20 décembre 1996 : par deux images successives sur la page d'accueil de son site, NeXT annonce son acquisition par Apple. Plus qu'un simple achat, il s'agit en fait d'une fusion : quinze ans plus tard, on peut dire que c'est NeXT qui a absorbé Apple, et non le contraire.
Présenté en 1991, le Système 7 a quasiment traversé la décennie, devenant symptomatique de la maladie frappant Apple. L'année 1995, notamment, est une charnière : Apple licencie son système à d'autres fabricants, autorisant l'apparition de clones plus puissants et moins chers que les Mac ; le Système 7.5.2 inaugure quant à lui une période d'instabilité logicielle qui durera deux ans (lire : Apple, Jobs : John Sculley à cœur ouvert). À l'époque, Apple travaille sur un tout nouveau système, nom de code Copland.
Alors que les PDG se succèdent à la tête d'Apple, Copland se révèle être un véritable échec. Alors que Gil Amelio avait promis de présenter le futur du logiciel d'Apple en janvier 1997, le projet Copland atteint une impasse à l'été 1996 : non content d'avoir ralenti le développement des mises à jour du Système 7, il n'est jamais parvenu à maturité, se révélant particulièrement instable et prenant très mal en compte Internet. Apple se met alors en quête d'une solution externe.
La firme de Cupertino envisage plusieurs solutions : Jean-Louis Gassée, fondateur d'Apple France et directeur de la division recherche et développement d'Apple jusqu'à sa démission en 1990, propose son système, BeOS. Cette option est très sérieusement considérée : Gassée bénéficie encore d'une excellente image auprès des employés d'Apple, et son OS est séduisant. Alors qu'Apple doit parvenir au plus vite à un accord, il fait cependant l'erreur de faire traîner les discussions : Sun Solaris ou même Windows NT sont alors étudiés de près, le premier par Ellen Hancock (ancienne d'IBM, directeur de la R&D d'Apple ayant mis fin à Copland), le deuxième par Marco Landi (no. 2 d'Apple).
À la veille de Thanksgiving, Steve Jobs appelle Gil Amelio : il ne vient pas lui proposer NeXT, mais seulement lui déconseiller BeOS. Quelques jours plus tard, pourtant, des ingénieurs d'Apple rencontrent ceux de NeXT : si l'autre société de Steve Jobs est un échec commercial, son système, renommé OPENSTEP, est élégant et mûr. Même si Ellen Hancock défend bec et ongles Solaris (NeXT et Sun ayant collaboré à une version des outils d'OPENSTEP tournant sur Solaris), le scénario de l'adoption du noyau d'OPENSTEP commence à faire son chemin. Steve Jobs retourne pour la première fois dans les bureaux d'Apple le 2 décembre 1995, Avie Tevanian faisant une démonstration du système de NeXT.
À peine une semaine plus tard, le conseil d'administration d'Apple, visiblement convaincu, convoque NeXT et Be à des discussions croisées. Le champ de distorsion de la réalité de Steve Jobs fonctionne : Apple achète NeXT pour 429 millions de dollars, deux fois plus que ce que demandait Jean-Louis Gassée pour Be (lire : Jean-Louis Gassée : « Dieu merci, Apple n'a pas acheté BeOS »). L'accord est annoncé le 20 décembre, et la fusion sera effective le 4 février 1997. Steve Jobs, qui n'avait conservé qu'une seule action Apple, en reçoit 1,5 million de plus et 100 millions de dollars en cash.
« Le prochain chapitre de l'histoire d'Apple commence aujourd'hui », déclare alors Gil Amelio. il avait entièrement raison, mais l'histoire s'est finalement écrite sans lui : six mois plus tard, le « conseiller spécial » Steve Jobs le débarque, et devient PDG intérimaire. Le conseil d'administration est alors peuplé de ses amis, et les principaux postes sont occupés par des anciens de NeXT, les cadres d'Apple des années 1990 étant relégués à des fonctions accessoires. Plusieurs d'entre eux quittent la société, et il en faut de peu pour que Steve Jobs rate Jon Ive, le directeur du design d'Apple ayant notamment travaillé sur le PowerBook et le Newton. La recherche d'un nouveau PDG échouant, Steve Jobs conserve le poste ; il le gardera jusqu'en août 2011, quelques mois avant sa mort.
Quinze ans plus tôt, il déclarait : « une grande partie de l'industrie a vécu sur le dos du Macintosh depuis maintenant plus de dix ans, en copiant peu à peu l'interface révolutionnaire du Mac. Maintenant le temps est venu pour de nouvelles innovations, et qui mieux qu'Apple pour les faire naître ? Qui d'autre a constamment mené cette industrie, d'abord avec l'Apple II, puis le Macintosh et la LaserWriter ? Avec cette fusion, le logiciel de pointe de NeXT sera marié avec la plateforme matérielle populaire d'Apple et ses capacités marketing pour créer une autre percée, dépasser les plateformes existantes, et donner de quoi faire à Apple et ses copieurs pour les dix prochaines années et au-delà. J'ai encore des sentiments très profonds pour Apple, et cela me procure une grande joie de jouer un rôle dans la réalisation de son futur. » Difficile de dire qu'il avait tort : ces dix dernières années, Apple a donné le la dans l'industrie. OPENSTEP a servi de base à OS X (y compris dans sa version Intel) et plus encore à iOS (lire : Le futur du Mac : un sac d'OS ?), deux piliers du renouveau de la société.
En achetant NeXT, Apple n'a pas échappé à sa destinée : cette société fondée en 1977 n'est plus. L'Apple d'aujourd'hui est une sorte de NeXT 2.0, et c'est paradoxalement maintenant que Steve Jobs n'est plus là que l'héritage des années 1980 et 1990 a été tout à fait liquidé. Il aura fallu 15 ans pour le faire, 15 ans de métamorphose d'Apple où elle est passée du statut de société exsangue à celui de colosse incontournable.
Présenté en 1991, le Système 7 a quasiment traversé la décennie, devenant symptomatique de la maladie frappant Apple. L'année 1995, notamment, est une charnière : Apple licencie son système à d'autres fabricants, autorisant l'apparition de clones plus puissants et moins chers que les Mac ; le Système 7.5.2 inaugure quant à lui une période d'instabilité logicielle qui durera deux ans (lire : Apple, Jobs : John Sculley à cœur ouvert). À l'époque, Apple travaille sur un tout nouveau système, nom de code Copland.
Le Système 7.5.3 (source)
Alors que les PDG se succèdent à la tête d'Apple, Copland se révèle être un véritable échec. Alors que Gil Amelio avait promis de présenter le futur du logiciel d'Apple en janvier 1997, le projet Copland atteint une impasse à l'été 1996 : non content d'avoir ralenti le développement des mises à jour du Système 7, il n'est jamais parvenu à maturité, se révélant particulièrement instable et prenant très mal en compte Internet. Apple se met alors en quête d'une solution externe.
La firme de Cupertino envisage plusieurs solutions : Jean-Louis Gassée, fondateur d'Apple France et directeur de la division recherche et développement d'Apple jusqu'à sa démission en 1990, propose son système, BeOS. Cette option est très sérieusement considérée : Gassée bénéficie encore d'une excellente image auprès des employés d'Apple, et son OS est séduisant. Alors qu'Apple doit parvenir au plus vite à un accord, il fait cependant l'erreur de faire traîner les discussions : Sun Solaris ou même Windows NT sont alors étudiés de près, le premier par Ellen Hancock (ancienne d'IBM, directeur de la R&D d'Apple ayant mis fin à Copland), le deuxième par Marco Landi (no. 2 d'Apple).
BeOS en 2000 (source)
À la veille de Thanksgiving, Steve Jobs appelle Gil Amelio : il ne vient pas lui proposer NeXT, mais seulement lui déconseiller BeOS. Quelques jours plus tard, pourtant, des ingénieurs d'Apple rencontrent ceux de NeXT : si l'autre société de Steve Jobs est un échec commercial, son système, renommé OPENSTEP, est élégant et mûr. Même si Ellen Hancock défend bec et ongles Solaris (NeXT et Sun ayant collaboré à une version des outils d'OPENSTEP tournant sur Solaris), le scénario de l'adoption du noyau d'OPENSTEP commence à faire son chemin. Steve Jobs retourne pour la première fois dans les bureaux d'Apple le 2 décembre 1995, Avie Tevanian faisant une démonstration du système de NeXT.
OPENSTEP à la veille de l'acquisition par Apple (source)
À peine une semaine plus tard, le conseil d'administration d'Apple, visiblement convaincu, convoque NeXT et Be à des discussions croisées. Le champ de distorsion de la réalité de Steve Jobs fonctionne : Apple achète NeXT pour 429 millions de dollars, deux fois plus que ce que demandait Jean-Louis Gassée pour Be (lire : Jean-Louis Gassée : « Dieu merci, Apple n'a pas acheté BeOS »). L'accord est annoncé le 20 décembre, et la fusion sera effective le 4 février 1997. Steve Jobs, qui n'avait conservé qu'une seule action Apple, en reçoit 1,5 million de plus et 100 millions de dollars en cash.
Gil Amelio et Steve Jobs
« Le prochain chapitre de l'histoire d'Apple commence aujourd'hui », déclare alors Gil Amelio. il avait entièrement raison, mais l'histoire s'est finalement écrite sans lui : six mois plus tard, le « conseiller spécial » Steve Jobs le débarque, et devient PDG intérimaire. Le conseil d'administration est alors peuplé de ses amis, et les principaux postes sont occupés par des anciens de NeXT, les cadres d'Apple des années 1990 étant relégués à des fonctions accessoires. Plusieurs d'entre eux quittent la société, et il en faut de peu pour que Steve Jobs rate Jon Ive, le directeur du design d'Apple ayant notamment travaillé sur le PowerBook et le Newton. La recherche d'un nouveau PDG échouant, Steve Jobs conserve le poste ; il le gardera jusqu'en août 2011, quelques mois avant sa mort.
Mac OS X DP conservait encore le thème Platinum : bases d'OPENSTEP, interface de Mac OS modifiée, tel était le compromis. Le Dock n'avait par exemple pas été extrait d'OPENSTEP. (source)
Quinze ans plus tôt, il déclarait : « une grande partie de l'industrie a vécu sur le dos du Macintosh depuis maintenant plus de dix ans, en copiant peu à peu l'interface révolutionnaire du Mac. Maintenant le temps est venu pour de nouvelles innovations, et qui mieux qu'Apple pour les faire naître ? Qui d'autre a constamment mené cette industrie, d'abord avec l'Apple II, puis le Macintosh et la LaserWriter ? Avec cette fusion, le logiciel de pointe de NeXT sera marié avec la plateforme matérielle populaire d'Apple et ses capacités marketing pour créer une autre percée, dépasser les plateformes existantes, et donner de quoi faire à Apple et ses copieurs pour les dix prochaines années et au-delà. J'ai encore des sentiments très profonds pour Apple, et cela me procure une grande joie de jouer un rôle dans la réalisation de son futur. » Difficile de dire qu'il avait tort : ces dix dernières années, Apple a donné le la dans l'industrie. OPENSTEP a servi de base à OS X (y compris dans sa version Intel) et plus encore à iOS (lire : Le futur du Mac : un sac d'OS ?), deux piliers du renouveau de la société.
Mac OS X Public Beta, 2000 (source)
En achetant NeXT, Apple n'a pas échappé à sa destinée : cette société fondée en 1977 n'est plus. L'Apple d'aujourd'hui est une sorte de NeXT 2.0, et c'est paradoxalement maintenant que Steve Jobs n'est plus là que l'héritage des années 1980 et 1990 a été tout à fait liquidé. Il aura fallu 15 ans pour le faire, 15 ans de métamorphose d'Apple où elle est passée du statut de société exsangue à celui de colosse incontournable.