On peut dire de l’univers de Donjons et Dragons qu’il est en perpétuelle expansion. Il dépasse le cadre des jeux de plateaux pour (malheureusement) flirter avec le cinéma et plus rarement avec le jeu vidéo. Blackguards est le premier « vrai » jeu qui s’inspire de cet univers : à ce titre, il promet beaucoup, aux vétérans comme aux nouveaux joueurs.
Ça tombe bien : votre serviteur ne connaît rien à ce genre de jeux. La prise en main qui suit est donc l’œuvre d’un béotien, qui prie les connaisseurs de bien vouloir lui pardonner ses éventuelles erreurs d’appréciation et sa méconnaissance du sujet. Pour les autres, nous partons du même point : bienvenue.
Blackguards est donc le premier jeu d’ampleur s’inspirant de Donjons et Dragons, et plus précisément du système de jeu de l’Œil Noir (une variation d’origine allemande). Comme le jeu de plateau, il se joue au tour par tour, et garantit une durée de vie plutôt bonne (à peu près 40 heures), réparties sur pas moins de 190 cartes différentes. Vous incarnez un héros ou une héroïne accusé(e) du meurtre de votre amie, accessoirement princesse du royaume. Vous n’avez aucun souvenir de ce moment, et vous vous évadez de prison en compagnie d’un nain et d’un magicien afin de découvrir le fin mot de cette sombre histoire. Histoire d’ailleurs parfois prévisible, mais globalement intéressante et ténébreuse — elle dispose même de plusieurs fins selon vos choix dans le jeu, ce qui compense presque l’absence quasi totale de quêtes secondaires.
Le système de jeu lui-même est cependant une demi-réussite. De toute évidence, faire cohabiter le jeu de plateau et le mettre à portée de tous les joueurs relève de la gageure, et Daedalic ne démérite pas en proposant une approche intelligente de la chose, à commencer par un didacticiel très exhaustif. Peut-être un peu trop, même — il dure quatre heures. De quoi doucher l’enthousiasme des nouveaux joueurs, et même des habitués. Il vaut cependant la peine d’être effectué, pour deux raisons.
La première, c’est que Blackguards est tout aussi « complet » que « complexe ». Les amateurs de D&D adoreront retrouver les mécanismes du jeu de plateau, les jets de dés déterminant la puissance d’un coup, etc., mais c’est au coût d’une interface chargée et pas forcément amicale au premier abord. Un peu d’aide à la prise en main est donc nécessaire.
La seconde raison, c’est que les choses s’améliorent grandement après. On pourra reprocher à Blackguards d’être lent et de laisser les personnages parler beaucoup trop (avec, à ce qu’il semble, un seul doubleur pour toutes les voix). Mais le tour de force du développeur est d’avoir réussi à faire de chaque combat une aventure qui n’est jamais vraiment linéaire, bien qu’ils représentent à peu près 80 % de votre temps de jeu. Ceci grâce à une approche qui favorise largement la stratégie et l’utilisation de l’environnement pour s’en sortir. En résumé, foncer dans le tas ne sera quasiment jamais la solution. Il faudra être patient, élaborer des plans, et utiliser son expérience à bon escient afin d’améliorer les personnages.
Améliorations qui tranchent elles aussi par rapport aux RPG habituels : là où un minimum d’expérience était requis pour changer de niveau et apprendre des compétences, on peut ici améliorer son personnage sans pré-requis particulier. C’est à la fois génial et extrêmement risqué : un mauvais choix est très difficile à rattraper. Encore un risque de perdre les joueurs néophytes, tandis que les habitués devraient s’y retrouver sans problème.
Tirez une croix sur l’exploration : les seuls moments où vous pourrez visiter les lieux sont lors de votre passage dans une ville. C’est le jeu qui veut ça, mais on ne peut s’empêcher de le regretter un peu en regardant les jolis graphismes et animations des personnages. Reste que la durée de vie du jeu est plutôt bonne… mais pas forcément pour les bonnes raisons.
On a dit que ce jeu était le premier du genre, ou du moins de cette ampleur. Et ça se voit. Passent encore les bugs, un peu trop nombreux, Daedelic n’étant qu’un petit studio de développement). Passent aussi les écrans de chargement à répétition. Mais les faux mouvements dus à une interface parfois obscure, alors que chaque mouvement compte dans un combat au mode tour par tour, c’est plus embêtant. Sans compter les quelques termes allemands non traduits… et le fait que les dialogues vides et les cinématiques peu utiles fassent traîner en longueur un jeu au rythme déjà lent.
Pour conclure, Blackguards est un jeu vraiment intelligent. Ses plus grandes forces sont sans doute ses mécanismes de jeu, son univers sombre vous permettant de recruter des drogués ou des criminels, ses graphismes plutôt jolis. Mais la volonté de rendre cet univers accessible aussi bien aux aficionados qu’aux débutants risque finalement de ne satisfaire ni les uns ni les autres. Les grands fans de RPG et de tour par tour s’y retrouveront sans problème, et par la force des choses le jeu leur est plutôt adressé ; mais les nouveaux joueurs devront s’armer de persévérance pour en venir à bout.