En quelques semaines à peine, de multiples guerres ouvertes se sont déclarées entre Apple et d'autres sociétés de taille : Adobe, Amazon, Google et Nokia sont toutes en concurrence frontale avec la firme de Cupertino, alors que jusqu'ici rien, ou presque, ne venait jurer dans un climat de bonne entente entre des sociétés qui collaboraient "harmonieusement".
La pomme de la discorde
Ces relations ambigües sont nées de divers éléments : le rejet du syndrome « not made here », qui voulait autrefois qu'on n'utilise jamais de produits créés par des entreprises concurrentes, pas même s'ils s'avéraient être plus profitables et exclus des zones de concurrence, a mené à des collaborations entre sociétés qui naguère se seraient vouées une guerre sans merci. Ce climat apaisé, caractéristique de la décennie passée, a donné le ton respectueux, voire laudateur, qu'on affichait en façade, alors qu'en arrière-boutique on préparait la mise à mort de l'allié d'hier, devenu trop encombrant. C'est d'ailleurs une caractéristique qu'on retrouve parmi chacun des nouveaux adversaires affichés d'Apple : ils ont tous collaboré de près ou de loin avec la marque fruitière.
L'autre élément qui a mené à ces nouvelles lignes de front, c'est la fameuse convergence numérique : chacune des sociétés des nouvelles technologies a pris des intérêts dans de nouveaux marchés. Qui aurait pu croire, il y a quelques années encore, que Nokia et Google se livreraient une guerre non seulement sur le domaine des smartphones, mais également sur celui des aides à la navigation routière, ou encore qu'on verrait un jour des jeux Sega sur des machines frappées d'une pomme ?
Enfin, la montée en puissance d'Apple lui a fait changer d'aura et de statut, un changement incarné par la nouvelle raison sociale de la firme de Cupertino : Apple Computers, inc. est tout simplement devenue Apple, inc. Alors qu'elle était autrefois le fabricant d'ordinateurs quasi confidentiels, Apple est devenue une multinationale puissante tant dans les médias (musique, vidéo, logiciels nomades comme sédentaires, et bientôt livres) que dans l'audio avec les différents iPod, la téléphonie et les jeux vidéo avec l'iPhone, l'iPod touch et bientôt l'iPad. Ce changement de catégorie fait qu'Apple s'adresse désormais à un marché de consommation de masse, et par là même se fabrique de nouveaux adversaires qui convoitent les mêmes cibles.
Apple change de dimension
Et Apple doit trouver ses marques dans cette « nouvelle peau » : elle qui autrefois avait pour habitude de jouer le rôle de David face à Goliath, la voilà en position dominante. Apple est l'enseigne qui vend le plus de musique au monde, chaînes de magasins physiques comprises. Sa gamme d'iPod séduit toujours 70 % des acheteurs américains.
Dans le domaine des smartphones, Apple s'arroge un quart du marché américain, derrière RIM, mais l'App Store tiendrait 97 % des ventes d'applications pour mobiles (voir Applications : Apple dévore le gâteau) et l'iPod touch et l'iPhone seraient responsable à eux seuls de 55 % du trafic mobile sur le web.
Sans parler du bouleversement de la téléphonie qu'a suscité l'iPhone du jour au lendemain, sur un marché dont Apple était jusque-là absente : trois ans plus tard, la concurrence n'a toujours pas complètement rattrapé son retard technologique.
Au final, Apple vaut aujourd'hui 10 milliards de dollars de plus que Google, elle gagne plus d'argent que Dell et HP réunis, et l'iPhone lui rapporte plus d'argent que Nokia n'en gagne avec ses téléphones, bien que cette dernière soit le premier constructeur mondial.
Signe révélateur s'il en est, les réserves monétaires d'Apple sont en voie de dépasser celles de Microsoft elle-même (voir Apple bientôt plus grosse que Microsoft). Alors que Steve Jobs se plaît à dire qu'Apple réalise 50 milliards de dollars de chiffre d'affaires à l'année (quoi qu'en extrapolant son dernier trimestre record), qui pourrait croire qu'il y a encore 13 ans, Apple a frôlé la faillite de très près ?
Jusqu'ici, Apple ne faisait guère que figure de caillou dans la chaussure de ses concurrents : certes, l'admiration que la firme de Cupertino suscitait infligeait une blessure d'orgueil à son ennemi de toujours, Microsoft, mais on lui pardonnait bien volontiers tant qu'elle restait dans son marché de niche et qu'elle laissait les grands de ce monde se partager le reste du conséquent gâteau. Une situation qui convenait bien à Apple jusqu'ici : Steve Jobs a réitéré qu'être la Mercedes-Benz de l'informatique allait très bien à Apple ainsi, sans caresser le moindre espoir d'hégémonie. L'essentiel était de faire les meilleurs produits possible et de pouvoir en vivre correctement. Les choses ont bien changé comme en témoigne ce tableau comparatif : Apple, Microsoft et Google sont en concurrence sur un nombre conséquent de technologies et de marchés.
Mais si Apple a investi ces marchés, ça n'est pas tant par impérialisme que par souci d'autonomie. Apple n'a jamais aimé devoir dépendre d'autres sociétés, et toujours préféré contrôler l'intégralité de son offre, à l'image de sa manière de concevoir le Macintosh, ou le couple iTunes + iPod. Apple veut rester maîtresse de son destin d'un bout à l'autre de la chaîne de fabrication, et avec sa plateforme iPhone OS, elle a trouvé un formidable moyen de se libérer de bien des contraintes. De plus, il lui a fallu aller dans la téléphonie, car c'était l'évolution logique du marché des baladeurs numériques. D'une certaine manière, son insolent succès actuel n'est qu'un heureux effet de bord de cette politique. Si l'iPad a cristallisé toutes les crispations, ça n'est pas tant pour l'importance potentielle du produit que pour la stratégie affichée d'Apple : elle compte tout faire pour élargir sa plateforme iPhone OS + App Store, dont l'iPad n'est qu'un point d'entrée supplémentaire.
Arrêter Apple dans son élan
Les concurrents d'Apple, qui faisaient autrefois preuve de bien plus de décontraction, sont aujourd'hui autrement plus irritables, quitte à parfois perdre leur sang froid : on ne rigole plus. Après le « patent trolling », Nokia invente le « patent blackmail » (chantage au brevet) : selon Apple, outre les royalties pour ses brevets portant sur le GSM, comme elle le fait avec les autres sociétés, la société finnoise aurait exigé en plus un accord croisé de licence pour bénéficier des brevets d'Apple, ce que cette dernière ne pouvait accepter. Le résultat a éclaté il y a peu, avec une guerre judiciaire sans merci qui se profile.
Moralité, lorsqu'Apple investit un nouveau marché, on la prend désormais très au sérieux. Avec l'iPhone, Apple a fait bien plus que de prendre une part de marché de l'industrie mobile : elle a émancipé Internet du carcan informatique et lui a donné des jambes. Et l'adhésion du public a ouvert la porte à de nouveaux marchés et de nouveaux modes de consommation, dont Apple est aujourd'hui le fer de lance, avec lequel il faudra désormais compter. Dans cette nouvelle donne, l'ancienne querelle avec Microsoft fait figure de combat d'arrière-garde : le géant de Redmond, sur ces nouveaux marchés, n'est que l'ombre de lui-même, et l'échappée d'Apple pourrait bien le laisser loin derrière.
Quelle issue pour le conflit ?
Alors qu'Adobe et Google étaient autrefois les alliés naturels d'Apple pour contrer l'omnipotence de Microsoft, on mesure d'autant mieux à quel point les choses ont changé alors que la rumeur susurre qu'Apple pourrait préférer Bing comme moteur de recherche, une rumeur qui aurait semblé impensable il y a encore quelques mois à peine (voir iPhone : Safari va faire Bing ?). Microsoft a également indiqué qu'elle se posait la question de porter sa suite Office sur l'iPad. Au jeu des alliances et des querelles, il devient difficile de tracer des territoires nets. L'adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » ne tient plus : les batailles sont désormais croisées entre chacune des parties impliquées.
Et vu l'importance des acteurs en question, il est difficile d'imaginer une issue sereine à ces guerres : dans la décennie à venir, aucune d'entre elles ne disparaitra. Difficile également d'imaginer des fusions et acquisitions, tant les zones de frictions sont nombreuses et les complémentarités minimes, d'autant qu'il ne s'agit pas que d'une affaire de moyens : pour acheter, encore faudrait-il que l'objet du désir soit à vendre. Il reste toujours les OPA hostiles, dont les plus grosses sociétés sont à l'abri. Mais il n'est pas exclu que les plus modestes soient des victimes collatérales : Adobe pèse dix fois moins sur le marché boursier que Google, et il se murmure que, après sa tentative ratée de rachat de Yahoo, Microsoft pourrait bien refaire son retard dans la course au mobile en achetant RIM, voire Nokia. Bref, la guerre tous azimuts ne fait que commencer.
La pomme de la discorde
Ces relations ambigües sont nées de divers éléments : le rejet du syndrome « not made here », qui voulait autrefois qu'on n'utilise jamais de produits créés par des entreprises concurrentes, pas même s'ils s'avéraient être plus profitables et exclus des zones de concurrence, a mené à des collaborations entre sociétés qui naguère se seraient vouées une guerre sans merci. Ce climat apaisé, caractéristique de la décennie passée, a donné le ton respectueux, voire laudateur, qu'on affichait en façade, alors qu'en arrière-boutique on préparait la mise à mort de l'allié d'hier, devenu trop encombrant. C'est d'ailleurs une caractéristique qu'on retrouve parmi chacun des nouveaux adversaires affichés d'Apple : ils ont tous collaboré de près ou de loin avec la marque fruitière.
L'autre élément qui a mené à ces nouvelles lignes de front, c'est la fameuse convergence numérique : chacune des sociétés des nouvelles technologies a pris des intérêts dans de nouveaux marchés. Qui aurait pu croire, il y a quelques années encore, que Nokia et Google se livreraient une guerre non seulement sur le domaine des smartphones, mais également sur celui des aides à la navigation routière, ou encore qu'on verrait un jour des jeux Sega sur des machines frappées d'une pomme ?
Enfin, la montée en puissance d'Apple lui a fait changer d'aura et de statut, un changement incarné par la nouvelle raison sociale de la firme de Cupertino : Apple Computers, inc. est tout simplement devenue Apple, inc. Alors qu'elle était autrefois le fabricant d'ordinateurs quasi confidentiels, Apple est devenue une multinationale puissante tant dans les médias (musique, vidéo, logiciels nomades comme sédentaires, et bientôt livres) que dans l'audio avec les différents iPod, la téléphonie et les jeux vidéo avec l'iPhone, l'iPod touch et bientôt l'iPad. Ce changement de catégorie fait qu'Apple s'adresse désormais à un marché de consommation de masse, et par là même se fabrique de nouveaux adversaires qui convoitent les mêmes cibles.
Apple change de dimension
Et Apple doit trouver ses marques dans cette « nouvelle peau » : elle qui autrefois avait pour habitude de jouer le rôle de David face à Goliath, la voilà en position dominante. Apple est l'enseigne qui vend le plus de musique au monde, chaînes de magasins physiques comprises. Sa gamme d'iPod séduit toujours 70 % des acheteurs américains.
Dans le domaine des smartphones, Apple s'arroge un quart du marché américain, derrière RIM, mais l'App Store tiendrait 97 % des ventes d'applications pour mobiles (voir Applications : Apple dévore le gâteau) et l'iPod touch et l'iPhone seraient responsable à eux seuls de 55 % du trafic mobile sur le web.
Sans parler du bouleversement de la téléphonie qu'a suscité l'iPhone du jour au lendemain, sur un marché dont Apple était jusque-là absente : trois ans plus tard, la concurrence n'a toujours pas complètement rattrapé son retard technologique.
Au final, Apple vaut aujourd'hui 10 milliards de dollars de plus que Google, elle gagne plus d'argent que Dell et HP réunis, et l'iPhone lui rapporte plus d'argent que Nokia n'en gagne avec ses téléphones, bien que cette dernière soit le premier constructeur mondial.
Signe révélateur s'il en est, les réserves monétaires d'Apple sont en voie de dépasser celles de Microsoft elle-même (voir Apple bientôt plus grosse que Microsoft). Alors que Steve Jobs se plaît à dire qu'Apple réalise 50 milliards de dollars de chiffre d'affaires à l'année (quoi qu'en extrapolant son dernier trimestre record), qui pourrait croire qu'il y a encore 13 ans, Apple a frôlé la faillite de très près ?
Jusqu'ici, Apple ne faisait guère que figure de caillou dans la chaussure de ses concurrents : certes, l'admiration que la firme de Cupertino suscitait infligeait une blessure d'orgueil à son ennemi de toujours, Microsoft, mais on lui pardonnait bien volontiers tant qu'elle restait dans son marché de niche et qu'elle laissait les grands de ce monde se partager le reste du conséquent gâteau. Une situation qui convenait bien à Apple jusqu'ici : Steve Jobs a réitéré qu'être la Mercedes-Benz de l'informatique allait très bien à Apple ainsi, sans caresser le moindre espoir d'hégémonie. L'essentiel était de faire les meilleurs produits possible et de pouvoir en vivre correctement. Les choses ont bien changé comme en témoigne ce tableau comparatif : Apple, Microsoft et Google sont en concurrence sur un nombre conséquent de technologies et de marchés.
Mais si Apple a investi ces marchés, ça n'est pas tant par impérialisme que par souci d'autonomie. Apple n'a jamais aimé devoir dépendre d'autres sociétés, et toujours préféré contrôler l'intégralité de son offre, à l'image de sa manière de concevoir le Macintosh, ou le couple iTunes + iPod. Apple veut rester maîtresse de son destin d'un bout à l'autre de la chaîne de fabrication, et avec sa plateforme iPhone OS, elle a trouvé un formidable moyen de se libérer de bien des contraintes. De plus, il lui a fallu aller dans la téléphonie, car c'était l'évolution logique du marché des baladeurs numériques. D'une certaine manière, son insolent succès actuel n'est qu'un heureux effet de bord de cette politique. Si l'iPad a cristallisé toutes les crispations, ça n'est pas tant pour l'importance potentielle du produit que pour la stratégie affichée d'Apple : elle compte tout faire pour élargir sa plateforme iPhone OS + App Store, dont l'iPad n'est qu'un point d'entrée supplémentaire.
Arrêter Apple dans son élan
Les concurrents d'Apple, qui faisaient autrefois preuve de bien plus de décontraction, sont aujourd'hui autrement plus irritables, quitte à parfois perdre leur sang froid : on ne rigole plus. Après le « patent trolling », Nokia invente le « patent blackmail » (chantage au brevet) : selon Apple, outre les royalties pour ses brevets portant sur le GSM, comme elle le fait avec les autres sociétés, la société finnoise aurait exigé en plus un accord croisé de licence pour bénéficier des brevets d'Apple, ce que cette dernière ne pouvait accepter. Le résultat a éclaté il y a peu, avec une guerre judiciaire sans merci qui se profile.
Moralité, lorsqu'Apple investit un nouveau marché, on la prend désormais très au sérieux. Avec l'iPhone, Apple a fait bien plus que de prendre une part de marché de l'industrie mobile : elle a émancipé Internet du carcan informatique et lui a donné des jambes. Et l'adhésion du public a ouvert la porte à de nouveaux marchés et de nouveaux modes de consommation, dont Apple est aujourd'hui le fer de lance, avec lequel il faudra désormais compter. Dans cette nouvelle donne, l'ancienne querelle avec Microsoft fait figure de combat d'arrière-garde : le géant de Redmond, sur ces nouveaux marchés, n'est que l'ombre de lui-même, et l'échappée d'Apple pourrait bien le laisser loin derrière.
Quelle issue pour le conflit ?
Alors qu'Adobe et Google étaient autrefois les alliés naturels d'Apple pour contrer l'omnipotence de Microsoft, on mesure d'autant mieux à quel point les choses ont changé alors que la rumeur susurre qu'Apple pourrait préférer Bing comme moteur de recherche, une rumeur qui aurait semblé impensable il y a encore quelques mois à peine (voir iPhone : Safari va faire Bing ?). Microsoft a également indiqué qu'elle se posait la question de porter sa suite Office sur l'iPad. Au jeu des alliances et des querelles, il devient difficile de tracer des territoires nets. L'adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » ne tient plus : les batailles sont désormais croisées entre chacune des parties impliquées.
Et vu l'importance des acteurs en question, il est difficile d'imaginer une issue sereine à ces guerres : dans la décennie à venir, aucune d'entre elles ne disparaitra. Difficile également d'imaginer des fusions et acquisitions, tant les zones de frictions sont nombreuses et les complémentarités minimes, d'autant qu'il ne s'agit pas que d'une affaire de moyens : pour acheter, encore faudrait-il que l'objet du désir soit à vendre. Il reste toujours les OPA hostiles, dont les plus grosses sociétés sont à l'abri. Mais il n'est pas exclu que les plus modestes soient des victimes collatérales : Adobe pèse dix fois moins sur le marché boursier que Google, et il se murmure que, après sa tentative ratée de rachat de Yahoo, Microsoft pourrait bien refaire son retard dans la course au mobile en achetant RIM, voire Nokia. Bref, la guerre tous azimuts ne fait que commencer.