Avec iAd, Apple a repris en main la publicité sur sa plateforme iOS (ex iPhone OS). Si Steve Jobs déclare qu'il ne s'agit que d'aider les développeurs à gagner plus d'argent sur les applications gratuites et bon marché, plusieurs motivations se cachent en réalité derrière cette initiative :
- Pour Apple, il est hors de question de ne pas toucher un pourcentage de toute forme de revenus sur la plateforme qu'elle a elle-même mise au point. Ce principe s'est illustré dès la genèse de l'iPhone, alors qu'elle touchait 30 % sur les abonnements auprès des opérateurs téléphoniques. Nul ne peut faire d'argent sur iOS sans qu'Apple ait droit à sa quote-part. La publicité, jusqu'ici, échappait à cette règle (lire Pourquoi Apple se lance dans la pub mobile).
- Apple garde jalousement son pré carré et compte bien limiter tout moyen de dégrader l'expérience utilisateur. Les publicités peuvent devenir un agent d'appauvrissement qualitatif, comme on a pu le voir sur le net : fenêtres invasives, spywares, couleurs flashy qui clignotent, slogans et images racoleuses, sont autant d'éléments qui peuvent transformer un quartier luxueux où il fait bon vivre en zone industrielle de bas étage. Et il faut bien dire que la publicité sur iOS n'était jusqu'ici pas à la hauteur des critères qualitatifs d'Apple.
- La collecte des données personnelles, un domaine où Google excelle, peut également donner de précieuses informations sur les pratiques de consommation et sur la démographie des utilisateurs d'iOS, jusqu'à leur localisation géographique. Depuis le rachat d'AdMob par Google, ces éléments pouvaient même être mis à profit pour améliorer Android. Une situation parfaitement intolérable pour la firme de Cupertino.
Partant de ces trois principes de base, qui ont poussé Apple à sortir de son cœur de métier pour proposer un nouveau service sur lequel elle n'a pas la moindre once d'expérience, Steve Jobs en a profité pour faire un coup à plusieurs bandes.
iOS, un emplacement publicitaire de luxe pour annonceurs VIP
La première chose qu'Apple a faite, c'est une sélection des annonceurs par le tarif, à l'inverse de ce qu'elle a fait pour les développeurs. En proposant une tarification élevée, Apple s'est assurée que ses publicités auraient un certain standing, avec des marques reconnues voire prestigieuses (lire iAd : Apple va facturer plein pot les premières pubs).
Pour convaincre les annonceurs de sacrifier à de tels tarifs, Apple s'est appuyée sur un atout de taille : à ce jour, elle seule a mis sur pied une plateforme sur laquelle les utilisateurs ne rechignent pas à payer. Après des années de gratuité à tout crin sur Internet, c'est bien cette raison qui fait que nombreuses sont les sociétés à s'être jetées sur l'App Store… éditeurs du monde de la presse en première ligne. Mieux encore, une importante quantité des comptes enregistrés sur iTunes est associée à un numéro de carte bleue (150 millions aujourd'hui). Sans compter l'excellente image de marque d'Apple et de l'iPhone. Enfin, la totale maîtrise technologique de sa plateforme ouvre des possibilités jusque là impensables. Apple a saupoudré le tout d'une juteuse promesse d'un milliard d'affichages par jour. Voilà de quoi convaincre les plus réfractaires à payer un peu plus pour cette cible de qualité.
Restait à convaincre les partenaires de sauter le pas et d'essuyer les plâtres plutôt que de faire de l'attentisme : pour ceux là il aura suffi de faire miroiter leur présentation dans les formes par un VRP de luxe : Steve Jobs en personne, qui a égrené la liste des quelques dix-sept sociétés signataires durant une cinquantaine de secondes au cours de son keynote de la WWDC (lire : Vous achetez une iAd ? Steve Jobs fait votre promo !).
Des publicités différentes
La sélection des annonceurs a permis d'éviter de galvauder l'image d'iOS, ce qui a toujours été une des premières préoccupations d'Apple : voilà bien longtemps que les iPhone auraient pu être intégralement subventionnés par les opérateurs téléphoniques, mais Apple a tenu à conserver un prix d'entrée plus élevé que la concurrence, afin de conserver dans l'esprit du consommateur un positionnement de qualité, à l'image d'ailleurs de ce qu'elle fait avec le Mac. À choisir, la firme de Cupertino préfère faire plus de bénéfices par unité que de vendre plus d'unités, ce qui lui a permis de dépasser les revenus de ses concurrents, aussi bien dans le monde de la micro-informatique que de la téléphonie, tout en ne bénéficiant que d'une part de marché moins importante.
Cependant, pour parfaitement remplir ses objectifs, il ne fallait pas s'arrêter là. Pour que la mayonnaise prenne, il fallait redonner à la publicité en ligne ses lettres de noblesse, à l'aide de quelques règles d'or. La première d'entre elle : ne jamais, sous quelque prétexte que ce soit, faire regretter à un utilisateur d'avoir jeté un œil à une publicité.
Cette règle, trop vite oubliée ailleurs, est une pratique saine qui évite de scier la branche sur laquelle on est assis, et évite de rendre toute publicité complètement caduque et inopérante, à plus forte raison lorsqu'elle requiert la participation active de son spectateur pour se dévoiler. Ainsi, finies les publicités qui vous font quitter votre application pour lancer Safari ou l'App Store, alors que les versions actuellement utilisées d'iOS (et qui continueront à l'être) ne permettent aucune forme de multitâche. À l'inverse des autres régies publicitaires sur iPhone, Apple est d'ailleurs la seule à bénéficier des moyens techniques permettant de faire des achats, sur l'iTunes Store ou sur l'App Store, au sein même d'une publicité sans jamais quitter une application (lire iAd aura son programme VIP).
Une fois ce principe fondamental posé, il faut aller au delà. Après s'être assuré que la publicité n'était pas une punition en tant que telle, il reste à donner envie aux utilisateurs de la regarder. Steve Jobs n'a jamais parlé d'iAd sans insister sur "l'émotion et l'interactivité" - pour reprendre ses termes - qui y seront liées. Les publivores le savent bien, les publicités peuvent être amusantes, surprenantes, déroutantes, voire exaltantes, et c'est souvent comme ça que le public les préfère. Cependant, en fonction de l'air du temps, les annonceurs sont plus ou moins disposés à prendre des risques dans leur communication, et c'est d'autant plus vrai en période de crise dont la publicité est souvent la première victime…
Apple compte bien avoir des publicités plus travaillées et plus réfléchies sur iOS, iAd doit être un label de qualité où la publicité en elle-même devient sa propre finalité. Cette catégorie de publicité ne concerne d'ailleurs qu'une partie restreinte d'annonceurs potentiels, puisqu'il est question avant tout d'image de marque. Il s'agit d'affirmer les valeurs de la marque ou d'un produit, en espérant que le public qui adhérera à ces valeurs, parfois segmentantes, soutiendra la marque en achetant ses produits.
Ce qui explique par exemple que McDonald's puisse prendre fait et cause pour les homosexuels dans sa dernière campagne : il ne s'agit plus seulement de vendre de quelconques hamburgers, mais de promouvoir une façon de concevoir les choses. Apple est particulièrement bien placée pour mettre en avant cette façon de communiquer, elle qui y a presque toujours eu recours (lire Macintosh : 25 ans de pub). C'est d'ailleurs son seul brio en matière de communication qui lui donne un tant soit peu de légitimité sur ce nouveau marché.
Voilà pour le fond, reste la forme : Apple dispose de toute la panoplie technologique d'iOS pour la mettre à disposition des annonceurs : caméra, accéléromètre, gyroscope, boussole, multitouch, microphone, GPS… toutes les capacités de ses appareils peuvent être mises à profit pour un contenu riche et interactif dans iAd. Et s'il est question d'exploiter HTML5 pour la réalisation de ces publicités, Apple peut même se payer le luxe de mettre au point des fonctionnalités qui lui seront propres. C'est d'ailleurs Apple elle-même qui réalise les premières iAds, histoire de placer la barre qualitative à la hauteur de ses attentes, d'ici à ce qu'elle fournisse un SDK à l'avenir (un SDK d'Apple pour créer du contenu en HTML5, voilà qui devrait, au delà de la publicité sur iOS, faire couler beaucoup d'encre…).
D'autre part, Apple peut également mettre à profit les mots-clés qui ont abouti au téléchargement d'une application donnée, et l'historique de chaque utilisateur, pour mieux cibler les publicités affichées. Un autre élément sur lequel les autres régies ne peuvent s'aligner. Enfin, pour mieux signaler à l'utilisateur final que la publicité répondra à tous ces critères, et pour parachever le label qualitatif de sa régie publicitaire, un logo iAd sera présent sur tous les encarts.
Certes, nul n'a eu besoin d'Apple jusqu'ici pour proposer des publicités interactives, innovantes, et travaillées. Toutes les bannières actuellement affichées ne vous feront pas pour autant sortir de votre application en cours. Mais Apple est la seule à pouvoir offrir une garantie avec son label, pour peu qu'elle se tienne à ses engagements. Elle y a du moins tout intérêt : à l'inverse des autres régies publicitaires, les premiers clients d'Apple sont les utilisateurs finaux, et à choisir, c'est à eux qu'ira sa loyauté en dernier recours.
Quant aux développeurs, ils bénéficieront de 60 % des revenus générés par iAd, ce qui représente 36 millions de dollars sur les 60 qu'Apple a déjà signés pour le courant de l'année 2010. Steve Jobs n'a pas caché sa satisfaction : selon les chiffres d'IDC sur le marché US (lire Pub sur mobile : les jeux ne sont pas faits), iAd a d'ores et déjà enregistré pour le second semestre 2010 un chiffre d'affaires 3 fois supérieur à celui de Quattro Wireless sur l'intégralité de 2009, et 48 % du chiffre global du marché américain sur le second semestre 2010 en se basant sur les dernières prévisions de JP Morgan, quoi que ce chiffre reste encore modeste face aux diverses projections réalisées sur iAd (lire iAd : un coup à 2,5 milliards de dollars ?).
Le choc des cultures
Lors de la première présentation d'iAd, Steve Jobs s'est plu à dire qu'Apple avait fait un travail de designer sur la publicité. On en mesure ici toute la portée.
Avec de tels atouts, Apple peut être tranquille : les développeurs, les annonceurs et les utilisateurs finaux devraient préférer iAd aux autres régies publicitaires sans trop de difficulté. D'autant qu'à l'inverse de ces dernières, Apple a plus d'intérêt à mieux servir ses utilisateurs finaux que ses annonceurs : là où Google sera plus disposée à tout dévoiler de ses utilisateurs à ses annonceurs, Apple fera tout pour maintenir le niveau de qualité de sa plateforme, l'objectif étant de vendre plus d'appareils, et non plus de données personnelles.
Ce gage de qualité, s'il peut être plus contraignant pour les annonceurs et les développeurs qui ne calculent qu'à court terme, s'avère plus avantageux pour ceux qui voient plus loin que le bout de leur nez. C'est d'ailleurs le talon d'Achille d'Android : Google ne gagne strictement rien sur les ventes d'appareils équipés de son système d'exploitation. Elle n'y gagne que par sa mainmise sur les données personnelles. Son intérêt n'est donc pas là où se trouve celui d'Apple, et ce dernier, du point de vue de l'utilisateur, ne peut être que fondamentalement plus vertueux : c'est bien ce qui a inspiré confiance aux utilisateurs d'iPod pour acheter leur musique sur iTunes.
Cependant, Apple a malgré tout cru devoir évincer AdMob, la régie publicitaire consacrée aux mobiles, récemment rachetée par Google, de manière assez cavalière en créant une clause qui lui est toute dévolue dans l'accord de licence d'iOS 4 (lire Accord de licence iOS : la valse des clauses). Ce qui n'a d'ailleurs pas manqué de faire réagir la régie en question (lire Accord de licence iOS : AdMob déchante). Et dire qu'AdMob a failli être rachetée par Apple…
Si l'on peut y voire une simple mesquinerie d'Apple dans une guerre désormais à couteaux tirés avec Google, les enjeux sont en réalité bien plus stratégiques : il est pour Apple hors de question qu'Android puisse bénéficier des moindres éléments que Google pourrait tirer de l'iPhone, en dehors de ce qu'Apple a consenti à lui abandonner jusqu'ici (recherche sur le web, cartographie, vidéo en ligne). C'est notamment cette théorie que soulève Eliot Van Buskirk dans un article publié sur Wired, et qui semble largement partagée. John Gruber souligne toutefois qu'Apple n'interdit aucunement à AdMob de travailler sur iOS, mais uniquement d'exploiter les données personnelles. AdMob pourrait même s'en satisfaire s'il était question pour elle de proposer des publicités dont la seule finalité serait l'image de marque des annonceurs, mais là n'est pas son choix.
Les méthodes d'Apple n'ont cependant pas manqué d'en faire sourciller plus d'un, à tel point que les autorités américaines seraient actuellement en train de se pencher sur la question, du moins d'après le Financial Times (lire Ouverture d'une enquête sur iAd). Mais dans un autre article publié hier, le même Financial Times indique qu'Apple ne risque en réalité pas grand chose sur ce plan. Selon les lois américaines, Apple est libre d'exercer le contrôle le plus féroce sur sa plateforme, à partir du moment où elle ne bénéficie pas d'une position dominante. Sachant qu'Apple n'est "que" numéro deux du marché des smartphones aux USA derrière Research in Motion, elle est donc de facto à l'abri. Nul ne semble d'ailleurs s'émouvoir du fait que seule Google peut présenter des publicités sur son moteur de recherche, autrement plus prédominant sur ce marché qu'Apple ne l'est dans la téléphonie.
D'autant qu'Apple aura fort à faire avec ce nouveau marché. Elle a tout à apprendre, et il lui faudra faire face à un écueil de taille : elle s'adresse à un marché mondial. Si certaines des sociétés qui ont signé un contrat publicitaire avec iAd sont effectivement d'envergure internationale (Nissan, Citi, Unilever, Chanel, GE, Disney), c'est loin d'être le cas de toutes (AT&T, Liberty Mutual, State Farm Insurance, Geico, Campbell's, Sears, JCPenney, Target, Best Buy, DirecTV, TBS).
Si Apple veut atteindre ses objectifs stratégiques avec iAd, il lui faudra donc s'adapter à chacun des marchés sur lesquels iOS est présent, y compris au niveau des pratiques commerciales et culturelles, ces dernières étant de la plus haute importance (et de la plus grande diversité géographique) pour la publicité. Une sacrée gageure quant on sait qu'il n'existait jusqu'ici qu'une seule régie publicitaire mondiale : Google.
- Pour Apple, il est hors de question de ne pas toucher un pourcentage de toute forme de revenus sur la plateforme qu'elle a elle-même mise au point. Ce principe s'est illustré dès la genèse de l'iPhone, alors qu'elle touchait 30 % sur les abonnements auprès des opérateurs téléphoniques. Nul ne peut faire d'argent sur iOS sans qu'Apple ait droit à sa quote-part. La publicité, jusqu'ici, échappait à cette règle (lire Pourquoi Apple se lance dans la pub mobile).
- Apple garde jalousement son pré carré et compte bien limiter tout moyen de dégrader l'expérience utilisateur. Les publicités peuvent devenir un agent d'appauvrissement qualitatif, comme on a pu le voir sur le net : fenêtres invasives, spywares, couleurs flashy qui clignotent, slogans et images racoleuses, sont autant d'éléments qui peuvent transformer un quartier luxueux où il fait bon vivre en zone industrielle de bas étage. Et il faut bien dire que la publicité sur iOS n'était jusqu'ici pas à la hauteur des critères qualitatifs d'Apple.
- La collecte des données personnelles, un domaine où Google excelle, peut également donner de précieuses informations sur les pratiques de consommation et sur la démographie des utilisateurs d'iOS, jusqu'à leur localisation géographique. Depuis le rachat d'AdMob par Google, ces éléments pouvaient même être mis à profit pour améliorer Android. Une situation parfaitement intolérable pour la firme de Cupertino.
Partant de ces trois principes de base, qui ont poussé Apple à sortir de son cœur de métier pour proposer un nouveau service sur lequel elle n'a pas la moindre once d'expérience, Steve Jobs en a profité pour faire un coup à plusieurs bandes.
iOS, un emplacement publicitaire de luxe pour annonceurs VIP
La première chose qu'Apple a faite, c'est une sélection des annonceurs par le tarif, à l'inverse de ce qu'elle a fait pour les développeurs. En proposant une tarification élevée, Apple s'est assurée que ses publicités auraient un certain standing, avec des marques reconnues voire prestigieuses (lire iAd : Apple va facturer plein pot les premières pubs).
Pour convaincre les annonceurs de sacrifier à de tels tarifs, Apple s'est appuyée sur un atout de taille : à ce jour, elle seule a mis sur pied une plateforme sur laquelle les utilisateurs ne rechignent pas à payer. Après des années de gratuité à tout crin sur Internet, c'est bien cette raison qui fait que nombreuses sont les sociétés à s'être jetées sur l'App Store… éditeurs du monde de la presse en première ligne. Mieux encore, une importante quantité des comptes enregistrés sur iTunes est associée à un numéro de carte bleue (150 millions aujourd'hui). Sans compter l'excellente image de marque d'Apple et de l'iPhone. Enfin, la totale maîtrise technologique de sa plateforme ouvre des possibilités jusque là impensables. Apple a saupoudré le tout d'une juteuse promesse d'un milliard d'affichages par jour. Voilà de quoi convaincre les plus réfractaires à payer un peu plus pour cette cible de qualité.
Restait à convaincre les partenaires de sauter le pas et d'essuyer les plâtres plutôt que de faire de l'attentisme : pour ceux là il aura suffi de faire miroiter leur présentation dans les formes par un VRP de luxe : Steve Jobs en personne, qui a égrené la liste des quelques dix-sept sociétés signataires durant une cinquantaine de secondes au cours de son keynote de la WWDC (lire : Vous achetez une iAd ? Steve Jobs fait votre promo !).
Des publicités différentes
La sélection des annonceurs a permis d'éviter de galvauder l'image d'iOS, ce qui a toujours été une des premières préoccupations d'Apple : voilà bien longtemps que les iPhone auraient pu être intégralement subventionnés par les opérateurs téléphoniques, mais Apple a tenu à conserver un prix d'entrée plus élevé que la concurrence, afin de conserver dans l'esprit du consommateur un positionnement de qualité, à l'image d'ailleurs de ce qu'elle fait avec le Mac. À choisir, la firme de Cupertino préfère faire plus de bénéfices par unité que de vendre plus d'unités, ce qui lui a permis de dépasser les revenus de ses concurrents, aussi bien dans le monde de la micro-informatique que de la téléphonie, tout en ne bénéficiant que d'une part de marché moins importante.
Cependant, pour parfaitement remplir ses objectifs, il ne fallait pas s'arrêter là. Pour que la mayonnaise prenne, il fallait redonner à la publicité en ligne ses lettres de noblesse, à l'aide de quelques règles d'or. La première d'entre elle : ne jamais, sous quelque prétexte que ce soit, faire regretter à un utilisateur d'avoir jeté un œil à une publicité.
Cette règle, trop vite oubliée ailleurs, est une pratique saine qui évite de scier la branche sur laquelle on est assis, et évite de rendre toute publicité complètement caduque et inopérante, à plus forte raison lorsqu'elle requiert la participation active de son spectateur pour se dévoiler. Ainsi, finies les publicités qui vous font quitter votre application pour lancer Safari ou l'App Store, alors que les versions actuellement utilisées d'iOS (et qui continueront à l'être) ne permettent aucune forme de multitâche. À l'inverse des autres régies publicitaires sur iPhone, Apple est d'ailleurs la seule à bénéficier des moyens techniques permettant de faire des achats, sur l'iTunes Store ou sur l'App Store, au sein même d'une publicité sans jamais quitter une application (lire iAd aura son programme VIP).
Une fois ce principe fondamental posé, il faut aller au delà. Après s'être assuré que la publicité n'était pas une punition en tant que telle, il reste à donner envie aux utilisateurs de la regarder. Steve Jobs n'a jamais parlé d'iAd sans insister sur "l'émotion et l'interactivité" - pour reprendre ses termes - qui y seront liées. Les publivores le savent bien, les publicités peuvent être amusantes, surprenantes, déroutantes, voire exaltantes, et c'est souvent comme ça que le public les préfère. Cependant, en fonction de l'air du temps, les annonceurs sont plus ou moins disposés à prendre des risques dans leur communication, et c'est d'autant plus vrai en période de crise dont la publicité est souvent la première victime…
Apple compte bien avoir des publicités plus travaillées et plus réfléchies sur iOS, iAd doit être un label de qualité où la publicité en elle-même devient sa propre finalité. Cette catégorie de publicité ne concerne d'ailleurs qu'une partie restreinte d'annonceurs potentiels, puisqu'il est question avant tout d'image de marque. Il s'agit d'affirmer les valeurs de la marque ou d'un produit, en espérant que le public qui adhérera à ces valeurs, parfois segmentantes, soutiendra la marque en achetant ses produits.
Ce qui explique par exemple que McDonald's puisse prendre fait et cause pour les homosexuels dans sa dernière campagne : il ne s'agit plus seulement de vendre de quelconques hamburgers, mais de promouvoir une façon de concevoir les choses. Apple est particulièrement bien placée pour mettre en avant cette façon de communiquer, elle qui y a presque toujours eu recours (lire Macintosh : 25 ans de pub). C'est d'ailleurs son seul brio en matière de communication qui lui donne un tant soit peu de légitimité sur ce nouveau marché.
Voilà pour le fond, reste la forme : Apple dispose de toute la panoplie technologique d'iOS pour la mettre à disposition des annonceurs : caméra, accéléromètre, gyroscope, boussole, multitouch, microphone, GPS… toutes les capacités de ses appareils peuvent être mises à profit pour un contenu riche et interactif dans iAd. Et s'il est question d'exploiter HTML5 pour la réalisation de ces publicités, Apple peut même se payer le luxe de mettre au point des fonctionnalités qui lui seront propres. C'est d'ailleurs Apple elle-même qui réalise les premières iAds, histoire de placer la barre qualitative à la hauteur de ses attentes, d'ici à ce qu'elle fournisse un SDK à l'avenir (un SDK d'Apple pour créer du contenu en HTML5, voilà qui devrait, au delà de la publicité sur iOS, faire couler beaucoup d'encre…).
D'autre part, Apple peut également mettre à profit les mots-clés qui ont abouti au téléchargement d'une application donnée, et l'historique de chaque utilisateur, pour mieux cibler les publicités affichées. Un autre élément sur lequel les autres régies ne peuvent s'aligner. Enfin, pour mieux signaler à l'utilisateur final que la publicité répondra à tous ces critères, et pour parachever le label qualitatif de sa régie publicitaire, un logo iAd sera présent sur tous les encarts.
Certes, nul n'a eu besoin d'Apple jusqu'ici pour proposer des publicités interactives, innovantes, et travaillées. Toutes les bannières actuellement affichées ne vous feront pas pour autant sortir de votre application en cours. Mais Apple est la seule à pouvoir offrir une garantie avec son label, pour peu qu'elle se tienne à ses engagements. Elle y a du moins tout intérêt : à l'inverse des autres régies publicitaires, les premiers clients d'Apple sont les utilisateurs finaux, et à choisir, c'est à eux qu'ira sa loyauté en dernier recours.
Quant aux développeurs, ils bénéficieront de 60 % des revenus générés par iAd, ce qui représente 36 millions de dollars sur les 60 qu'Apple a déjà signés pour le courant de l'année 2010. Steve Jobs n'a pas caché sa satisfaction : selon les chiffres d'IDC sur le marché US (lire Pub sur mobile : les jeux ne sont pas faits), iAd a d'ores et déjà enregistré pour le second semestre 2010 un chiffre d'affaires 3 fois supérieur à celui de Quattro Wireless sur l'intégralité de 2009, et 48 % du chiffre global du marché américain sur le second semestre 2010 en se basant sur les dernières prévisions de JP Morgan, quoi que ce chiffre reste encore modeste face aux diverses projections réalisées sur iAd (lire iAd : un coup à 2,5 milliards de dollars ?).
Le choc des cultures
Lors de la première présentation d'iAd, Steve Jobs s'est plu à dire qu'Apple avait fait un travail de designer sur la publicité. On en mesure ici toute la portée.
Avec de tels atouts, Apple peut être tranquille : les développeurs, les annonceurs et les utilisateurs finaux devraient préférer iAd aux autres régies publicitaires sans trop de difficulté. D'autant qu'à l'inverse de ces dernières, Apple a plus d'intérêt à mieux servir ses utilisateurs finaux que ses annonceurs : là où Google sera plus disposée à tout dévoiler de ses utilisateurs à ses annonceurs, Apple fera tout pour maintenir le niveau de qualité de sa plateforme, l'objectif étant de vendre plus d'appareils, et non plus de données personnelles.
Ce gage de qualité, s'il peut être plus contraignant pour les annonceurs et les développeurs qui ne calculent qu'à court terme, s'avère plus avantageux pour ceux qui voient plus loin que le bout de leur nez. C'est d'ailleurs le talon d'Achille d'Android : Google ne gagne strictement rien sur les ventes d'appareils équipés de son système d'exploitation. Elle n'y gagne que par sa mainmise sur les données personnelles. Son intérêt n'est donc pas là où se trouve celui d'Apple, et ce dernier, du point de vue de l'utilisateur, ne peut être que fondamentalement plus vertueux : c'est bien ce qui a inspiré confiance aux utilisateurs d'iPod pour acheter leur musique sur iTunes.
Cependant, Apple a malgré tout cru devoir évincer AdMob, la régie publicitaire consacrée aux mobiles, récemment rachetée par Google, de manière assez cavalière en créant une clause qui lui est toute dévolue dans l'accord de licence d'iOS 4 (lire Accord de licence iOS : la valse des clauses). Ce qui n'a d'ailleurs pas manqué de faire réagir la régie en question (lire Accord de licence iOS : AdMob déchante). Et dire qu'AdMob a failli être rachetée par Apple…
Si l'on peut y voire une simple mesquinerie d'Apple dans une guerre désormais à couteaux tirés avec Google, les enjeux sont en réalité bien plus stratégiques : il est pour Apple hors de question qu'Android puisse bénéficier des moindres éléments que Google pourrait tirer de l'iPhone, en dehors de ce qu'Apple a consenti à lui abandonner jusqu'ici (recherche sur le web, cartographie, vidéo en ligne). C'est notamment cette théorie que soulève Eliot Van Buskirk dans un article publié sur Wired, et qui semble largement partagée. John Gruber souligne toutefois qu'Apple n'interdit aucunement à AdMob de travailler sur iOS, mais uniquement d'exploiter les données personnelles. AdMob pourrait même s'en satisfaire s'il était question pour elle de proposer des publicités dont la seule finalité serait l'image de marque des annonceurs, mais là n'est pas son choix.
Les méthodes d'Apple n'ont cependant pas manqué d'en faire sourciller plus d'un, à tel point que les autorités américaines seraient actuellement en train de se pencher sur la question, du moins d'après le Financial Times (lire Ouverture d'une enquête sur iAd). Mais dans un autre article publié hier, le même Financial Times indique qu'Apple ne risque en réalité pas grand chose sur ce plan. Selon les lois américaines, Apple est libre d'exercer le contrôle le plus féroce sur sa plateforme, à partir du moment où elle ne bénéficie pas d'une position dominante. Sachant qu'Apple n'est "que" numéro deux du marché des smartphones aux USA derrière Research in Motion, elle est donc de facto à l'abri. Nul ne semble d'ailleurs s'émouvoir du fait que seule Google peut présenter des publicités sur son moteur de recherche, autrement plus prédominant sur ce marché qu'Apple ne l'est dans la téléphonie.
D'autant qu'Apple aura fort à faire avec ce nouveau marché. Elle a tout à apprendre, et il lui faudra faire face à un écueil de taille : elle s'adresse à un marché mondial. Si certaines des sociétés qui ont signé un contrat publicitaire avec iAd sont effectivement d'envergure internationale (Nissan, Citi, Unilever, Chanel, GE, Disney), c'est loin d'être le cas de toutes (AT&T, Liberty Mutual, State Farm Insurance, Geico, Campbell's, Sears, JCPenney, Target, Best Buy, DirecTV, TBS).
Si Apple veut atteindre ses objectifs stratégiques avec iAd, il lui faudra donc s'adapter à chacun des marchés sur lesquels iOS est présent, y compris au niveau des pratiques commerciales et culturelles, ces dernières étant de la plus haute importance (et de la plus grande diversité géographique) pour la publicité. Une sacrée gageure quant on sait qu'il n'existait jusqu'ici qu'une seule régie publicitaire mondiale : Google.