La retranscription de l'entretien de Steve Jobs avec les avocats de la SEC dans le cadre de leur enquête sur l'affaire des options d'achat anti-datées a été rendue publique. C'est un document assez exceptionnel, dans la mesure où il lève un coin du voile sur une période clé de l'histoire d'Apple, au moment du rachat de NeXT, mais c'est également une des rares occasions d'observer directement la personnalité parfois impétueuse de Steve Jobs, maintes fois décrite par des tiers.
Alors qu'il est interrogé sur ses débuts, depuis ses années d'étude jusqu'à son retour à la tête d'Apple en 1997, Steve Jobs ne manque pas de faire remarquer que ces informations sont de notoriété publique, à plusieurs reprises, faisant ainsi plus ou moins subtilement remarquer le temps précieux qu'on lui fait perdre à ces menues considérations qui sont en accès libre par ailleurs.
On revient ainsi sur les étapes qui ont amené Steve Jobs à prendre la tête d'Apple de manière définitive : initialement, il n'avait que le rôle de consultant afin de conseiller le placement des meilleurs éléments de NeXT, fraîchement acquise par Apple, à des postes clé de la société. Steve Jobs indique même qu'il ignore si ce poste de consultant était officiel ou non. Alors que le conseil d'administration s'apprête à limoger Gil Amelio, le patron d'alors, Steve Jobs se voit demandé de prendre la relève.
Il indique avoir été hésitant, sachant qu'il était également le patron de Pixar. Il ne souhaitait pas en effet laisser penser aux salariés et actionnaires de son autre entreprise qu'il les abandonnait, d'autant qu'il n'y avait jusqu'ici pas eu de précédent cas d'un patron dirigeant deux sociétés cotées en bourse. Afin de ne pas les inquiéter, il a donc endossé le titre de patron par "intérim", pour 90 jours, en attendant de trouver le successeur idéal. Mais la situation d'Apple étant catastrophique, seuls les seconds couteaux ont été présentés par les chasseurs de tête. Ils ne faisaient donc pas l'affaire pour redresser la barre, et la situation temporaire s'est par conséquent installée dans la durée, jusqu'à ce que Steve Jobs abandonne officiellement sont statut d'intérimaire 3 ans plus tard, estimant qu'il avait fait la preuve qu'il était capable de diriger les deux entreprises de front.
Lors de l'interrogatoire, souvent très technique, on apprend dans quel contexte les options d'achat ont été attribuées aux cadres exécutifs d'Apple. Dans un contexte difficile pour la société, qui suscitait de nombreux doutes sur son avenir, il fallait à tout prix s'assurer la loyauté des membres les plus éminents de son personnel, qui en outre étaient l'objet d'opérations de séduction. Fred Anderson avait non seulement été invité avec sa femme par Michael Dell au Texas, mais Steve Jobs avait également entendu parler de rumeurs concernant d'autres cadres.
Il lui est donc venu l'idée de leur proposer des "menottes dorées" : leur attribuer d'avance les stock-options auxquelles ils avaient droit sur les quatre années suivantes, d'un seul coup. Ainsi l'opération ne coûtait rien à Apple, mais promettait un joli pactole, si toutefois ils parvenaient à faire redécoller le cours de l'action. Les hommes-clé de la société se voyaient ainsi attribuer un million d'actions chacun, étant donné qu'ils avaient la carrure pour se voir offrir des postes de dirigeant dans de grosses et moyennes entreprises, il fallait bien ça, estimait Steve Jobs.
L'entretien est parfois tendu. Ainsi, l'avocat de la SEC fait-il référence à un échange d'emails entre Steve Jobs et Fred Anderson, prenant acte d'une conversation orale entre eux deux. Alors qu'il lui est demandé la date lors de laquelle cette conversation a eu lieu, le patron d'Apple indique l'avoir oubliée. Peu après, l'avocat lui demande combien de temps s'est écoulé entre la conversation et l'échange d'emails, ce à quoi Steve Jobs répond «C'est une autre manière de me demander quand a eu lieu cette conversation, et je vous ai déjà dit ne pas m'en souvenir.» L'avocat répond qu'il a parfois l'art et la manière de rafraîchir la mémoire par ses questions et que ça n'est tout simplement pas le cas ici. «Ecoutez, je vous le dirais si je le savais» répond Jobs, manifestement irrité. Les échanges relèvent parfois du comique alors que Steve Jobs est interrogé un peu plus tard sur le rôle de Nancy Heinen:
- Eh bien, à vrai dire je n'en sais rien, mais je suppose [qu'elle] notait les minutes [du conseil d'administration].
- Savez-vous ou non si la secrétaire [du conseil] est censée retranscrire fidèlement ces minutes?
- Eh bien, j'ose espérer qu'elle doit faire de son mieux.
- Je sais que la question peut sembler idiote…
- Oui.
- … mais je dois la poser. Pourquoi espérez-vous qu'elle fasse de son mieux?
- Pourquoi j'espère qu'elle fasse de son mieux? Eh bien, si nous produisons les minutes du conseil, à priori on est en droit d'attendre qu'elles soient exactes…
L'entretien couvre ensuite le contexte qui a mené à l'attribution d'options d'achat à Steve Jobs, dont nous vous avions parlé dans cet article. Dans le détail, Il précise que ça n'était pas tant pour l'argent que par besoin de reconnaissance, dans la mesure où seul un très petit pourcentage de ses revenus provient d'Apple.
Comme il a été établi durant le début de l'entretien, Jobs a consacré une certaine attention à faire en sorte que ses collaborateurs soient satisfaits de leur sort chez Apple, et constatait amèrement que nul n'en faisait autant pour son propre compte, ce dont il s'est senti meurtri. Le conseil d'administration lui avait bien attribué des actions, mais elles avaient toutes été coulées par l'éclatement de la bulle spéculative.
Etant donné les années durant lesquelles il s'était investi sans compter, allant jusqu'à négliger sa vie de famille, il estimait avoir droit lui aussi à une forme de reconnaissance. Les négociations furent d'autant plus douloureuses qu'il aura fallu s'y reprendre à maintes reprises pour finaliser un accord. Par exemple, Steve Jobs souhaitait remettre à Apple les options d'achat sur 20 millions d'actions qui lui avaient initialement été attribuées en échange de ce nouveau plan, ce qu'il n'a pas été techniquement possible de faire.
La mauvaise volonté du conseil d'administration n'a d'ailleurs fait qu'enfoncer le couteau dans la plaie : non seulement Jobs se sentait en mal de reconnaissance, mais il lui a fallu quémander une récompense, et à ses yeux pire encore, la marchander. Toute cette période fut manifestement douloureuse pour lui et il ne s'en cache guère, d'autant que l'accord final ne lui a malgré tout pas donné entière satisfaction et lui aura laissé un goût amer.
Cependant, n'oublions pas que le conseil d'administration avait offert un jet privé à Steve Jobs fin 1999, d'une valeur de 43,5 millions de dollars, associé à 40,5 millions de dollars pour couvrir les frais et diverses taxes, en récompense de ses services, bien qu'il s'agisse là d'un cadeau "utile".
Steve Jobs se rappelle peu des détails qui lui sont demandés, il est vrai portant sur des événements ayant eu lieu à des dates précises remontant alors à plus de sept ans au moment de l'entretien. D'autre part il semble manifeste qu'il n'a qu'une idée imprécise du déroulement concret de l'attribution de ces stock-options, une fois le cap de la décision passé, et notamment concernant l'arrêt d'une date pour la valeur des actions, qui fait l'objet de l'enquête.
Les événements suivent leur cours au niveau technique, qui ne sont ni de son ressort, ni au cœur de ses préoccupations. Il se garde cependant bien d'affirmer que les dates et événements indiqués dans les pièces administratives d'Apple correspondent à la réalité des faits lorsqu'il les a oubliés, ce sur quoi les avocats de la firme ont manifestement attiré son attention au préalable, afin d'éviter d'engager sa responsabilité inutilement. Il précise même que ce qu'il a appris depuis le début de l'enquête de la SEC ne l'encourage pas nécessairement à croire à la validité de ces éléments. En effet il a été établi qu'Apple avait produit un rapport sur une réunion du conseil d'administration qui n'avait jamais eu lieu, ce sur quoi Steve Jobs s'est dit être très préoccupé.
Alors qu'il est interrogé sur ses débuts, depuis ses années d'étude jusqu'à son retour à la tête d'Apple en 1997, Steve Jobs ne manque pas de faire remarquer que ces informations sont de notoriété publique, à plusieurs reprises, faisant ainsi plus ou moins subtilement remarquer le temps précieux qu'on lui fait perdre à ces menues considérations qui sont en accès libre par ailleurs.
On revient ainsi sur les étapes qui ont amené Steve Jobs à prendre la tête d'Apple de manière définitive : initialement, il n'avait que le rôle de consultant afin de conseiller le placement des meilleurs éléments de NeXT, fraîchement acquise par Apple, à des postes clé de la société. Steve Jobs indique même qu'il ignore si ce poste de consultant était officiel ou non. Alors que le conseil d'administration s'apprête à limoger Gil Amelio, le patron d'alors, Steve Jobs se voit demandé de prendre la relève.
Il indique avoir été hésitant, sachant qu'il était également le patron de Pixar. Il ne souhaitait pas en effet laisser penser aux salariés et actionnaires de son autre entreprise qu'il les abandonnait, d'autant qu'il n'y avait jusqu'ici pas eu de précédent cas d'un patron dirigeant deux sociétés cotées en bourse. Afin de ne pas les inquiéter, il a donc endossé le titre de patron par "intérim", pour 90 jours, en attendant de trouver le successeur idéal. Mais la situation d'Apple étant catastrophique, seuls les seconds couteaux ont été présentés par les chasseurs de tête. Ils ne faisaient donc pas l'affaire pour redresser la barre, et la situation temporaire s'est par conséquent installée dans la durée, jusqu'à ce que Steve Jobs abandonne officiellement sont statut d'intérimaire 3 ans plus tard, estimant qu'il avait fait la preuve qu'il était capable de diriger les deux entreprises de front.
Lors de l'interrogatoire, souvent très technique, on apprend dans quel contexte les options d'achat ont été attribuées aux cadres exécutifs d'Apple. Dans un contexte difficile pour la société, qui suscitait de nombreux doutes sur son avenir, il fallait à tout prix s'assurer la loyauté des membres les plus éminents de son personnel, qui en outre étaient l'objet d'opérations de séduction. Fred Anderson avait non seulement été invité avec sa femme par Michael Dell au Texas, mais Steve Jobs avait également entendu parler de rumeurs concernant d'autres cadres.
Il lui est donc venu l'idée de leur proposer des "menottes dorées" : leur attribuer d'avance les stock-options auxquelles ils avaient droit sur les quatre années suivantes, d'un seul coup. Ainsi l'opération ne coûtait rien à Apple, mais promettait un joli pactole, si toutefois ils parvenaient à faire redécoller le cours de l'action. Les hommes-clé de la société se voyaient ainsi attribuer un million d'actions chacun, étant donné qu'ils avaient la carrure pour se voir offrir des postes de dirigeant dans de grosses et moyennes entreprises, il fallait bien ça, estimait Steve Jobs.
L'entretien est parfois tendu. Ainsi, l'avocat de la SEC fait-il référence à un échange d'emails entre Steve Jobs et Fred Anderson, prenant acte d'une conversation orale entre eux deux. Alors qu'il lui est demandé la date lors de laquelle cette conversation a eu lieu, le patron d'Apple indique l'avoir oubliée. Peu après, l'avocat lui demande combien de temps s'est écoulé entre la conversation et l'échange d'emails, ce à quoi Steve Jobs répond «C'est une autre manière de me demander quand a eu lieu cette conversation, et je vous ai déjà dit ne pas m'en souvenir.» L'avocat répond qu'il a parfois l'art et la manière de rafraîchir la mémoire par ses questions et que ça n'est tout simplement pas le cas ici. «Ecoutez, je vous le dirais si je le savais» répond Jobs, manifestement irrité. Les échanges relèvent parfois du comique alors que Steve Jobs est interrogé un peu plus tard sur le rôle de Nancy Heinen:
- Eh bien, à vrai dire je n'en sais rien, mais je suppose [qu'elle] notait les minutes [du conseil d'administration].
- Savez-vous ou non si la secrétaire [du conseil] est censée retranscrire fidèlement ces minutes?
- Eh bien, j'ose espérer qu'elle doit faire de son mieux.
- Je sais que la question peut sembler idiote…
- Oui.
- … mais je dois la poser. Pourquoi espérez-vous qu'elle fasse de son mieux?
- Pourquoi j'espère qu'elle fasse de son mieux? Eh bien, si nous produisons les minutes du conseil, à priori on est en droit d'attendre qu'elles soient exactes…
L'entretien couvre ensuite le contexte qui a mené à l'attribution d'options d'achat à Steve Jobs, dont nous vous avions parlé dans cet article. Dans le détail, Il précise que ça n'était pas tant pour l'argent que par besoin de reconnaissance, dans la mesure où seul un très petit pourcentage de ses revenus provient d'Apple.
Comme il a été établi durant le début de l'entretien, Jobs a consacré une certaine attention à faire en sorte que ses collaborateurs soient satisfaits de leur sort chez Apple, et constatait amèrement que nul n'en faisait autant pour son propre compte, ce dont il s'est senti meurtri. Le conseil d'administration lui avait bien attribué des actions, mais elles avaient toutes été coulées par l'éclatement de la bulle spéculative.
Etant donné les années durant lesquelles il s'était investi sans compter, allant jusqu'à négliger sa vie de famille, il estimait avoir droit lui aussi à une forme de reconnaissance. Les négociations furent d'autant plus douloureuses qu'il aura fallu s'y reprendre à maintes reprises pour finaliser un accord. Par exemple, Steve Jobs souhaitait remettre à Apple les options d'achat sur 20 millions d'actions qui lui avaient initialement été attribuées en échange de ce nouveau plan, ce qu'il n'a pas été techniquement possible de faire.
La mauvaise volonté du conseil d'administration n'a d'ailleurs fait qu'enfoncer le couteau dans la plaie : non seulement Jobs se sentait en mal de reconnaissance, mais il lui a fallu quémander une récompense, et à ses yeux pire encore, la marchander. Toute cette période fut manifestement douloureuse pour lui et il ne s'en cache guère, d'autant que l'accord final ne lui a malgré tout pas donné entière satisfaction et lui aura laissé un goût amer.
Cependant, n'oublions pas que le conseil d'administration avait offert un jet privé à Steve Jobs fin 1999, d'une valeur de 43,5 millions de dollars, associé à 40,5 millions de dollars pour couvrir les frais et diverses taxes, en récompense de ses services, bien qu'il s'agisse là d'un cadeau "utile".
Steve Jobs se rappelle peu des détails qui lui sont demandés, il est vrai portant sur des événements ayant eu lieu à des dates précises remontant alors à plus de sept ans au moment de l'entretien. D'autre part il semble manifeste qu'il n'a qu'une idée imprécise du déroulement concret de l'attribution de ces stock-options, une fois le cap de la décision passé, et notamment concernant l'arrêt d'une date pour la valeur des actions, qui fait l'objet de l'enquête.
Les événements suivent leur cours au niveau technique, qui ne sont ni de son ressort, ni au cœur de ses préoccupations. Il se garde cependant bien d'affirmer que les dates et événements indiqués dans les pièces administratives d'Apple correspondent à la réalité des faits lorsqu'il les a oubliés, ce sur quoi les avocats de la firme ont manifestement attiré son attention au préalable, afin d'éviter d'engager sa responsabilité inutilement. Il précise même que ce qu'il a appris depuis le début de l'enquête de la SEC ne l'encourage pas nécessairement à croire à la validité de ces éléments. En effet il a été établi qu'Apple avait produit un rapport sur une réunion du conseil d'administration qui n'avait jamais eu lieu, ce sur quoi Steve Jobs s'est dit être très préoccupé.