Ouvrir le menu principal

MacGeneration

Recherche

Foxconn, le Fort Knox d'Apple

Arnaud de la Grandière

jeudi 18 février 2010 à 14:34 • 64

Ailleurs

De temps à autre, on découvre certaines méthodes qu'emploie Apple pour protéger ses secrets, qui montrent jusqu'où la société est capable d'aller pour garder jalousement jusqu'aux plus infimes détails (voir par exemple Apple et le culte du secret).

Apple s'est-elle jurée de ne plus jamais se faire avoir après la trahison originelle de Microsoft, qu'elle avait invitée à décortiquer les prototypes du Macintosh bien avant sa sortie pour lui fournir des logiciels, et qui a fini par en sortir son propre clone ? Ou a-t-elle depuis été victime d'espionnage industriel, se faisant couper l'herbe sous le pied par un concurrent ? Il est également possible qu'Apple ne veuille tout simplement pas faciliter la tâche aux fabricants des innombrables copies de ses appareils, un sport très couru en Asie notamment. Toujours est-il qu'Apple maintient tous ses projets sous une chape de plomb, et Reuters en fait la démonstration une fois de plus, dans une enquête menée auprès des fournisseurs d'Apple.

Une paranoïa contagieuse

C'est un métier bien exigeant que celui de fabricant de composants, qui tient parfois du sacerdoce. L'obsession d'Apple pour les fuites, qui peut parfois passer pour de la paranoïa à un stade avancé, ne fait rien pour leur simplifier la tâche. Ainsi, Apple reproduit à l'extérieur de ses murs ce qu'elle pratique déjà en interne : à l'image des ingénieurs d'Apple qui ne travaillent sur les projets que de façon parcellaire afin d'éviter qu'ils ne sachent en quoi le Grand Tout consiste, les ouvriers chinois de Foxconn n'ont aucune idée de ce à quoi ressemble le produit fini qu'ils contribuent à fabriquer. Les chaînes de productions sont isolées les unes des autres et seules les toutes dernières étapes de fabrication révèlent le mystère.

Apple brouille également les pistes auprès de ses fournisseurs, leur soumettant des projets qui permettront de remonter à la source facilement en cas de fuite. Auquel cas elle se montre naturellement impitoyable. Elle exige également des composants faits sur mesure, au grand dam des fabricants qui ne peuvent ainsi ni les proposer à d'autres clients, ni même écouler les fins de stock. Elle demande également diverses propositions de composants, et finit par se décider parfois quelques semaines à peine avant la présentation du nouveau produit.

Naturellement, dans les usines tout est protégé par clé magnétique, surveillé par des gardiens, et enclavé dans une enceinte impénétrable. On dissuade les ouvriers d'avoir toute velléité de sortir de la ville-usine, en fournissant tout le confort nécessaire à une vie autarcique : dortoirs, cantines, mais aussi divers moyens de divertissement, même des banques, des bureaux de poste, et des boulangeries sont mis à disposition des ouvriers. Cependant, rien qui ne soit là spécifique à Apple, ni résultant d'une exigence particulière de la firme de Cupertino : la pratique est courante dans les grands centres de production chinois.

La voie publique sous NDA

S'il prenait aux ouvriers la lubie d'aller en goguette, visiter l'exotique extérieur, les portails sont équipés de détecteurs de métaux pour s'assurer qu'ils n'auraient pas distraitement empoché quelque composant secret. « Si vous avez un quelconque objet métallique sur vous quand vous sortez, ils appellent la police », a déclaré un ouvrier à la sortie d'une usine Foxconn de Longhua. Mais l'extérieur lui-même est soumis à la vigilance des cerbères de l'usine, comme un journaliste de Reuters en a fait l'amère expérience : pour avoir pris, ô crime abject s'il en est, de perfides photos de l'extérieur de l'enceinte de l'usine, avant de chercher à s'échapper dans le taxi qui l'avait mené là, l'intrépide reporter en a été pour ses frais.

Les vigiles ont bloqué le véhicule en menaçant le conducteur de lui enlever sa licence, puis empoigné le journaliste qui était sorti de la voiture, avant d'essayer d'entraîner l'infortuné dans l'usine, à son corps défendant, sous le regard médusé des ouvriers. Les suppliques du journaliste n'étant suivies d'aucun effet, il se soustrait à leur compagnie d'un geste vif, avant de s'éloigner, mais il est vite immobilisé par un coup de pied à la jambe, tandis qu'un autre garde menace de le frapper encore s'il bouge ne serait-ce qu'un orteil. Un véhicule de la sécurité arrive sur les lieux, on intime l'ordre à l'envoyé spécial d'y monter, ce qu'il refuse, et celui-ci appelle alors la police, qui viendra tirer l'affaire au clair. Après médiation, les gardes présentent leurs excuses et l'on se remet de l'incident. Le journaliste, magnanime, ne déposera pas plainte, bien que la maréchaussée lui en ait offert l'opportunité : «Vous êtes libre de le faire, mais il s'agit de Foxconn, et ils ont un statut spécial ici. Veuillez le comprendre. » lui précise-t-on. L'épisode démontre toutefois qu'on ne plaisante pas avec les secrets de Foxconn. Mais à la décharge des zélées sentinelles, triste tropisme, dans l'Empire du Milieu on n'a pas pour habitude d'accorder à la presse les mêmes latitudes qu'en terre démocratique.



Des polémiques à répétition

On n'imagine pas qu'Apple ait été jusqu'à donner pareilles instructions au personnel de sécurité, dans le code de conduite auquel elle soumet ses fournisseurs, et qu'elle a d'ailleurs rendu public. Elle se défend de vouloir imposer des conditions de travail inhumaines : 60 heures de travail maximum par semaine sauf situation exceptionnelle, 1 jour minimum de congé, et un environnement de travail libre de tout harcèlement font partie de ses exigences. Il faut dire que les conditions de travail ont défrayé la chronique à plus d'une reprise : dès 2006, on s'émouvait du sort des employés chinois (voir À propos de l'iPod), et il aura fallu que le gouvernement lui-même exige que Foxconn laisse ses employés adhérer à un syndicat (voir Foxconn, encore). Apple a été pointée du doigt pour son manque de transparence (voir Les Mac de la honte et Steve Jobs ferait bien d'aller en Chine), et un autre fournisseur, Wintek, a été traversé de grèves à répétition, en mai 2009, (voir Apple ciblée par les ex-salariés d'un fournisseur Taïwanais) et en janvier 2010 (voir Une grève dure dans l'usine qui fabrique l'écran de l'iPhone). Non sans oublier le suicide d'un employé suite à la perte d'un prototype (voir Foxconn : un iPhone disparu et un suicide). Bien des polémiques qui ont poussé Apple à diligenter des enquêtes auprès de ses fournisseurs, et de faire preuve d'un peu plus de transparence. Apple a depuis mis en ligne quelques explications sur son éthique.

Apple a beau dire, et jouer les ingénues, on ne peut que s'interroger devant les responsabilités contradictoires qu'elle impute à ses fournisseurs, qui d'un côté se voient menacés des pires conséquences si leurs employés s'avèrent trop bavards, et de l'autre doivent s'assurer qu'ils disposent d'un minimum de sérénité dans leur travail. Résolument, ça n'est pas un métier de tout repos.
illustration magazine 25 ans

MacGeneration a 25 ans !

Participez à la fête et découvrez l’histoire de votre site favori en précommandant notre magazine exclusif.

Je précommande le magazine