Antidote Prisme avait introduit la notion de « prisme », un outil d’analyse logique et stylistique du texte. Entièrement réécrit pour OS X et porté sur GNU/Linux, Antidote RX intégrait dix dictionnaires et dix guides linguistiques. Antidote HD se parait d’une nouvelle interface et améliorait très largement son correcteur. Antidote 8 séparait correction orthographique et correction typographique tout en offrant un plus grand degré de personnalisation.
On pouvait donc s’attendre à ce que Druide continue tranquillement sur sa lancée, et se contente d’ajouter quelques centaines de mots et quelques guides supplémentaires à la neuvième version de son assistant d’écriture. Mais l’éditeur québécois a préféré nous surprendre, en intégrant à Antidote rien de moins qu’une nouvelle langue, l’anglais.
Anglais ou français, choisissez votre poison
Antidote 9 sait donc corriger la langue de Shakespeare. Ce bilinguisme ne s’arrête toutefois pas au correcteur, Antidote n’étant pas seulement un correcteur. Tout ce qui était disponible en français l’est aujourd’hui en anglais, des menus aux dictionnaires en passant par les guides. Tout, sauf le dictionnaire des antonymes et le Visuel intégré, qui demanderont quelques années de travail en plus des cinq que Druide a déjà consacrées à cette entreprise ambitieuse.
Car l’éditeur québécois a revu le fonctionnement de son application au point d’en réécrire une bonne partie : les langues prennent désormais la forme de modules indépendants des fonctions. Un Américain ou un Australien peut ainsi acheter une version purement anglophone d’Antidote, de la même manière qu’un Français ou un Belge peut acheter une version purement francophone du correcteur. Dans un cas comme dans l’autre, la licence monoposte vaut 99,99 €.
Mais un bilingue ou un traducteur peut utiliser les deux langues à la fois : le module de langue supplémentaire vaut environ 49 € s’il est acheté ultérieurement, environ 35 € s’il est acheté en même temps. Le Visuel intégré est lui aussi disponible sous la forme d’un module pour un peu moins de 15 € supplémentaires, et Druide propose deux offres de mises à jour pour les utilisateurs d’anciennes versions. La « mise à niveau totale » d’Antidote 8 vers Antidote 9 en français avec le module anglais est ainsi proposée à environ 70 €.
L’application passe de l’une à l’autre des langues aussi naturellement qu’un auteur peut le faire. Ainsi, le correcteur est désormais flanqué d’une marge permettant de vérifier la bonne détection des langues. Il est bien difficile de le mettre en défaut avec des citations ou des blocs de texte, mais il ignore pour le moment les mots noyés au milieu d’une phrase. « Pour le moment », car Druide promet qu’une future mise à jour gratuite lui permettra de reconnaître les changements de langue à l’intérieur d’une phrase.
La correction peut s’effectuer de manière linéaire, même s’il est possible de se concentrer sur une langue plutôt que l’autre, notamment dans les différentes catégories d’inspection. On sent toutefois que les deux langues ne sont pas tout à fait traitées sur un pied d’égalité : le correcteur sera sans doute un peu plus utile à un francophone devant écrire en anglais qu’à un anglophone devant écrire en français. Il met ainsi un point d’honneur à signaler les faux-amis (actually, change, regard…), les erreurs fréquentes (I have 15 years…), et quelques pièges classiques (possessif, who/whom…).
De la même manière qu’il permet de choisir entre les « différents » français et d’ignorer les rectifications de 1990, Antidote 9 offre de nombreux réglages spécifiques à la langue anglaise. Il permet ainsi de choisir entre l’anglais américain, l’anglais canadien, l’anglais britannique, et l’orthographe étymologiste d’Oxford (-ize au lieu de -ise). Il peut même convenir aux partisans de la serial comma, sans pour autant l’imposer, ce qui en fait un correcteur anglais complet.
Mais ce sont encore dans les guides et le dictionnaire que les deux langues cohabitent le mieux. La barre latérale, redessinée pour une meilleure lisibilité, est désormais dotée d’onglets permettant simplement de passer d’une langue à l’autre. Mieux, Antidote le fait automatiquement lorsque c’est pertinent : tapez « fluid », et il vous propose les mots correspondants en français, ajoutez un « l », et seuls des mots anglais peuvent correspondre. Un simple raccourci, ⇧⌘L
, permet sinon de changer de langue.
Les dictionnaires recensent 94 000 mots anglais, contre 127 000 mots français, et comportent notamment 150 000 transcriptions phonétiques. Les guides comptent quant à eux 350 articles — et s’il manque encore les « points de langue » rédigés par les linguistes de Druide, ils seront intégrés au fur des questions posées par les utilisateurs et à mesure des mises à jour gratuites. On pourrait encore dire que les dictionnaires personnels acceptent les mots anglais et que l’Anti-Oups vérifie les courriels anglais, mais vous vous en doutiez.
Les druides n’oublient pas leur village gaulois
L’intégration de l’anglais est donc la nouveauté majeure d’Antidote 9… mais le français n’est pas oublié pour autant ! « Nous ne voulions pas développer l’anglais aux dépens du français », nous confiait Éric Brunelle, président de Druide. De fait, Antidote 9 propose 90 nouveautés s’adressant aussi bien à la langue de Shakespeare qu’à celle de Molière. La première d’entre elles est sans doute le filtre de correction stylistique, qui vient s’ajouter aux filtres de corrections linguistique et typographique issus d’Antidote 8.
S’il reprend d’abord et avant tout des fonctions existantes, il les rend plus lisibles et plus pratiques. Il permet de repérer plus rapidement les répétitions, les tournures pataudes, et les faiblesses du vocabulaire. Que les amateurs de phrases passives et de régionalismes se rassurent, certains avertissements peuvent être désactivés. Mieux : le correcteur ne s’émouvra plus d’un changement de registre à la faveur d’une citation ou d’un dialogue, puisqu’il est désormais capable de les reconnaître.
Antidote 9 semble d’ailleurs plus « intelligent » que ses prédécesseurs. Il devient de plus en plus rare de le voir buter sur une phrase complexe — lorsqu’il signale une rupture, ce qu’il fait de manière plus claire qu’avant, c’est bien qu’il manque un mot. Surtout, il est désormais capable de se souvenir avoir effectué une première passe sur un document, et ne vous proposera donc plus des corrections que vous avez déjà ignorées.
On peut seulement regretter qu’à l’heure de l’intégration de l’anglais, Antidote ne prenne toujours pas en charge le Markdown, langage de balisage particulièrement populaire en Amérique du Nord. Druide devrait néanmoins corriger cette « erreur » par le biais d’une mise à jour, l’occasion de rappeler que cette nouvelle version d’Antidote sera revue et augmentée gratuitement pendant environ trois ans, jusqu’à la prochaine « mise à niveau » majeure.
Au-delà du correcteur, on peut remarquer que les précisions accompagnant les définitions sont plus… précises. Elles montrent plus clairement les difficultés, comme l’accord du participe passé des verbes pronominaux, et indiquent désormais les liaisons phonétiques. Elles s’ouvraient déjà vers les autres outils d’Antidote (rimes et anagrammes) et quelques ressources externes (Google et Wikipédia), elles renvoient maintenant vers Le grand dictionnaire terminologique et Termium.
Les amoureux de la langue française perdront sans doute quelques heures à explorer les 1 500 nouvelles entrées (dont « égoportrait » et « vapoter »), ou à suivre les 600 000 nouveaux liens de champs lexicaux, dont une grande partie provient de l’intégration de noms de lieux. Ils perdront même des jours s’ils s’approchent un peu trop près des 2,6 millions de « parents étymologiques », qui permettent de remonter le fil de l’évolution d’un mot.
Un excellent cru de la potion magique canadienne
On pourrait encore multiplier les exemples, mais rien n’est plus important que la rapidité et la fiabilité du correcteur. Aucune application « n’a réussi à emprisonner les mystères de la grammaire française dans un tissu d’algorithmes », disions-nous il y a quelques années, mais Druide a encore resserré les liens des rets d’Antidote. Et pris l’anglais au passage.
L’éditeur québécois a même revu la procédure d’installation et de réinstallation d’Antidote : le code fourni dans la boîte permet de télécharger l’installeur, et l’application ne demande plus rien qu’un numéro de série envoyé par courriel. La disparition de la procédure d’activation byzantine vaut à elle seule le prix de la mise à jour — mais on ne crachera pas sur le reste des nouveautés, bien sûr.