Le programme de bêta publique d’OS X Yosemite qui s’ouvre aujourd’hui est inédit par son ampleur. Jamais Apple n’avait confié une version de développement de son système à plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs lambda. Ce n’est cependant pas la première fois qu’elle soumet ses travaux au public : le 13 septembre 2000, la firme de Cupertino présentait la Mac OS X Public Beta.
Le futur du Macintosh
Lorsque Steve Jobs monte sur la scène parisienne de l’Apple Expo 2000, il y a comme de l’électricité dans l’air. Le public sait que les développeurs ont reçu les premières pré-versions de Mac OS X, dont une DP3 qui inaugure l’interface Aqua présentée lors de la Macworld de San Francisco au début de l’année. L’annonce d’une bêta publique n’en demeure pas moins une surprise — cerise sur le gâteau, elle est traduite en français ! Il suffit de faire la queue pendant une petite heure et de débourser 249 francs pour repartir avec une jolie enveloppe frappée d’un grand X bleu, CD d’installation à droite, manuel à gauche.
Steve Jobs aurait voulu finaliser Rhapsody, fruit de la greffe de l’interface de Mac OS au-dessus du moteur de NeXTSTEP, à la fin 1998. Au moment où il arrive sur le marché avec un an de retard sous la forme d’un Mac OS X Server 1.0, Apple sait déjà qu’elle va devoir l’abandonner : Adobe refuse d’y porter ses incontournables logiciels. Les transfuges de NeXT, emmenés par Scott Forstall, se résolvent à mettre au point Carbon, un jeu d’API permettant de faire fonctionner les applications « classiques » sur le nouvel OS (lire : Il y a 10 ans, la naissance agitée de Mac OS X). Le résultat, véritable fusion de Mac OS et de NeXSTEP, est complété par une toute nouvelle interface — la Mac OS X Public Beta offre la première occasion de tester ce qui doit être « le futur du Macintosh ».
L’interface Aqua est sans doute la nouveauté la plus visible de Mac OS X Public Beta, mais deux autres nouveautés sont bien plus importantes : le multitâche préeemptif (qui limite le temps d’exécution d’une tâche et ordonne les tâches par priorité) et la protection de la mémoire (qui empêche l’instabilité d’une application de provoquer des instabilités dans d’autres applications). La première version publique de Mac OS X en aurait été une meilleure démonstration si le message apparaissant au plantage d’une app — c’est-à-dire toutes les cinq minutes — n’était pas modal : le plantage ne bloque techniquement pas le système, mais c’est du pareil au même du point de vue de l’utilisateur.
Il fallait redémarrer pour appliquer la plupart des changements de préférences, ce qui donnait l’occasion de repasser sous OS 9 pour imprimer ou exécuter des applets Java. Le framework Carbon était encore largement incomplet, et les applications Classic ne pouvaient pas communiquer avec le réseau. Cocoa était au contraire largement fonctionnel, ce que d’aucuns ont vu comme une provocation gratuite des équipes issues de NeXT. Ce serait oublier que la plupart des applications fournies, à commencer par TextEdit ou le Carnet d’adresses, étaient directement issues de NeXTSTEP.
Un OS X si différent, mais si familier
Le Dock vient lui aussi de NeXTSTEP : vous aurez peut-être remarqué que les icônes qu’il contient n’ont pas beaucoup évolué en quatorze ans. Même s’il abandonne tous les codes d’Aqua, OS X Yosemite ressemblera beaucoup à Mac OS X Public Beta — peut-être même plus qu’OS X Mavericks. Certes, les boutons carrés issus de NeXTSTEP ont disparu, comme les rayures et le métal brossé, ou certains éléments d’interface comme les tiroirs. Mais déjà à l’époque, la transparence et les ombres devaient donner une impression de profondeur, tout en démontrant les capacités du moteur Quartz et des cartes graphiques des Mac.
Là où d’autres ont fait le choix de ruptures franches et fréquentes, Apple a fait évoluer son système par petites touches, en s’attachant à une certaine continuité. Le mini-lecteur d’iTunes 12 pourrait être confondu avec le Music Player, et Spotlight n’a jamais autant ressemblé à Sherlock qu’avec Yosemite. Même la méthode de la bêta publique n’a pas changé : il s’agit, comme en 2000, de confronter le public à une nouvelle interface et si besoin d’en arrondir les angles avant la version finale.
L’exemple le plus emblématique est sans doute celui de la pomme centrée sur la barre de menus : Steve Jobs ne jurait alors que par la symétrie des interfaces, et préférait « caler » la barre de menus sur le nom de l’application au premier plan. Sauf que les utilisateurs, eux, ne comprenaient pas l’utilité de cet élément purement décoratif qui disparaissait dès que les menus d’une application étaient trop longs. Le logo Apple a rapidement retrouvé sa place à gauche de la barre de menus et sa fonction de menu « spécial ». Échaudée par la controverse autour d’iOS 7, la firme de Cupertino se tourne une nouvelle fois vers ses utilisateurs, et il ne serait pas étonnant que certains détails de l’interface d’OS X Yosemite soient modifiés d’ici à la fin de l’été.
La Mac OS X Public Beta avait expiré le 15 mai 2001, huit mois après sa présentation, et quelques semaines après celle de Mac OS X 10.0. Une première version finale de Mac OS X que les utilisateurs de la bêta pouvaient acheter avec 249 francs de remise, les mêmes 249 francs qu’ils avaient laissé à la caisse du parc des expositions de la porte de Versailles.