Le 24 janvier 1984 Steve Jobs dévoilait "Macintosh" avec déjà ce goût pour la dramaturgie. 25 ans plus tard, son principal rejeton, l'iMac, ressemble fichtrement à son père : un écran, un clavier, une souris et une interface graphique. À peine s'est-il un peu aminci et modernisé ça et là… Imaginé par Jef Raskin à la fin des années 70, concrétisé sous la direction de Steve Jobs… on connaît la suite de l'histoire. Le web s'est fait le dépositaire de cette épopée (Wikipedia, L'Aventure Apple, Folklore.org, etc.)
Une telle longévité pour un ordinateur est cependant proprement stupéfiante, voire unique. Surtout lorsqu'on se souvient quelle jungle était l'informatique personnelle dans ces années là. Il y prospérait une faune hallucinante : Spectrum, Atari ST, Amstrad CPC, Apple II, IBM PC, Commodore 64, MSX, TO7, Exelvision, TI99, Amiga, Alice, Oric… Une forme de sélection naturelle est passée par là mais le monobloc imaginé il y a un quart de siècle a survécu. Il a évolué, s'est transformé, multiplié, s'offrant même une nouvelle vie avec l'iMac. Le "Mac" depuis quelques années est (re)devenu "cool" auprès des jeunes, via l'iPod et maintenant l'iPhone. Cinq témoins qui ont connu son père, le Mac 128, et qui sont restés fidèles à sa famille, racontent ce qui s'est passé il y a un quart de siècle.
La première rencontre
Juste avant le Mac il y eu chez Apple le Lisa, autre monobloc (vidéo) avec une souris, mais d'une taille proportionnelle à son prix, lequel l'emmena dans une impasse commerciale. C'est à travers Lisa que Jean-Christophe Courte, 55 ans et graphiste de livres, est arrivé au tout premier Macintosh "Je me souviens très bien de ma première rencontre envoûtante avec Lisa…! Cela s'est passé chez IC (International Computer) à deux pas de Beaubourg. J'avais trouvé l'adresse de ce revendeur sur une pub Apple dans un magazine en attendant chez le dentiste. J'ai téléphoné dès le lendemain et je me suis rendu un soir à un atelier de découverte de cette machine. Je me suis installé à la gauche de la démonstratrice et, quand celle-ci fût appelée au téléphone, je me suis emparé de la souris pour tracer à mon tour des éléments graphiques à l'écran. Je suis entré chez moi conquis. Le lendemain je prenais rendez-vous avec mon banquier."
Lisa
L'investissement dans un matériel informatique, Apple en particulier, impliquait en effet souvent d'en passer par la case de la banque "À l'époque, poursuit Jean-Christophe, les banquiers faisaient leur boulot et le responsable de l'agence du Crédit Agricole de ma ville nous a accordé un prêt malgré notre situation précaire. Nous avons reçu le Lisa quelques semaines plus tard et je me souviens avoir potassé le manuel en français avant de monter l'ensemble. À un moment donné, j'ai téléphoné chez Apple pour une précision et je suis tombé sur un dénommé Christophe Droulers qui m'a assisté à distance et qui est devenu un ami. C'était une époque où il fallait tout découvrir par soi-même. Une période de ma vie enthousiasmante. Le fait de bosser sur Mac était comme un sésame, il y avait une entre-aide fabuleuse."
Chez Yann Perret, 35 ans et chef de service informatique d'une importante administration du Var, le premier contact avec le Mac est venu par ses parents. Moins que la machine, c'est tout ce qu'elle a entraîné comme petites et grandes révolution qui lui reste en mémoire "Mon père travaillait à l'époque à Rhône Poulenc (devenu Rodhia, ndr), l'entreprise lui avait affecté les premiers Macintosh avec la permission de les emmener à la maison. Toute la famille a découvert cette merveilleuse machine, à mille lieues de nos Thomson TO7 et MO5. Je n'avais que dix ans, mais je me souviens de MacPaint, MacWrite, les premières évolutions du système, le passage des disquettes 400 ko à celles de 800 ko, des manipulations de plus en plus nombreuses de disquettes et des "bombes" qui survenaient régulièrement, les premiers jeux, les premiers films QuickTime, le premier réseau AppleTalk et le premier accès modem sur des serveurs distants…"
Pour Jean Demougin (ci-contre), 64 ans, ingénieur-conseil en stratégie et organisation pour des entreprises européennes, cette découverte s'est fait par procuration "En 1984 mon patron avait rencontré Jean-Louis Gassée (charismatique créateur d'Apple France et futur vice-président chez Apple US), il était revenu des États-Unis avec le Mac 128 et une énorme "boîte à pizza", un disque externe de luxe (5 ou 10 Mo).
Et évidemment, il me dit "Jean tu t'en occupe", j'étais alors le plus jeune des directeurs de la boîte. Puis à son voyage de l'année suivante, j'ai eu droit à une imprimante dont le poids aurait fait une bonne ancre de navire. C'est à ce moment-là que la qualité des rapports que l'on produisait sur ce Mac a commencé à être un avantage compétitif sur le marché. Dans notre métier, le fond fait tout, mais la forme fait vendre et passer les propositions dures".
Alain Harel, 54 ans et patron d'une très petite entreprise, fait lui remonter ses souvenirs de son arrivée sur Mac à l'époque du Micral dont il a côtoyé les inventeurs, André Truong Trong Thi et François Gernelle. Le Micral, sorti en 1973 et premier micro-ordinateur au monde vendu pré-assemblé. Le virus Apple fut attrapé avec l'Apple II qui allait lui rendre moins pénibles ce qui était à l'époque une vraie corvée "Je pouvais enfin saisir mes notes de frais en peu de temps, enfin presque, puis les éditer et les imprimer. L'importateur de l'Apple II, la société Seedrin, future Apple France était une maison ouverte où un certain Jean-Louis Gassé, avec son bras droit, Jean-Louis Calmont, recevaient, aux Ulis, à bras ouverts les clients. Puis est sorti le Mac". Il se souvient qu'à cette occasion un certain Bill Gates était venu à la première Apple Expo pour dévoiler Excel, écrit pour le Mac, et offrir aussi à tous les utilisateurs de Multiplan une licence gratuite du nouveau tableur Microsoft.
Les débuts d'une relation
Pour Bernard Le Du (ci-contre), le déclic s'est produit devant MacWrite. Autant les Oric, Amstrad et Thomson l'avaient laissé de marbre malgré une curiosité pour la chose informatique, autant le petit traitement de texte fourni avec la machine d'Apple lui ouvrait soudain des perspectives inattendues.
"J'ai immédiatement compris que j'avais trouvé un outil réellement utile, pratique au quotidien. L'achat d'un Mac 128 ko en 1985, encore avec son alimentation américaine, s'est imposé. J'avais fait des études de Droit et je me suis vite retrouvé à écrire un livre sur le Mac puis dans un magazine d'informatique ! Avec le recul, l'impact du Mac sur ma vie n'a pas été négligeable. Bernard Le Du dirigea longtemps Univers Mac avant de co-fonder, en 2004, le mensuel Vous et Votre Mac (VVMac) dont il assure aujourd'hui la rédaction en chef.
Le Mac a entrainé une autre révolution, celle de la PAO. Banalisée aujourd'hui, cette application de l'outil informatique a bouleversé certaines pratiques, comme l'a vécu depuis le premier rang Jean-Christophe Courte "Dans les années quatre-vingt, toute la production des graphiques financiers pour réaliser des "slides" de présentation (documents papier, dias ou rétroprojection) était effectuée à l'encre de Chine (au rotring ou au graphoplex…) sur du papier baryté, les textes étaient ajoutés à la Composphère IBM. J'ai immédiatement imaginé lors de cette démo du Lisa les avantages que l'on pouvait escompter en basculant sur un système qui associait les tracés des objets graphiques et la typo. Notamment en terme de traitement des corrections qui sont toujours nombreuses dans ce domaine, les consultants revenant sans cesse sur leurs données.
Ainsi, au lieu de finir par travailler sur un seul document, véritables mille-feuilles de papier à force de révisions, nous imprimions à chaque fois un original impeccable. Au début, même avec l'ImageWriter qui gravait plus qu'elle n'imprimait, nos clients étaient estomaqués des possibilités offertes. Ensuite, avec l'arrivée de la LaserWriter, tout le monde a basculé. Nous avons aussi appris à nos dépens l'importance des sauvegardes (sur disquettes 400 ko…!)"
Les coûts d'acquisition de ces équipements étaient "démentiels" continue Jean-Christophe "mais le travail ne manquait pas. Nos clients ont rapidement intégré la souplesse des corrections et les rendus impeccables avec des typos autres que celles de la Composphère. Rendez-vous compte, plus besoin de typex (blanc de correction), de gutta (colle de montage)… C'était révolutionnaire !
Très vite le Mac s'est imposé dans les cabinets de conseil. Mais sous l'impulsion des Directeurs des Services informatiques, les parts du Mac et de MacDraw Pro, puis de Claris Impact, ont peu à peu été grignotées par PowerPoint sous Windows. En 15 ans, nous avons vu le Mac s'imposer, changer la donne puis Windows s'imposer pour des considérations strictement financières. Apple en lâchant Claris leur a même donné des arguments. Certains clients me conseillaient même de passer au PC, l'horreur…!"
Une considération financière qui n'avait pas vraiment ému le patron de Jean Demougin "Le prix n'était pas grand-chose pour un PDG un peu moderniste."
Et pour Alain Harel qui vendit "des camions de PC sous Windows" en tant qu'importeur/distributeur, le Mac s'est avéré un investissement durable "Si l'on met à part quelques clashes de disques durs, de mon premier Mac à aujourd’hui, tout a suivi et évolué. Peu de fichiers sont restés sur le carreau, évoluant presque tous, soit en compatibilité directe soit avec des traducteurs/translateurs du type MacLink."
Avec tout de même une réserve, pour les périphériques "Le passage à Mac OS X a été très douloureux sur ce plan là ! Comme l’arrivée du FireWire, de l'USB… Mais de la 1re version de Mac OS à aujourd’hui, cela n’a été qu’évolution ! Avec quelques sauts quantiques, mais toujours dans l'homogénéité.
Une longue fidélité
Chacun de ces utilisateurs a eu, à un moment ou un autre, l'occasion ou sinon la curiosité de jeter un oeil sur des OS concurrents, mais sans jamais quitter les rails du Mac. Ainsi Jean-Cristophe Courte "J'ai utilisé quelque temps Windows NT pour des questions de traitement de données, j'ai même approché un peu NeXT ou encore BeOS à l'occasion de prêts de machines. Mais je suis resté viscéralement attaché à Apple pour son interface et son ergonomie sans pareilles. Je suis resté longtemps avec Classic (pour faire tourner Adobe FrameMaker) et Mac OS X sur ma machine avant de décider fin 2008 de passer de Tiger à Leopard."
Yann Perret va dans le même sens, enfonçant le clou "Ça n'est même pas imaginable. J'ai bien été obligé de faire des études et de travailler quelques mois avec Windows, mais ça m'a suffi... et deux semaines de formation sur Linux m'ont permis de constater son retard sur l'interface utilisateur et les applications, mais j'en ai appris sur le moteur d'OS X."
Bernard Le Du livre pour sa part une opinion plus tempérée. Aucune tentation de changer, mais sans que cela découle d'une relation passionnelle "Je n'ai jamais eu une approche "mac maniac" et encore moins "religieuse" (même si dans VVMac je défends le Mac et son système, notamment son interface utilisateur et son ergonomie). Je suis un agnostique à tous points de vue. J'ai travaillé plusieurs années pour des magazines d'informatique généralistes, comme Décision Informatique/Micro et 01 Informatique, dans lesquels j'ai écrit sur tous les sujets. Mais toujours sur le clavier d'un Mac. Un Mac, c'est un ordinateur, un outil. Je le connais si bien après tant d'années ! Pourquoi m'embêter à changer ? Bien entendu, j'ai aussi Windows, je l'avais installé du temps de Virtual PC sur les Mac PowerPC, je l'ai maintenant sur Mac Intel avec Parallels Desktop. Il me sert à tirer parti de quelques logiciels qui n'existent pas sur Mac OS X, en architecture "tout public" et en apprentissage de langues."
L'âge de raison
25 ans après, que reste-t-il de l'effusion des premiers temps ? Comment a évolué cette relation avec cette machine qui avait suscité étonnement, surprise et curiosité lors de sa découverte ? La passion est restée vive et intacte chez certains, chez d'autres le Mac s'est fondu dans la vie de tous les jours, mais il y garde un rôle central.
"Le Mac est mon outil de travail au quotidien explique Jean-Christophe Courte (ci-contre) mais aussi l'écran sur lequel je rédige mon blog (Urbanbike), le lieu où j'écris mes livres, traite mes photos, découvre de nouvelles architectures. Je passe énormément de temps devant tant par plaisir que professionnellement. Un peu moins ces derniers temps, car j'ai envie de voir mes enfants grandir. Mais la relève est assurée, tous les deux utilisent mes vieilles machines, ma fille utilise un iMac mauve qui a le même âge qu'elle (12 ans) et mon fils m'emprunte volontiers mon MacBook pour lancer Spore qui ne tourne pas sur son vieux Titanium…
J'ai eu la chance de vivre cette première révolution numérique, de tester les premières versions d'Excel qui remplaçait Multiplan et Chart, de découvrir les premiers outils de mise en page, de traitement de texte et de dessin, mais aussi plein d'applications géniales désormais disparues. Et également de voir les effets de ces produits sur ma profession. Aujourd'hui je réalise seul avec mon Mac ce qui nécessitait, il y a un quart de siècle tout rond, plein de monde aux compétences diverses. Des coursiers aux scannéristes en passant les compositeurs, photograveurs, metteurs de page, maquettistes, illustrateurs. Mais aussi standardiste et commercial…!
J'ai également la chance d'avoir basculé très vite à Internet après CalvaCom (un fameux BBS français, ndr) puis Numéris pour travailler à domicile. Cette seconde révolution, celles des réseaux, a changé ma vie.
La troisième est assurément celle engendrée par l'iPhone qui me permet désormais de bouger tout en restant connecté à mes clients, de répondre à leurs courriels tout en étant éloigné de mon bureau. Et cette convergence est signée Apple. Pourquoi voudriez-vous que je change…?!
Cela dit, je ne suis pas confit en dévotion devant Apple ! Cette entreprise a imaginé les meilleurs produits à ce jour et, si demain cela n'était plus le cas, je changerais sans état d'âme. Je recherche toujours le meilleur (…et le plus économique et solide sur la durée, ce qui est encore le cas avec les Mac) pour mon usage. Mais ce n'est pas pour autant que je me précipite sur les dernières productions "pommées", atavisme paysan sans doute.
Aucun risque non plus de switch chez Yvan Perret, le plus jeune de nos témoins "Même s'il est perfectible (comme tout), il permet de travailler et se distraire sereinement, sans se soucier exagérément des virus et autres malware. Il incite à la créativité en fournissant une vision esthétique de l'informatique, qu'elle soit matérielle ou logicielle. Même si cela peut sembler anodin, le fait que cela soit un bel objet silencieux participe au confort de travail. Enfin, même si le Mac reste un ordinateur, ça n'en est pas moins une petite source de fierté, surtout quand de très nombreuses personnes en apprécient la qualité esthétique en la voyant, malgré l'âge de la machine…"
Jean Demougin pose lui un regard plus pragmatique, sinon plus froid "Aucune machine n'est plus qu'une machine, le Mac me va nettement mieux que les autres, c'est tout."
À l'image d'Alain Harel "Ma relation à Apple et au Mac est devenue bien moins passionnelle au fil du temps ! Est-ce l’âge : oui, cela joue certainement, mais surtout, le Mac est devenu un outil du quotidien, intégré et naturel. C’est encore plus flagrant avec mes enfants qui sont obligés de “bouffer du PC winmachin” au boulot. Mais ils connaissent les deux mondes et le meilleur des deux !"
Pour Bernard Le Du c'est la dimension pratique et utilitaire qui prédomine sur les critères sentimentaux "Le Mac n'a jamais été qu'un outil. Un très bon outil. Rien d'autre. J'ai à l'ordinateur le même rapport qu'à la voiture qui n'est à mes yeux qu'un moyen de me déplacer ou à des ustensiles de cuisine bien pratiques."
"Il y a toutefois une petite différence entre un ordinateur et les autres outils de la vie quotidienne : grâce aux logiciels, on peut faire d'un Mac ou d'un PC ce que l'on veut. On peut chercher, il n'existe rien d'autre de semblable !"
"Je n'ai ni flamme particulière ni fascination pour le Mac, et si je reconnais un certain "génie" à Steve Jobs, je n'en fais certainement pas un gourou. J'ai été parfois assez proche d'Apple pour savoir que c'est une société comme n'importe quelle autre, et que ça n'a rien à voir avec le Paradis sur Terre."
"Dans VVMac, nous ne parlons presque jamais d'Apple en tant que société, ni de Steve Jobs ou des "people" de Cupertino. Je trouve que ça n'a aucun intérêt. Je mourrai un jour, et tout ce monde-là aussi. Et si le Mac disparaît avec eux, je ne doute pas un instant que quelque chose de nouveau, et de révolutionnaire sortira.
Je me demande même parfois, réflexion ô combien iconoclaste pour certains, si le Mac ne bride pas les imaginations et la créativité. Au lieu de nous inventer quelque chose de nouveau, toute l'industrie informatique cherche à copier le Mac. Dommage."
25 ans plus tard, malgré la souris, malgré l'interface graphique, malgré la promesse des éditeurs de vendre des OS toujours plus "simples" et "conviviaux", certaines choses n'ont pas changé, même sur Mac.
"Ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent, les mêmes problèmes qui rendent chèvres les utilisateurs observe Bernard Le Du "Il arrive tous les jours de nouveaux utilisateurs sur Mac, ce dont je me félicite bien sûr. Mais d'où qu'ils viennent, du PC ou d'ailleurs qu'importe, je n'en ai cure : ce ne sont que de nouveaux utilisateurs Mac, qui rencontrent les mêmes difficultés, les mêmes problèmes d'utilisation au quotidien, et qui se posent exactement les mêmes questions que mes lecteurs d'il y a dix ou quinze ans."
En somme, le Mac aura contribué à tout changer dans l'informatique, mais l'informatique, elle, n'a pas tant changé que cela…
Une telle longévité pour un ordinateur est cependant proprement stupéfiante, voire unique. Surtout lorsqu'on se souvient quelle jungle était l'informatique personnelle dans ces années là. Il y prospérait une faune hallucinante : Spectrum, Atari ST, Amstrad CPC, Apple II, IBM PC, Commodore 64, MSX, TO7, Exelvision, TI99, Amiga, Alice, Oric… Une forme de sélection naturelle est passée par là mais le monobloc imaginé il y a un quart de siècle a survécu. Il a évolué, s'est transformé, multiplié, s'offrant même une nouvelle vie avec l'iMac. Le "Mac" depuis quelques années est (re)devenu "cool" auprès des jeunes, via l'iPod et maintenant l'iPhone. Cinq témoins qui ont connu son père, le Mac 128, et qui sont restés fidèles à sa famille, racontent ce qui s'est passé il y a un quart de siècle.
La première rencontre
Juste avant le Mac il y eu chez Apple le Lisa, autre monobloc (vidéo) avec une souris, mais d'une taille proportionnelle à son prix, lequel l'emmena dans une impasse commerciale. C'est à travers Lisa que Jean-Christophe Courte, 55 ans et graphiste de livres, est arrivé au tout premier Macintosh "Je me souviens très bien de ma première rencontre envoûtante avec Lisa…! Cela s'est passé chez IC (International Computer) à deux pas de Beaubourg. J'avais trouvé l'adresse de ce revendeur sur une pub Apple dans un magazine en attendant chez le dentiste. J'ai téléphoné dès le lendemain et je me suis rendu un soir à un atelier de découverte de cette machine. Je me suis installé à la gauche de la démonstratrice et, quand celle-ci fût appelée au téléphone, je me suis emparé de la souris pour tracer à mon tour des éléments graphiques à l'écran. Je suis entré chez moi conquis. Le lendemain je prenais rendez-vous avec mon banquier."
Lisa
L'investissement dans un matériel informatique, Apple en particulier, impliquait en effet souvent d'en passer par la case de la banque "À l'époque, poursuit Jean-Christophe, les banquiers faisaient leur boulot et le responsable de l'agence du Crédit Agricole de ma ville nous a accordé un prêt malgré notre situation précaire. Nous avons reçu le Lisa quelques semaines plus tard et je me souviens avoir potassé le manuel en français avant de monter l'ensemble. À un moment donné, j'ai téléphoné chez Apple pour une précision et je suis tombé sur un dénommé Christophe Droulers qui m'a assisté à distance et qui est devenu un ami. C'était une époque où il fallait tout découvrir par soi-même. Une période de ma vie enthousiasmante. Le fait de bosser sur Mac était comme un sésame, il y avait une entre-aide fabuleuse."
Chez Yann Perret, 35 ans et chef de service informatique d'une importante administration du Var, le premier contact avec le Mac est venu par ses parents. Moins que la machine, c'est tout ce qu'elle a entraîné comme petites et grandes révolution qui lui reste en mémoire "Mon père travaillait à l'époque à Rhône Poulenc (devenu Rodhia, ndr), l'entreprise lui avait affecté les premiers Macintosh avec la permission de les emmener à la maison. Toute la famille a découvert cette merveilleuse machine, à mille lieues de nos Thomson TO7 et MO5. Je n'avais que dix ans, mais je me souviens de MacPaint, MacWrite, les premières évolutions du système, le passage des disquettes 400 ko à celles de 800 ko, des manipulations de plus en plus nombreuses de disquettes et des "bombes" qui survenaient régulièrement, les premiers jeux, les premiers films QuickTime, le premier réseau AppleTalk et le premier accès modem sur des serveurs distants…"
Pour Jean Demougin (ci-contre), 64 ans, ingénieur-conseil en stratégie et organisation pour des entreprises européennes, cette découverte s'est fait par procuration "En 1984 mon patron avait rencontré Jean-Louis Gassée (charismatique créateur d'Apple France et futur vice-président chez Apple US), il était revenu des États-Unis avec le Mac 128 et une énorme "boîte à pizza", un disque externe de luxe (5 ou 10 Mo).
Et évidemment, il me dit "Jean tu t'en occupe", j'étais alors le plus jeune des directeurs de la boîte. Puis à son voyage de l'année suivante, j'ai eu droit à une imprimante dont le poids aurait fait une bonne ancre de navire. C'est à ce moment-là que la qualité des rapports que l'on produisait sur ce Mac a commencé à être un avantage compétitif sur le marché. Dans notre métier, le fond fait tout, mais la forme fait vendre et passer les propositions dures".
Alain Harel, 54 ans et patron d'une très petite entreprise, fait lui remonter ses souvenirs de son arrivée sur Mac à l'époque du Micral dont il a côtoyé les inventeurs, André Truong Trong Thi et François Gernelle. Le Micral, sorti en 1973 et premier micro-ordinateur au monde vendu pré-assemblé. Le virus Apple fut attrapé avec l'Apple II qui allait lui rendre moins pénibles ce qui était à l'époque une vraie corvée "Je pouvais enfin saisir mes notes de frais en peu de temps, enfin presque, puis les éditer et les imprimer. L'importateur de l'Apple II, la société Seedrin, future Apple France était une maison ouverte où un certain Jean-Louis Gassé, avec son bras droit, Jean-Louis Calmont, recevaient, aux Ulis, à bras ouverts les clients. Puis est sorti le Mac". Il se souvient qu'à cette occasion un certain Bill Gates était venu à la première Apple Expo pour dévoiler Excel, écrit pour le Mac, et offrir aussi à tous les utilisateurs de Multiplan une licence gratuite du nouveau tableur Microsoft.
Les débuts d'une relation
Pour Bernard Le Du (ci-contre), le déclic s'est produit devant MacWrite. Autant les Oric, Amstrad et Thomson l'avaient laissé de marbre malgré une curiosité pour la chose informatique, autant le petit traitement de texte fourni avec la machine d'Apple lui ouvrait soudain des perspectives inattendues.
"J'ai immédiatement compris que j'avais trouvé un outil réellement utile, pratique au quotidien. L'achat d'un Mac 128 ko en 1985, encore avec son alimentation américaine, s'est imposé. J'avais fait des études de Droit et je me suis vite retrouvé à écrire un livre sur le Mac puis dans un magazine d'informatique ! Avec le recul, l'impact du Mac sur ma vie n'a pas été négligeable. Bernard Le Du dirigea longtemps Univers Mac avant de co-fonder, en 2004, le mensuel Vous et Votre Mac (VVMac) dont il assure aujourd'hui la rédaction en chef.
Le Mac a entrainé une autre révolution, celle de la PAO. Banalisée aujourd'hui, cette application de l'outil informatique a bouleversé certaines pratiques, comme l'a vécu depuis le premier rang Jean-Christophe Courte "Dans les années quatre-vingt, toute la production des graphiques financiers pour réaliser des "slides" de présentation (documents papier, dias ou rétroprojection) était effectuée à l'encre de Chine (au rotring ou au graphoplex…) sur du papier baryté, les textes étaient ajoutés à la Composphère IBM. J'ai immédiatement imaginé lors de cette démo du Lisa les avantages que l'on pouvait escompter en basculant sur un système qui associait les tracés des objets graphiques et la typo. Notamment en terme de traitement des corrections qui sont toujours nombreuses dans ce domaine, les consultants revenant sans cesse sur leurs données.
Ainsi, au lieu de finir par travailler sur un seul document, véritables mille-feuilles de papier à force de révisions, nous imprimions à chaque fois un original impeccable. Au début, même avec l'ImageWriter qui gravait plus qu'elle n'imprimait, nos clients étaient estomaqués des possibilités offertes. Ensuite, avec l'arrivée de la LaserWriter, tout le monde a basculé. Nous avons aussi appris à nos dépens l'importance des sauvegardes (sur disquettes 400 ko…!)"
Les coûts d'acquisition de ces équipements étaient "démentiels" continue Jean-Christophe "mais le travail ne manquait pas. Nos clients ont rapidement intégré la souplesse des corrections et les rendus impeccables avec des typos autres que celles de la Composphère. Rendez-vous compte, plus besoin de typex (blanc de correction), de gutta (colle de montage)… C'était révolutionnaire !
Très vite le Mac s'est imposé dans les cabinets de conseil. Mais sous l'impulsion des Directeurs des Services informatiques, les parts du Mac et de MacDraw Pro, puis de Claris Impact, ont peu à peu été grignotées par PowerPoint sous Windows. En 15 ans, nous avons vu le Mac s'imposer, changer la donne puis Windows s'imposer pour des considérations strictement financières. Apple en lâchant Claris leur a même donné des arguments. Certains clients me conseillaient même de passer au PC, l'horreur…!"
Une considération financière qui n'avait pas vraiment ému le patron de Jean Demougin "Le prix n'était pas grand-chose pour un PDG un peu moderniste."
Et pour Alain Harel qui vendit "des camions de PC sous Windows" en tant qu'importeur/distributeur, le Mac s'est avéré un investissement durable "Si l'on met à part quelques clashes de disques durs, de mon premier Mac à aujourd’hui, tout a suivi et évolué. Peu de fichiers sont restés sur le carreau, évoluant presque tous, soit en compatibilité directe soit avec des traducteurs/translateurs du type MacLink."
Avec tout de même une réserve, pour les périphériques "Le passage à Mac OS X a été très douloureux sur ce plan là ! Comme l’arrivée du FireWire, de l'USB… Mais de la 1re version de Mac OS à aujourd’hui, cela n’a été qu’évolution ! Avec quelques sauts quantiques, mais toujours dans l'homogénéité.
Une longue fidélité
Chacun de ces utilisateurs a eu, à un moment ou un autre, l'occasion ou sinon la curiosité de jeter un oeil sur des OS concurrents, mais sans jamais quitter les rails du Mac. Ainsi Jean-Cristophe Courte "J'ai utilisé quelque temps Windows NT pour des questions de traitement de données, j'ai même approché un peu NeXT ou encore BeOS à l'occasion de prêts de machines. Mais je suis resté viscéralement attaché à Apple pour son interface et son ergonomie sans pareilles. Je suis resté longtemps avec Classic (pour faire tourner Adobe FrameMaker) et Mac OS X sur ma machine avant de décider fin 2008 de passer de Tiger à Leopard."
Yann Perret va dans le même sens, enfonçant le clou "Ça n'est même pas imaginable. J'ai bien été obligé de faire des études et de travailler quelques mois avec Windows, mais ça m'a suffi... et deux semaines de formation sur Linux m'ont permis de constater son retard sur l'interface utilisateur et les applications, mais j'en ai appris sur le moteur d'OS X."
Bernard Le Du livre pour sa part une opinion plus tempérée. Aucune tentation de changer, mais sans que cela découle d'une relation passionnelle "Je n'ai jamais eu une approche "mac maniac" et encore moins "religieuse" (même si dans VVMac je défends le Mac et son système, notamment son interface utilisateur et son ergonomie). Je suis un agnostique à tous points de vue. J'ai travaillé plusieurs années pour des magazines d'informatique généralistes, comme Décision Informatique/Micro et 01 Informatique, dans lesquels j'ai écrit sur tous les sujets. Mais toujours sur le clavier d'un Mac. Un Mac, c'est un ordinateur, un outil. Je le connais si bien après tant d'années ! Pourquoi m'embêter à changer ? Bien entendu, j'ai aussi Windows, je l'avais installé du temps de Virtual PC sur les Mac PowerPC, je l'ai maintenant sur Mac Intel avec Parallels Desktop. Il me sert à tirer parti de quelques logiciels qui n'existent pas sur Mac OS X, en architecture "tout public" et en apprentissage de langues."
L'âge de raison
25 ans après, que reste-t-il de l'effusion des premiers temps ? Comment a évolué cette relation avec cette machine qui avait suscité étonnement, surprise et curiosité lors de sa découverte ? La passion est restée vive et intacte chez certains, chez d'autres le Mac s'est fondu dans la vie de tous les jours, mais il y garde un rôle central.
"Le Mac est mon outil de travail au quotidien explique Jean-Christophe Courte (ci-contre) mais aussi l'écran sur lequel je rédige mon blog (Urbanbike), le lieu où j'écris mes livres, traite mes photos, découvre de nouvelles architectures. Je passe énormément de temps devant tant par plaisir que professionnellement. Un peu moins ces derniers temps, car j'ai envie de voir mes enfants grandir. Mais la relève est assurée, tous les deux utilisent mes vieilles machines, ma fille utilise un iMac mauve qui a le même âge qu'elle (12 ans) et mon fils m'emprunte volontiers mon MacBook pour lancer Spore qui ne tourne pas sur son vieux Titanium…
J'ai eu la chance de vivre cette première révolution numérique, de tester les premières versions d'Excel qui remplaçait Multiplan et Chart, de découvrir les premiers outils de mise en page, de traitement de texte et de dessin, mais aussi plein d'applications géniales désormais disparues. Et également de voir les effets de ces produits sur ma profession. Aujourd'hui je réalise seul avec mon Mac ce qui nécessitait, il y a un quart de siècle tout rond, plein de monde aux compétences diverses. Des coursiers aux scannéristes en passant les compositeurs, photograveurs, metteurs de page, maquettistes, illustrateurs. Mais aussi standardiste et commercial…!
J'ai également la chance d'avoir basculé très vite à Internet après CalvaCom (un fameux BBS français, ndr) puis Numéris pour travailler à domicile. Cette seconde révolution, celles des réseaux, a changé ma vie.
La troisième est assurément celle engendrée par l'iPhone qui me permet désormais de bouger tout en restant connecté à mes clients, de répondre à leurs courriels tout en étant éloigné de mon bureau. Et cette convergence est signée Apple. Pourquoi voudriez-vous que je change…?!
Cela dit, je ne suis pas confit en dévotion devant Apple ! Cette entreprise a imaginé les meilleurs produits à ce jour et, si demain cela n'était plus le cas, je changerais sans état d'âme. Je recherche toujours le meilleur (…et le plus économique et solide sur la durée, ce qui est encore le cas avec les Mac) pour mon usage. Mais ce n'est pas pour autant que je me précipite sur les dernières productions "pommées", atavisme paysan sans doute.
Aucun risque non plus de switch chez Yvan Perret, le plus jeune de nos témoins "Même s'il est perfectible (comme tout), il permet de travailler et se distraire sereinement, sans se soucier exagérément des virus et autres malware. Il incite à la créativité en fournissant une vision esthétique de l'informatique, qu'elle soit matérielle ou logicielle. Même si cela peut sembler anodin, le fait que cela soit un bel objet silencieux participe au confort de travail. Enfin, même si le Mac reste un ordinateur, ça n'en est pas moins une petite source de fierté, surtout quand de très nombreuses personnes en apprécient la qualité esthétique en la voyant, malgré l'âge de la machine…"
Jean Demougin pose lui un regard plus pragmatique, sinon plus froid "Aucune machine n'est plus qu'une machine, le Mac me va nettement mieux que les autres, c'est tout."
À l'image d'Alain Harel "Ma relation à Apple et au Mac est devenue bien moins passionnelle au fil du temps ! Est-ce l’âge : oui, cela joue certainement, mais surtout, le Mac est devenu un outil du quotidien, intégré et naturel. C’est encore plus flagrant avec mes enfants qui sont obligés de “bouffer du PC winmachin” au boulot. Mais ils connaissent les deux mondes et le meilleur des deux !"
Pour Bernard Le Du c'est la dimension pratique et utilitaire qui prédomine sur les critères sentimentaux "Le Mac n'a jamais été qu'un outil. Un très bon outil. Rien d'autre. J'ai à l'ordinateur le même rapport qu'à la voiture qui n'est à mes yeux qu'un moyen de me déplacer ou à des ustensiles de cuisine bien pratiques."
"Il y a toutefois une petite différence entre un ordinateur et les autres outils de la vie quotidienne : grâce aux logiciels, on peut faire d'un Mac ou d'un PC ce que l'on veut. On peut chercher, il n'existe rien d'autre de semblable !"
"Je n'ai ni flamme particulière ni fascination pour le Mac, et si je reconnais un certain "génie" à Steve Jobs, je n'en fais certainement pas un gourou. J'ai été parfois assez proche d'Apple pour savoir que c'est une société comme n'importe quelle autre, et que ça n'a rien à voir avec le Paradis sur Terre."
"Dans VVMac, nous ne parlons presque jamais d'Apple en tant que société, ni de Steve Jobs ou des "people" de Cupertino. Je trouve que ça n'a aucun intérêt. Je mourrai un jour, et tout ce monde-là aussi. Et si le Mac disparaît avec eux, je ne doute pas un instant que quelque chose de nouveau, et de révolutionnaire sortira.
Je me demande même parfois, réflexion ô combien iconoclaste pour certains, si le Mac ne bride pas les imaginations et la créativité. Au lieu de nous inventer quelque chose de nouveau, toute l'industrie informatique cherche à copier le Mac. Dommage."
25 ans plus tard, malgré la souris, malgré l'interface graphique, malgré la promesse des éditeurs de vendre des OS toujours plus "simples" et "conviviaux", certaines choses n'ont pas changé, même sur Mac.
"Ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent, les mêmes problèmes qui rendent chèvres les utilisateurs observe Bernard Le Du "Il arrive tous les jours de nouveaux utilisateurs sur Mac, ce dont je me félicite bien sûr. Mais d'où qu'ils viennent, du PC ou d'ailleurs qu'importe, je n'en ai cure : ce ne sont que de nouveaux utilisateurs Mac, qui rencontrent les mêmes difficultés, les mêmes problèmes d'utilisation au quotidien, et qui se posent exactement les mêmes questions que mes lecteurs d'il y a dix ou quinze ans."
En somme, le Mac aura contribué à tout changer dans l'informatique, mais l'informatique, elle, n'a pas tant changé que cela…