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Du rififi autour du multitouch

Arnaud de la Grandière

jeudi 06 août 2009 à 14:01 • 45

iOS

Rien ne va plus au pays des écrans tactiles. Alors qu'Apple avait jusqu'ici réussi à protéger sa chasse gardée, la concurrence commence à faire montre d'un certain sans-gêne. Palm a été la première à tirer avec le Pré, qui, comble de l'insolence, utilise non seulement le multitouch à la sauce Apple, mais pire encore va jusqu'à utiliser iTunes pour se synchroniser avec l'ordinateur ! Jusqu'ici Apple s'est contentée de grogner (voir notre article le ton monte entre Apple et Palm) et d'entrer dans le jeu du chat et de la souris, profitant d'une mise à jour d'iTunes pour retirer la rustine que Palm avait appliquée.

Apple aboie, mais ne mord pas, ce qui semble-t-il aura suscité des vocations, puisque HTC emboîte le pas à Palm avec son Hero, lui aussi doué de multitouch (voir notre article Hero : enfin un smartphone Android convaincant). Microsoft s'apprête à en faire autant pour le Zune HD en septembre et pour Windows Mobile 7 (printemps 2010). En outre, impossible de dire de façon certaine si Android 2.0 fera figurer le multitouch ou non, les échos sur ce point se contredisant régulièrement (voir notre article Android à l'heure du multitouch), mais une chose est sûre, c'est à l'étude, et il est loin le temps où le département juridique d'Apple, en prince régnant, décidait du sort des fonctionnalités des concurrents de l'iPhone (voir notre article Google aurait bel et bien présenté le G1 à Apple). Alors qu'Eric Schmidt vient de quitter le conseil d'administration d'Apple, certains se demandent déjà si la concurrence entre Apple et Google ne va pas devenir plus vive et si cette dernière ne va pas désormais en avoir les coudées d'autant plus franches.

Ceci étant dit, on a déjà vu des smartphones multitouch sans que ça ne prête à polémique (comme ceux de Garmin ou de Research in Motion), car là où les choses se compliquent, c'est qu'Apple ne possède pas le multitouch en tant que tel (ni au niveau de la technologie de l'écran capacitif, ni au niveau du concept même). Cependant, Apple dispose de brevets sur certaines applications du multitouch, dans certains contextes. Par exemple la façon dont l'iPhone détermine s'il doit bloquer le défilement d'une fenêtre sur l'axe vertical, s'il doit permettre le défilement sur les deux axes, ou s'il doit le bloquer sur l'axe horizontal, en fonction des impulsions reçues sur l'écran tactile et du contexte dans lequel elles se produisent. Libre aux concurrents de faire exactement la même chose pour peu qu'ils n'utilisent pas les moyens protégés précisément par le brevet (voir notre article Apple brevète les bases de l'iPhone).

Par conséquent, les concurrents d'Apple peuvent faire du multitouch dans la mesure où ils ne le font pas exactement comme l'iPhone. Le cas n'est donc pas si évident à trancher, et représente un certain aléa judiciaire à considérer sérieusement avant d'attaquer : si Apple venait à être défaite lors d'un tel procès elle aurait beaucoup plus à perdre que si elle se contente de montrer les crocs et de jouer sur l'intimidation. Ce qui limite malgré tout la casse, du moins jusqu'à un certain point. On peut donc voir le brevet comme une arme de dissuasion, le but du jeu consistant à ne jamais s'en servir. En revanche, si d'aucuns tentent le coup sans qu'Apple ne réagisse, ça ne pourra que pousser d'autres à leur emboîter le pas, et passé un certain seuil le seul moyen pour Apple d'endiguer la voie d'eau sera de frapper. Encore faut-il que le risque encouru en vaille la peine.

D'autant que les quelques 200 brevets dont dispose Apple sur l'iPhone font l'objet de controverses : certains considèrent que l'office américain des brevets aurait été quelque peu léger en les octroyant, dans la mesure où il existe nombre de cas pré-existants (ou «prior art»), en citant les exemples de Bell, de l'université du Delaware, et d'autres. Mais également dans les termes particulièrement vagues qui sont utilisés dans ces brevets. Sans compter qu'Apple fait déjà l'objet d'une procédure de la part d'un autre dépositaire de brevets sur le multitouch (voir notre article Apple accusée de violer des brevets sur le multitouch). Autant de points d'attaque que les avocats de Palm ne manqueraient pas de soulever en cas de conflit judiciaire. Nombre d'experts et d'analystes se sont émus des menaces d'Apple en soulignant ces éléments (se contredisant parfois les uns les autres) mais à la vérité il est bien difficile de tirer tout ça au clair tant le domaine est vaste et complexe. D'où la nécessité parfois de faire appel à un juge pour trancher dans le vif.

L'autre question à prendre en considération c'est ce qui a pu pousser Palm à passer outre la menace d'un conflit ouvert. Plusieurs scénarios se présentent :

Primo, Palm est sûre de son fait et a trouvé une faille dans les brevets d'Apple, soit qui permet de contourner ce qu'ils protègent, soit qui les invalide totalement (à noter que certains gestes pour manipuler le Pré se font sur une surface tactile en dessous de l'écran).

Deuxio, Palm dispose de brevets portant sur des technologies exploitées par l'iPhone, et pourrait donc jouer à un échange de bons procédés (je te laisse utiliser mon brevet dans l'iPhone et tu me laisses utiliser le tien dans le Pré).

Tertio, Palm a joué son va-tout sur le Pré dans la mesure où c'était l'opération de la dernière chance : risquer de se confronter à Apple représente une menace à plus long terme que la faillite pure et simple si elle n'avait pas osé monter au front.

Ou encore une combinaison de chacune de ces possibilités… Toujours est-il qu'au train où vont les choses, Apple devra tôt ou tard sortir de sa réserve si elle veut que la menace conserve un semblant de crédibilité, quitte à faire un exemple. Une telle procédure sera nécessairement lourde de conséquences, quelle qu'en soit l'issue.

Il faut dire que le marché subit une pression naturelle pour aller vers le multitouch, et que les différents acteurs ne pourront pas en faire indéfiniment l'économie : c'est l'interface qui est la plus censée, la plus simple, la plus ergonomique, et la plus efficace, dans le domaine des écrans tactiles. À mesure que le grand public apprend à l'utiliser et à en réaliser les bénéfices, il deviendra un argument commercial imparable. Les concurrents d'Apple ont donc une quasi-obligation à aller se frotter à l'iPhone sur ce domaine, ce qui entraînera inéluctablement la firme de Cupertino à sortir de sa réserve. Le reste se décidera en justice, mais ça ne se fera pas sans douleur.

A voir également :
Interview : l'impact des brevets d'Apple
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