Alors que les conditions de travail dans les usines chinoises sont fortement remises en cause, le New York Times propose de suivre la chaîne de fabrication de l'iPhone 4, avec une conclusion : celui-ci pourrait bientôt être plus cher.
Derrière l'étiquette, une chaîne complexe
Aux États-Unis, Apple vend son iPhone 4 16 Go 599 $. Selon iSuppli, les composants comptent pour 187,51 $ dans ce total. On peut y ajouter 45,95 $ de frais divers — le plus petit poste de dépense est l'assemblage, qui revient à 6,54 $ par téléphone.
Les frais divers englobent le tout début et la toute fin de la chaîne : la recherche et le développement d'abord, mais aussi les frais annexes de distribution. Apple a travaillé en étroite collaboration avec Samsung pour concevoir le SoC A4 (10,75 $) et pour être servie en priorité et en volume en mémoire flash (27 $). La firme de Cupertino a aussi des accords avec LG et Toshiba pour le Retina Display (28,50 $), et se fournit chez Infineon et Broadcom pour les puces GSM (14,05 $) et WiFi, Bluetooth et GPS (9,55 $), chez STMicroelectronics pour l'accéléromètre et le gyromètre (3,25 $).
À ce stade, tout ou provient de l'extérieur de la Chine : ces fabricants sont coréens, américains ou européens, et fabriquent presque tout à domicile. Mais dès lors qu'il faut passer aux choses sérieuses, et assembler les pièces de ce puzzle, Foxconn est incontournable : la société taïwanaise emploie 800.000 personnes en Chine continentale, des salariés payés moins d'un dollar de l'heure, vivant dans des villes-usines à l'organisation stricte (lire : Foxconn, le Fort Knox d'Apple). Le modèle de Foxconn est simple : marges ridicules, volume énorme, et efficacité maximale.
C'est le modèle de tous les assembleurs, qui ne sont qu'une poignée à se partager un business de 250 milliards de dollars, indispensable à Apple certes, mais aussi à HP, Dell, et tous les autres grands noms de l'informatique, qui veulent eux faire une marge maximale, ou au moins avoir suffisamment de latitude pour fixer leurs tarifs comme ils l'entendent.
Les assembleurs comme Foxconn, quant à eux, vont faire leur marge certes sur le volume, mais aussi par de petites avancées çà et là, qui vont dégager de suite des profits. De petites économies aujourd'hui nécessaires s'ils veulent préserver leur modèle économique et celui de leurs clients : les salaires chinois ont augmenté de 50 % depuis 2005, et ont pris 20 à 30 % rien que cette année.
Les (pas si) petites économies de Foxconn
La première économie qu'un assembleur peut faire est de simplifier la ligne d'assemblage : une manière d'interpréter le passage à l'unibody chez Apple est entièrement économique. Certes, les MacBook Pro sont désormais plus beaux et plus résistants, mais ils sont aussi beaucoup plus faciles à produire (leur structure interne est largement une structure nécessitée par les besoins de la chaîne de montage), et les déchets sont valorisables (aluminium et verre sont recyclables à l'envie).
Foxconn a trouvé d'autres moyens pour économiser : « nous pouvons externaliser la production à d'autres fournisseurs, ou nous pouvons développer et produire nos propres composants », explique Arthur Huang, un porte-parole de Foxconn. Foxconn a déjà commencé à sous-traiter une partie de sa production : puisque la Chine devient de plus en plus chère, c'est désormais au Vietnam que l'on produit, où les salaires sont bien plus bas. Développer et produire ses propres composants, c'est aussi concevoir des composants en fonction des impératifs de la chaîne de montage, et se rendre encore un peu plus indispensable en proposant des modules clefs en main que des sociétés comme Dell ou HP pourront choisir comme base pour leurs produits. Mieux encore, Foxconn se dirige vers une intégration verticale : production des éléments de la chaîne de fabrication (machines, moules), production de certains composants, puis assemblage.
Parce que Foxconn ne peut pas quitter le marché chinois, il va aller là où la main d'œuvre sera moins chère. Pour le moment, Foxconn produit surtout à Shenzhen, ville-usine à deux pas de Hong-Kong et de Canton, portes ouvertes où affluent les composants à assembler, et d'où repartent les produits finis. Mais la main-d'œuvre vient souvent de l'intérieur des terres, zones agricoles qui subissent la pression de l'exode rural. C'est précisément là où compte s'installer Foxconn : les salaires y sont 20 à 30 % inférieurs.
L'approche est même encore plus cynique : en se déplaçant à la campagne, Foxconn n'aura plus à construire de gigantesques complexes regroupant habitations et lignes de montages. Foxconn ira au plus près des habitations existantes. Certains cadres pensent aussi qu'une implantation rurale permettra de meilleures conditions psychologiques : les employés n'auront plus à s'adapter à la ville, mais uniquement aux conditions de travail — on vise clairement une réduction du taux de suicide, après cette affaire qui a fait grand bruit.
Pas sûr qu'Apple apprécie : depuis plusieurs années, la firme de Cupertino est très présente sur le terrain, distribuant les bons points à ses sous-traitants les plus respectueux de la législation sur le travail, qui s'est renforcée en Chine. Apple va d'ailleurs plus loin, en imposant une charte de responsabilité sociale à ses fournisseurs. Elle s'assure de son respect par de nombreux audits, qui donnent lieu à un rapport annuel (lire : Apple publie son rapport annuel sur ses fournisseurs). Apple est une des sociétés les plus impliquées auprès de ses sous-traitants, allant jusqu'à former les départements ressources humaines de ses sous-traitants : dans l'enquête sur la vague de suicides chez Foxconn, HP et Dell ont laissé le soin à Apple de la diriger et de la mener, manière de ne pas être en première ligne certes, mais aussi reconnaissance de l'implication de la firme de Cupertino (lire : Suicides chez Foxconn : Apple mène l'enquête ).
Chine : la fin de l'innocence
La situation chinoise pourrait évoluer dans les années qui viennent : « la Chine ne veut plus être l'"usine du monde" » explique Pietra Rivoli, professeur de commerce international à l'université de Georgetown : l'Empire du Milieu veut progressivement bannir le modèle « marges faibles / gros volume », en faveur d'un modèle basé sur la forte valeur ajoutée et la production de connaissances — transition typique que l'on a déjà observée au Japon et surtout dans ce qu'on appelait les « Dragons » (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan), qui ne sont plus uniquement des ateliers, mais de plus en plus des producteurs de recherche et développement : Samsung ou LG, par exemple, sont sud-coréens, et certes sont avant tout des fabricants, mais de plus en plus des concepteurs.
Les « Tigres » (Thaïlande, Malaise, Indonésie, Philippines, Vietnam) pourraient donc accentuer leur penchant industriel — pour un temps seulement, puisque certains prophétisent leur transition vers un système mixte pour la décennie 2020. Mais la Chine pourrait aussi faire sa mue à leurs dépens : de plus en plus de sous-traitants chinois ont mis en place des filières d'immigration depuis Taiwan et la Malaisie. Les candidats à l'immigration doivent payer une forte somme, représentant en théorie un mois de salaire, dans la pratique souvent plus. Là encore, on retrouve Apple en première ligne : elle a mis en place un programme avec les autorités taiwanaises et des ONG et syndicats malaisiens pour limiter les sommes versées. Cela n'est pas suffisant : déboussolés et ne parlant pas un mot de chinois, ces travailleurs sont souvent les premiers à craquer.
La baisse du coût de l'assemblage pour un maintien des marges est une première solution, côté assembleur, mais une solution ni souhaite, ni viable : « les ouvriers ne peuvent pas continuer à vivre comme des mécaniques dans un système inhumain », rappelle Isaac Wang d'iSuppli. La deuxième solution se trouve à l'autre bout de la chaîne, si les « concepteurs » sont prêts à baisser leurs marges en s'accommodant d'une hausse du coût de l'assemblage (augmentation des salaires, amélioration des conditions de vie des travailleurs, maintien du temps de travail global par une augmentation de la masse salariale et une baisse du temps de travail individuel).
Apple : baisse de la marge et relocalisation ?
Sur un iPhone 4 vendu 600 $, Apple fait au plus 360 $ de profit (60 % de marge — on est certainement plus près de 45 % dans la réalité). Apple peut peut-être se permettre de réduire sa marge de quelques points, mais d'autres fabricants ne le peuvent peut-être pas : HP et Dell ont une marge opérationnelle assez réduite, et cette marge est encore plus faible chez Asus, qui est un de ses conglomérats étant à la fois un assembleur (branches Unihan et Pegatron du groupe AsusTeK) et un vendeur (branche Asus). Apple a encore une fois une position un peu particulière : elle pourrait décider de rogner sur sa marge en payant un peu cher, à condition que l'intégralité de l'augmentation soit affectée aux salaires. Alors que la facture actuelle de Foxconn équivaut à 2,3 % du prix du produit Apple fini, la firme de Cupertino pourrait accepter de payer quelques points de plus pour faire augmenter les salaires (lire : Apple contribuerait financièrement à l'amélioration des conditions chez Foxconn).
La troisième solution est encore plus radicale : abandonner la Chine. Dans les années 1980 et au début des années 1990, Apple concevait, fabriquait et assemblait ses ordinateurs aux États-Unis, dans son usine de Fremont (Californie). Pilotée par des Mac, cette usine produisait notamment les Mac SE et Mac II, au rythme de deux par minutes.
Apple est ensuite passé à un système mixte : l'usine de Elk Grove en Californie a notamment produit l'iMac (le G3 était aussi produit au Mexique, en République tchèque ou à Singapour), tandis que l'assemblage des cartes-mères et le conditionnement de certains Mac (notamment Powermac et XServe) avaient lieu dans une Apple Factory en Irlande. À partir de 2003, la part de la Chine dans la production d'Apple n'a cessé d'augmenter, pour des raisons de coût, mais aussi d'échelle, avec le retour au premier plan du Mac.
Lors du développement du procédé Unibody, une rumeur voulait qu'Apple relocalise la production de Mac aux États-Unis : il semble qu'en fait, Apple avait construit une chaîne de fabrication à proximité de son siège pour tester le procédé Unibody et son intégration sur les lignes de montage. Peu à peu, Apple pourrait en effet revenir à un modèle mixte, où l'essentiel de la production viendrait de Chine, mais où des usines seraient aussi implantées au plus près des marchés phares : on parle ainsi d'une usine au Brésil pour alimenter le marché sud-américain, tout en évitant les tarifs douaniers protectionnistes (lire : Des usines Apple au Brésil ?). Aux États-Unis, on a souvent entendu les conservateurs parler de relocalisation, sur le thème de la préférence nationale, mais on entend de plus en plus de libéraux s'emparer du thème, plus souvent depuis l'angle de la redynamisation du tissu économique américain.
Une relocalisation aux États-Unis ne serait pas neutre en termes de coût, mais Steve Jobs pourrait en profiter pour tenter à nouveau de réaliser son rêve d'une usine entièrement automatisée : il avait tenté le coup du temps de NeXT, avant de devoir revendre son usine à Canon en 1993. Voilà de quoi éliminer le paramètre humain de l'équation : les machines ne se plaignent pas, ne font pas d'erreurs (lire : iPhone 4 : des boutons à côté de la plaque), mais surtout, elles ne font pas sortir des produits de l'usine avant leur sortie officielle, contrairement à ces employés vietnamiens qui avaient laissé échapper un MacBook (lire : Les nouveaux MacBook sont prêts…). Ce qui était difficile à faire il y a 15 ans avec une petite société est aujourd'hui à portée de mains d'une multinationale qui cherche quoi faire de son trésor de guerre, alors que la production de Mac, d'iPhone, iPod et iPad est déjà en grande partie automatisée.
La première solution permet le statu quo côté prix, mais n'est pas tenable humainement. Les deux dernières apparaissent donc comme les plus probables à terme : il va falloir s'habituer à payer nos produits technologiques (et pas que) un peu plus cher. iPhone en tête.
Derrière l'étiquette, une chaîne complexe
Aux États-Unis, Apple vend son iPhone 4 16 Go 599 $. Selon iSuppli, les composants comptent pour 187,51 $ dans ce total. On peut y ajouter 45,95 $ de frais divers — le plus petit poste de dépense est l'assemblage, qui revient à 6,54 $ par téléphone.
Les frais divers englobent le tout début et la toute fin de la chaîne : la recherche et le développement d'abord, mais aussi les frais annexes de distribution. Apple a travaillé en étroite collaboration avec Samsung pour concevoir le SoC A4 (10,75 $) et pour être servie en priorité et en volume en mémoire flash (27 $). La firme de Cupertino a aussi des accords avec LG et Toshiba pour le Retina Display (28,50 $), et se fournit chez Infineon et Broadcom pour les puces GSM (14,05 $) et WiFi, Bluetooth et GPS (9,55 $), chez STMicroelectronics pour l'accéléromètre et le gyromètre (3,25 $).
À ce stade, tout ou provient de l'extérieur de la Chine : ces fabricants sont coréens, américains ou européens, et fabriquent presque tout à domicile. Mais dès lors qu'il faut passer aux choses sérieuses, et assembler les pièces de ce puzzle, Foxconn est incontournable : la société taïwanaise emploie 800.000 personnes en Chine continentale, des salariés payés moins d'un dollar de l'heure, vivant dans des villes-usines à l'organisation stricte (lire : Foxconn, le Fort Knox d'Apple). Le modèle de Foxconn est simple : marges ridicules, volume énorme, et efficacité maximale.
C'est le modèle de tous les assembleurs, qui ne sont qu'une poignée à se partager un business de 250 milliards de dollars, indispensable à Apple certes, mais aussi à HP, Dell, et tous les autres grands noms de l'informatique, qui veulent eux faire une marge maximale, ou au moins avoir suffisamment de latitude pour fixer leurs tarifs comme ils l'entendent.
Les assembleurs comme Foxconn, quant à eux, vont faire leur marge certes sur le volume, mais aussi par de petites avancées çà et là, qui vont dégager de suite des profits. De petites économies aujourd'hui nécessaires s'ils veulent préserver leur modèle économique et celui de leurs clients : les salaires chinois ont augmenté de 50 % depuis 2005, et ont pris 20 à 30 % rien que cette année.
Les (pas si) petites économies de Foxconn
La première économie qu'un assembleur peut faire est de simplifier la ligne d'assemblage : une manière d'interpréter le passage à l'unibody chez Apple est entièrement économique. Certes, les MacBook Pro sont désormais plus beaux et plus résistants, mais ils sont aussi beaucoup plus faciles à produire (leur structure interne est largement une structure nécessitée par les besoins de la chaîne de montage), et les déchets sont valorisables (aluminium et verre sont recyclables à l'envie).
Foxconn a trouvé d'autres moyens pour économiser : « nous pouvons externaliser la production à d'autres fournisseurs, ou nous pouvons développer et produire nos propres composants », explique Arthur Huang, un porte-parole de Foxconn. Foxconn a déjà commencé à sous-traiter une partie de sa production : puisque la Chine devient de plus en plus chère, c'est désormais au Vietnam que l'on produit, où les salaires sont bien plus bas. Développer et produire ses propres composants, c'est aussi concevoir des composants en fonction des impératifs de la chaîne de montage, et se rendre encore un peu plus indispensable en proposant des modules clefs en main que des sociétés comme Dell ou HP pourront choisir comme base pour leurs produits. Mieux encore, Foxconn se dirige vers une intégration verticale : production des éléments de la chaîne de fabrication (machines, moules), production de certains composants, puis assemblage.
Parce que Foxconn ne peut pas quitter le marché chinois, il va aller là où la main d'œuvre sera moins chère. Pour le moment, Foxconn produit surtout à Shenzhen, ville-usine à deux pas de Hong-Kong et de Canton, portes ouvertes où affluent les composants à assembler, et d'où repartent les produits finis. Mais la main-d'œuvre vient souvent de l'intérieur des terres, zones agricoles qui subissent la pression de l'exode rural. C'est précisément là où compte s'installer Foxconn : les salaires y sont 20 à 30 % inférieurs.
L'approche est même encore plus cynique : en se déplaçant à la campagne, Foxconn n'aura plus à construire de gigantesques complexes regroupant habitations et lignes de montages. Foxconn ira au plus près des habitations existantes. Certains cadres pensent aussi qu'une implantation rurale permettra de meilleures conditions psychologiques : les employés n'auront plus à s'adapter à la ville, mais uniquement aux conditions de travail — on vise clairement une réduction du taux de suicide, après cette affaire qui a fait grand bruit.
Pas sûr qu'Apple apprécie : depuis plusieurs années, la firme de Cupertino est très présente sur le terrain, distribuant les bons points à ses sous-traitants les plus respectueux de la législation sur le travail, qui s'est renforcée en Chine. Apple va d'ailleurs plus loin, en imposant une charte de responsabilité sociale à ses fournisseurs. Elle s'assure de son respect par de nombreux audits, qui donnent lieu à un rapport annuel (lire : Apple publie son rapport annuel sur ses fournisseurs). Apple est une des sociétés les plus impliquées auprès de ses sous-traitants, allant jusqu'à former les départements ressources humaines de ses sous-traitants : dans l'enquête sur la vague de suicides chez Foxconn, HP et Dell ont laissé le soin à Apple de la diriger et de la mener, manière de ne pas être en première ligne certes, mais aussi reconnaissance de l'implication de la firme de Cupertino (lire : Suicides chez Foxconn : Apple mène l'enquête ).
Chine : la fin de l'innocence
La situation chinoise pourrait évoluer dans les années qui viennent : « la Chine ne veut plus être l'"usine du monde" » explique Pietra Rivoli, professeur de commerce international à l'université de Georgetown : l'Empire du Milieu veut progressivement bannir le modèle « marges faibles / gros volume », en faveur d'un modèle basé sur la forte valeur ajoutée et la production de connaissances — transition typique que l'on a déjà observée au Japon et surtout dans ce qu'on appelait les « Dragons » (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan), qui ne sont plus uniquement des ateliers, mais de plus en plus des producteurs de recherche et développement : Samsung ou LG, par exemple, sont sud-coréens, et certes sont avant tout des fabricants, mais de plus en plus des concepteurs.
En haut : Shenzhen et ses usines. En bas : l'arrière-pays de Hong Kong
Les « Tigres » (Thaïlande, Malaise, Indonésie, Philippines, Vietnam) pourraient donc accentuer leur penchant industriel — pour un temps seulement, puisque certains prophétisent leur transition vers un système mixte pour la décennie 2020. Mais la Chine pourrait aussi faire sa mue à leurs dépens : de plus en plus de sous-traitants chinois ont mis en place des filières d'immigration depuis Taiwan et la Malaisie. Les candidats à l'immigration doivent payer une forte somme, représentant en théorie un mois de salaire, dans la pratique souvent plus. Là encore, on retrouve Apple en première ligne : elle a mis en place un programme avec les autorités taiwanaises et des ONG et syndicats malaisiens pour limiter les sommes versées. Cela n'est pas suffisant : déboussolés et ne parlant pas un mot de chinois, ces travailleurs sont souvent les premiers à craquer.
La baisse du coût de l'assemblage pour un maintien des marges est une première solution, côté assembleur, mais une solution ni souhaite, ni viable : « les ouvriers ne peuvent pas continuer à vivre comme des mécaniques dans un système inhumain », rappelle Isaac Wang d'iSuppli. La deuxième solution se trouve à l'autre bout de la chaîne, si les « concepteurs » sont prêts à baisser leurs marges en s'accommodant d'une hausse du coût de l'assemblage (augmentation des salaires, amélioration des conditions de vie des travailleurs, maintien du temps de travail global par une augmentation de la masse salariale et une baisse du temps de travail individuel).
Apple : baisse de la marge et relocalisation ?
Sur un iPhone 4 vendu 600 $, Apple fait au plus 360 $ de profit (60 % de marge — on est certainement plus près de 45 % dans la réalité). Apple peut peut-être se permettre de réduire sa marge de quelques points, mais d'autres fabricants ne le peuvent peut-être pas : HP et Dell ont une marge opérationnelle assez réduite, et cette marge est encore plus faible chez Asus, qui est un de ses conglomérats étant à la fois un assembleur (branches Unihan et Pegatron du groupe AsusTeK) et un vendeur (branche Asus). Apple a encore une fois une position un peu particulière : elle pourrait décider de rogner sur sa marge en payant un peu cher, à condition que l'intégralité de l'augmentation soit affectée aux salaires. Alors que la facture actuelle de Foxconn équivaut à 2,3 % du prix du produit Apple fini, la firme de Cupertino pourrait accepter de payer quelques points de plus pour faire augmenter les salaires (lire : Apple contribuerait financièrement à l'amélioration des conditions chez Foxconn).
La troisième solution est encore plus radicale : abandonner la Chine. Dans les années 1980 et au début des années 1990, Apple concevait, fabriquait et assemblait ses ordinateurs aux États-Unis, dans son usine de Fremont (Californie). Pilotée par des Mac, cette usine produisait notamment les Mac SE et Mac II, au rythme de deux par minutes.
Apple est ensuite passé à un système mixte : l'usine de Elk Grove en Californie a notamment produit l'iMac (le G3 était aussi produit au Mexique, en République tchèque ou à Singapour), tandis que l'assemblage des cartes-mères et le conditionnement de certains Mac (notamment Powermac et XServe) avaient lieu dans une Apple Factory en Irlande. À partir de 2003, la part de la Chine dans la production d'Apple n'a cessé d'augmenter, pour des raisons de coût, mais aussi d'échelle, avec le retour au premier plan du Mac.
Lors du développement du procédé Unibody, une rumeur voulait qu'Apple relocalise la production de Mac aux États-Unis : il semble qu'en fait, Apple avait construit une chaîne de fabrication à proximité de son siège pour tester le procédé Unibody et son intégration sur les lignes de montage. Peu à peu, Apple pourrait en effet revenir à un modèle mixte, où l'essentiel de la production viendrait de Chine, mais où des usines seraient aussi implantées au plus près des marchés phares : on parle ainsi d'une usine au Brésil pour alimenter le marché sud-américain, tout en évitant les tarifs douaniers protectionnistes (lire : Des usines Apple au Brésil ?). Aux États-Unis, on a souvent entendu les conservateurs parler de relocalisation, sur le thème de la préférence nationale, mais on entend de plus en plus de libéraux s'emparer du thème, plus souvent depuis l'angle de la redynamisation du tissu économique américain.
L'usine Apple de Fremont (Californie), première usine informatique avec un système automatisé « juste à temps », en 1984. Image j_coventry.
Une relocalisation aux États-Unis ne serait pas neutre en termes de coût, mais Steve Jobs pourrait en profiter pour tenter à nouveau de réaliser son rêve d'une usine entièrement automatisée : il avait tenté le coup du temps de NeXT, avant de devoir revendre son usine à Canon en 1993. Voilà de quoi éliminer le paramètre humain de l'équation : les machines ne se plaignent pas, ne font pas d'erreurs (lire : iPhone 4 : des boutons à côté de la plaque), mais surtout, elles ne font pas sortir des produits de l'usine avant leur sortie officielle, contrairement à ces employés vietnamiens qui avaient laissé échapper un MacBook (lire : Les nouveaux MacBook sont prêts…). Ce qui était difficile à faire il y a 15 ans avec une petite société est aujourd'hui à portée de mains d'une multinationale qui cherche quoi faire de son trésor de guerre, alors que la production de Mac, d'iPhone, iPod et iPad est déjà en grande partie automatisée.
La première solution permet le statu quo côté prix, mais n'est pas tenable humainement. Les deux dernières apparaissent donc comme les plus probables à terme : il va falloir s'habituer à payer nos produits technologiques (et pas que) un peu plus cher. iPhone en tête.