« La vérité est dans le nuage », disait Steve Jobs… les problèmes aussi. Après trois ans de flottement, Apple a enfin accompli sa révolution copernicienne : le Mac est définitivement relégué au simple rang de périphérique tournant autour d’un nuage où sont stockés tous vos fichiers.
Le nuage est le fil rouge qui lie toutes les annonces faites lors du keynote d’ouverture de la WWDC 2014. Au corps défendant de Steve Jobs sans doute, iCloud ne faisait rien d’autre que synchroniser fichiers et réglages stockés sur des appareils épars. Tout comme le même Steve Jobs l’avait rêvé, iCloud va maintenant réellement jouer son rôle de nouveau hub numérique : la « vérité » est vraiment dans un nuage autour duquel les appareils gravitent.
CloudKit est l’axe de ce renversement — non seulement Apple invite les développeurs à rapidement adopter cette nouvelle API, mais elle l’utilise elle-même dans iCloud Drive et iCloud Photo Library. Documents dans le nuage faisait « monter dans le nuage » documents et réglages selon une formule qui n’appartenait qu’à Apple, et n’était pas toujours fiable. CloudKit est un accès direct aux « serveurs iCloud », desquels « descendent » les documents et réglages.
Au cas où ce ne serait pas encore clair, répétons-le : CloudKit n’est pas une version revue, corrigée et renommée de Documents dans le nuage. C’est un changement complet de logique.
Prenez Messages, par exemple. Jusqu’ici, les pièces jointes étaient transférées depuis le nuage sur les appareils où elles étaient stockées à demeure. Désormais, elles sont stockées dans le nuage, duquel elles disparaissent au bout de quelques jours pour libérer de l’espace. Il faut explicitement appuyer sur un bouton Garder pour les faire « descendre » du nuage et les stocker en local.
Flux de photos était gouverné par des règles complexes que personne ne comprenait vraiment, des règles gouvernées par l’espace de stockage limité de nos appareils. iCloud Photo Library s’en affranchit en exploitant le stockage infini du nuage. Ou du moins « presque infini », puisque même si Apple ne proposait pas de quotas, elle ne stockerait « que » dix milliards de photos par personne. Toutes ces photos peuvent être consultées depuis le moins cher des iPhone : les originaux sont dans le nuage.
Cette logique ne s’applique pas uniquement aux appareils iOS limités par leur stockage flash, elle s’applique aussi aux Mac qui peuvent embarquer des disques de plusieurs To et se connecter à des systèmes de stockage de plusieurs Po. La démonstration d’une application Photos pour OS X, qui pourrait faire la peau à iPhoto à sa sortie en 2015, est de ce point de vue révélatrice : le Mac est placé au même niveau que l’iPhone et l’iPad, qui communiquent avec lui en égal, gouvernés qu’ils sont tous par le nuage.
Au passage, Apple devient fournisseur d’identité, s'inscrivant en faux à tous ces développeurs qui ne cessent de réinventer la roue (souvent à raison) en obligeant les utilisateurs à créer de multiples comptes pour stocker leurs données dans de multiples nuages. Toutes les applications CloudKit puisent dans une même réserve dont l’accès est contrôlé par un Apple ID.
CloudKit efface la frontière entre matérialisé et dématérialisé, local et distant, disque dur et nuage cotonneux, et même numérique et digital puisque l'on peut associer un Apple ID à Touch ID. Apple va même plus loin en appliquant cette logique à des fonctions comme Continuity, HealthKit ou HomeKit : les appareils communiquent entre eux pour former un réseau maillé, un nuage local qui fait écho au nuage central.
Qu’ils semblent stupides, ces PowerBook Duo, Palm Foleo et autres Asus PadFone, qui essayent de tout faire et ne font rien bien. L’iPhone, l’iPad et le Mac peuvent pleinement s’exprimer sans renier leur individualité ; mais unis par le nuage, ils peuvent aussi s’emprunter des fonctions quand il le faut, de la même manière que les Extensions permettent à une application d’exploiter les fonctions d’une autre application quand le besoin s’en fait sentir. Le nuage est là l’acteur d’une symbiose, un facilitateur, et non plus un simple porte-documents passif.
C’est un grand mouvement de l’informatique, initié par Sun il y a plus de quinze ans, mais Apple vient de prendre une direction très intéressante. Sa vision est plus cohérente que celle de Microsoft, qui a pris le chemin de l’unification esthétique plutôt que celui de l’unification fonctionnelle et peine aujourd’hui à créer des produits clairement identifiés et clairement identifiables. À court terme, elle est aussi plus simple et immédiate que celle de Google — mais à long terme, la bataille entre les deux sociétés promet d’être passionnante : Apple met les fichiers dans le nuage et laisse aux appareils le soin de les exploiter ; Google met tout dans le nuage et fait des appareils de simples terminaux d’accès.