quelques questions sur la manipulation de ses fenêtres. Même si elle rappelle celle de Photo Booth, l’interface « faux bois » d’Old Booth est difficilement lisible. Music Library place toute son interface dans un panneau HUD noir transparent, ce qui risque non seulement d’entraîner des problèmes de lisibilité, mais ce qui entraîne aussi quelques incohérences dans la gestion de la « fenêtre ». Puisque les panneaux HUD n’ont qu’un bouton de fermeture, il faut redimensionner la fenêtre manuellement pour qu’elle se transforme en mini-lecteur, et on ne peut pas la minimiser (il faut la fermer).
Le problème n’est pas que les développeurs expérimentent : le problème est que le cadre de cohérence globale semble voler en éclats. Ce phénomène existait bien avant le Mac App Store, mais est d’autant plus sensible que la boutique d’applications pour le Mac est un prisme déformant. Il risque fort de s’accélérer si la tendance est au port pur et simple des applications iOS plutôt qu’à leur adaptation : là réside l’essentiel du « danger » de la copie du modèle iOS.
À venir sur Mac OS X Lion
John Gruber réfute cette argumentation visant à opposer cohérence globale (qu’il qualifie d’uniformité) et l’individualisme de chaque application. Pour lui, les HIG sont des reliques « d’un temps passé », comme ceux qui y sont encore attachés. Il ne faut en fait pas tomber dans un piège qui consisterait à considérer toute application s’éloignant des règles des HIG comme de mauvaises applications. Au risque de se répéter, les HIG fixent un cadre souple, un cadre qui a toute sa pertinence, mais un cadre qui n'est pas sacro-saint.
Le Mac App Store est sans aucun doute une préfiguration de Mac OS X Lion. On a encore peu vu de ce nouveau système, mais il faut s’apprêter à voir disparaître Aqua au profit d’un thème graphique plus proche de celui d’iOS (ascenseurs, éléments des barres d’outils). Apple a particulièrement mis l’accent sur l’utilisation en mode plein écran, et ce mode plein écran entraîne mécaniquement une réorganisation des applications.
En mode plein écran en effet, le document est placé au centre. En haut de l’écran, mais surtout en bas de celui-ci s’affichent les outils : si on veut préserver la symétrie des interfaces, alors la barre d’outils de l’application doit se détacher de la barre de titre et venir se loger en bas de la fenêtre. C’est d’ores et déjà le cas dans iPhoto ’11, et c’est une grande nouveauté qui déplace le centre de gravité des interfaces, et rend presque accessoire la barre de titre, qui risque donc d’avoir tendance à disparaître. Si elle disparaît, la manipulation des fenêtres est moins aisée : c’est en fait le concept même de fenêtre qui se désagrège. Il est certain que Mac OS X Lion nous prépare bien des surprises sur ce point précis, mais on se retrouve entre-temps avec un entre-deux un peu chaotique.
L’autre tendance tirée d’iOS est cette volonté de tout mettre dans des applications : la déclaration d’Indépendance américaine a sa propre application ! Certains critiquent déjà cette « applification » du Web sur iOS, mais cette tendance semble avoir encore moins de sens sur Mac OS, qui possède un système de fichiers accessible à l’utilisateur pour ne pas avoir besoin d’enfermer des documents dans des applications, et possède accessoirement un choix de navigateurs puissants et complets qui permettent d’accéder à des sites Internet qui ne font pas moins que ces applications.
À moins, là encore, que le futur soit définitivement à trouver dans une minimisation du rôle du navigateur de fichiers, ce Finder parent pauvre du Mac, et dans une « applification » des tâches. Nous sommes peut-être en train d’assister à la mort si longtemps prophétisée des HIG Mac OS au profit d’un passage à de nouvelles HIG bien plus proches de celles d’iOS : la cohérence se fera un peu moins sur la présence d’éléments communs et un peu plus sur une mode d’utilisation commun, donnant la part belle au plein écran et aux gestes.
Mieux ou moins bien, il faudra juger sur pièce, mais si l'évolution ne se fait pas au détriment de l'accessibilité (point fort de Mac OS), permet d'accéder à 100 % des fonctions avec un périphérique de pointage non-tactile, et ne dilue pas « l'intuitivité, l'élégance et la puissance » du Mac, les mots sont d'Apple, alors la pilule pourra passer. Deux choses sont sûres : la traduction sans adaptation des métaphores d’iOS au Mac ne fonctionne pas, et le Mac de 2011 risque d’être bien différent de tout ce que l’on a connu. On n’a donc pas fini d’hurler et d’entendre hurler, à tort ou à raison. Aux power-users qui ne savent pas encore trop quoi penser du Mac App Store, on dira en forme de consolation que le cauchemar de l'explication du concept de la DMG aux débutants est fini. Et de cela, on aura du mal à se plaindre…