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Chrome OS : la tête dans le nuage

Arnaud de la Grandière

lundi 13 décembre 2010 à 17:20 • 55

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Un an après l'annonce de Chrome OS, Google est revenu en détail sur son futur système d'exploitation. Depuis, en sortant l'iPad, Apple a quelque peu changé la donne sur le marché des NetBooks (cibles par excellence de Chrome OS puisque celui-ci sera livré sur des NetBooks spécifiquement taillés pour lui). Les autres fabricants ont emboîté le pas à la firme de Cupertino en travaillant sur des tablettes tactiles, basées pour certaines sur Android, bien que l'autre système d'exploitation de Google semble nécessiter quelques modifications pour mieux ce prêter à ce nouveau format. En quelque sorte, l'iPad et Android ont rendu Chrome OS moins pertinent.

L'OS du "cloud" par excellence

Malgré tout, Chrome OS apparaît comme une évidence, tant le système de Google se trouve au parfait croisement des intérêts des utilisateurs et de Google. Chrome OS pousse la logique du "Cloud Computing" à son paroxysme, puisque les applications sont des Web Apps, et les documents stockés sur le Net. Bien sûr, Google offre la possibilité de conserver un stockage local en cas d'absence de connexion (un cas de figure auquel elle a tâché de remédier en offrant 100 Mo de données mensuelles sur le réseau cellulaire durant deux ans), mais l'utilisation en ligne est clairement le mode de prédilection pour Chrome OS.

Ceux qui frémissaient déjà d'effroi à l'idée que Google sache tout de leur utilisation d'Internet en seront pour leurs frais : avec Chrome OS c'est toute l'utilisation de votre ordinateur qui s'offrira à l'inspection du géant de la recherche. De quoi vous présenter des publicités ciblées sur votre dernier document de texte, entre autres. En quelque sorte, Chrome OS offre à Google la possibilité de "noyauter" ce qui se faisait déjà jusqu'ici avec Windows ou Mac OS X, mais qui lui échappait encore. Les données privées étant la matière première de Google en sa qualité de régie publicitaire mondiale, Chrome OS lui ouvre tout un pan de votre vie, jusqu'ici encore inaccessible. Certes, les utilisateurs de Google Documents et autres services offraient déjà leur intimité à Google, mais Chrome OS systématise la chose, dans la mesure où le système donne aux services en ligne de Google la préférence sur des concurrents hors ligne comme Microsoft Office.

Pourquoi donc sacrifier aux indiscrétions de Google? Comme pour les autres services de la société de Mountain View, Chrome OS n'est pas sans attrait. Google conservera pour vous, en permanence, une image de l'état de votre ordinateur depuis votre dernière connexion. Ainsi, il vous suffit de vous connecter avec votre identifiant Google depuis n'importe quelle machine Chrome OS pour tout retrouver dans l'état dans lequel vous l'avez laissé. La perte, la casse et le vol ne seront plus un souci pour vos conserver l'accès à vos données, comme démontré de manière éloquente dans cette vidéo de démonstration :



Avec Chrome OS, finies les fastidieuses réinstallations au changement de machine, et finies les mises à jour du système et des logiciels. Google a réussi à mettre au placard ces éléments qui détournaient l'utilisateur, ne serait-ce que momentanément, de la vocation même de son ordinateur. Notons tout de même au passage qu'Apple a fourni ses propres réponses, avec MobileMe, Time Machine, et le processus même d'installation de Mac OS X, à la question de la réinstallation. Tout comme l'iPad, Chrome OS propose également une sortie de veille instantanée.

Une sécurité sans faille (ou presque)

D'autre part Chrome OS présente une sécurité encore inégalée : les NetBooks basés sur Chrome OS ont une bootrom qui vérifie l'intégrité des données au démarrage, un système incontournable à moins de modifier physiquement la configuration matérielle. Les Web Apps sont confinées dans des "bacs à sable" empêchant tout mauvais tour de la part des développeurs. Et si vous devez prêter votre NetBook Chrome OS à un ami, un compte "invité" protègera sa navigation et ses documents tout comme les vôtres (il est toutefois pertinent de s'interroger sur le fait de cacher ses données privées à un ami si c'est pour les offrir sur un plateau à Google…)

Mais si Google met l'accent sur la sécurité, il n'en reste pas moins que la nature connectée de Chrome OS s'avère être également son talon d'Achille : l'enceinte est certes renforcée de béton armé, mais la porte d'entrée n'est fermée que par un bête cadenas. Si une personne indiscrète en venait à mettre la main sur le mot de passe de votre compte Google, elle n'a plus même besoin d'accéder physiquement à votre NetBook pour obtenir toutes vos données. Et Dieu sait que les moyens ne manquent pas pour obtenir un tel mot de passe. Pour preuve, même pour quelque chose d'aussi trivial qu'un compte sur World of Warcraft, Blizzard fournit un système de protection à double mot de passe à l'aide d'un appareil électronique qui fournit une clé à usage unique. On le sait, il n'y a rien de pire pour la sécurité des données que le sentiment de sécurité lui-même.

Reste à voir comment la mayonnaise va prendre de manière effective sur le marché. Malgré l'audace de Chrome OS, le système de Google n'en reprend pas moins l'ancien paradigme de l'interface utilisateur basée sur un système de pointage déporté, alors que le multitouch a le vent en poupe et fait incroyablement parler de lui. Certes Chrome OS répond à différentes problématiques, ce qui en rend l'utilisation d'autant plus simple et directe, et la proposition de Google ne manque pas de cohérence et d'atouts, mais l'iPad est encore plus directement accessible à tout un chacun (fait éloquent : on ne compte plus les utilisateurs émérites d'iOS de moins de 18 mois sur YouTube). Pour peu que le futur Data Center d'Apple permette de se passer d'un ordinateur pour synchroniser un appareil iOS, Chrome OS y perdrait son principal avantage. Si l'on ignore encore l'accueil que le public réservera à Chrome OS, les fabricants en revanche ne cachent pas leur intérêt : Acer, Samsung, HP, Asus, Lenovo et Toshiba comptent tous sortir des produits tournant sous Chrome OS.

Performances en berne

N'oublions pas également que les deux systèmes d'exploitation de Google partagent leurs vues sur le marché, et quand bien même Google a-t-elle tranché en spécifiant qu'Android se réserverait aux appareils mobiles et tactiles, et Chrome OS aux ordinateurs dignes de ce nom, c'est bien le marché qui décidera de ce qui lui semble le plus pertinent entre les deux formes d'utilisation. D'autant qu'en terme de puissance, l'avantage pourrait bien venir à Android.

Google a certes engagé de louables tentatives pour permettre le maximum sur Chrome OS : un moteur JavaScript plus performant encore (et celui-ci s'avérera crucial puisqu'il permet de faire fonctionner les Web Apps), la promotion de technologies comme WebGL qui permet de faire de la 3D accélérée matériellement dans une simple page web (bien qu'encore limité, lire HTML : le mythe universaliste), ou encore Native Client qui permet d'exécuter du code binaire universel (lire Google NaCl : Du code natif dans le navigateur). Et si par malheur tout ça ne suffisait pas, il reste toujours la possibilité de contrôler un "vrai" PC à distance à l'aide de solutions comme Citrix, démontrée lors de la conférence de Google (si l'on a pu voir SolidWorx fonctionner, l'image était certes en 3D, mais pas moins fixe pour autant, le démonstrateur omettant bien commodément d'effectuer le moindre déplacement tridimensionnel).

Néanmoins, le ton a été donné lors de la conférence avec la démonstration du géant du jeu vidéo EA. Alors qu'on doit à l'éditeur des titres techniquement ambitieux sur la majorité des plateformes qu'il a investi (y compris sur iOS avec Need for Speed et consorts), et alors que cette conférence était l'occasion de montrer toute la mesure de ce qu'il est possible de faire, tout ce qu'Electronic Arts a cru bon de montrer c'est… Poppit, un casual game navrant de simplicité sur un plan strictement technique. Il semble qu'il faudra encore attendre longtemps avant d'avoir sur Chrome OS quelque chose du niveau technique d'Infinity Blade sur iOS (lire notre test).



Le Web a son store

D'autre part, si Google a clairement tiré les enseignements de l'App Store en proposant un Chrome Web Store, une petite révolution à elle toute seule dans la mesure où elle permet enfin de monétiser les contenus du web en toute quiétude, la démonstration du New York Times peut laisser dubitatif. Tout au plus s'agit-il d'une refonte dynamique de la présentation des contenus par ailleurs déjà disponibles en ligne. Si une telle refonte peut s'avérer séduisante en passant par une approche tactile, difficile de dire si une simple CSS élaborée suffira à conquérir le chaland. D'autre part, le Chrome Web Store instaure résolument l'accès à certaines applications… par abonnement. Quoi qu'il en soit, le Chrome Web Store offre une solution qui manquait cruellement au web : un système centralisé d'achat de contenus en ligne, sans crainte pour l'utilisation d'une carte bleue, et sans multiplication de comptes pour l'utilisateur. C'est résolument l'un des éléments déterminants qu'Apple a apportés avec son App Store, en ayant déjà à son actif la confiance des millions d'utilisateurs de l'iTunes Store.

skitched

Bref, avec Chrome OS, Google a réussi un vieux rêve de Microsoft : évoluer vers le logiciel-comme-un-service, le nouvel eldorado des éditeurs. Cette tendance a déjà été amorcée depuis un moment avec des solutions comme Steam, OnLive, ou encore l'Adobe Air Marketplace.

Un OS pour les gouverner tous

Google croit dur comme fer en l'avenir de son dernier poulain : interrogé par Search Engine Land, Caesar Sengupta, directeur de la gestion de produits chez Google, pense qu'à terme ce mode d'utilisation supplantera les PC et les Mac tels qu'on les utilise aujourd'hui. « Je pense que ça dépend de l'utilisateur et de son comportement. À long terme et dans les grandes lignes, absolument. Je pense que nous aurons échoué si ça ne devient pas l'informatique par défaut. Mais en ce moment même, nous voyons des centaines de millions d'utilisateurs qui vivent sur le web. Pour nombre de ces utilisateurs, ceci remplacera leur machine immédiatement, particulièrement à mesure que les web apps s'améliorent. »

Le ton est donné : Microsoft et Apple savent à quoi s'en tenir sur les vues hégémoniques de leur partenaire et concurrente.

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