Apple a publié le document qui servira de base à l’audition de Tim Cook devant le comité d’enquête du Sénat américain qui aura lieu demain. En 17 pages, le CEO, le directeur financier et le directeur fiscal d’Apple détaillent par le menu la politique fiscale de la société.
Apple, qui se présente comme « une success story américaine », tient à démontrer que sa politique fiscale est juste et honnête — bref, qu’elle ne cherche pas à « éviter » l’impôt par des pratiques d’optimisation fiscale. Elle se défend ainsi en expliquant :
- qu’elle a participé à la création de 600 000 emplois aux États-Unis (50 000 employés Apple, 290 000 emplois dans l’« App Economy », et 260 000 emplois chez ses fournisseurs et partenaires) ;
- qu’elle paye un « montant faramineux » d’impôts aux États-Unis (un quarantième du montant total de l’impôt américain sur les sociétés est versé par Apple) ;
- qu’elle n’utilise pas de « montages » destinés à l’optimisation fiscale (versements à des filiales de royalties sur de la propriété industrielle ou comptes dans des banques domiciliées dans des paradis fiscaux) ;
- qu’elle ne rapatrie pas ses fonds à l’étranger dans l’intérêt de ses actionnaires (elle préfère les réinvestir à l’étranger plutôt que les rapatrier et en perdre 35 % en impôts) ;
- que les différents arrangements financiers avec ses filiales à l’étranger (notamment ses filiales irlandaises) respectent parfaitement la législation américaine.
Ces réponses ne résistent toutefois pas à une analyse plus poussée : le fait qu’Apple ait versé neuf milliards de dollars aux développeurs ou qu’elle paye six milliards de dollars d’impôts ne répond en rien aux préoccupations du législateur américain. Pire, la firme de Cupertino essaye de détourner l’attention sur des points beaucoup plus problématiques.
Apple ne possède a priori pas de « compte aux Îles Caïman », mais elle optimise bien sa fiscalité… sur le sol américain. En 2012, Apple a été imposée à hauteur de 25,2 %, un chiffre bien en deçà du taux de 35 % qui est la règle : elle économise plusieurs milliards de dollars d’impôts par an en reversant une partie du produit de ses ventes à une filiale domiciliée dans le Nevada, un état à la fiscalité avantageuse. Elle économise aussi en ne rapatriant pas ses bénéfices réalisés à l’international, préférant s’endetter à des taux très faibles pour financer ses opérations boursières.
Les installations irlandaises d’Apple ne sont certes pas fictives, mais elles servent aussi de base à des montages financiers, contrairement à ce qu’elle affirme. Apple Operations International et Apple Sales International servent aussi à transférer des brevets depuis la Californie : certains bénéfices d’Apple sont ainsi envoyés en Irlande où ils sont taxés à 12,5 % plutôt qu’à 35 %. Et ces filiales sont en partie contrôlées par Baldwin Holdings, une société domiciliée dans les Îles Vierges britanniques, un paradis fiscal.
Dans cette déclaration, Apple ne ment jamais, ou du moins pas autrement que par omission. Elle participe certes amplement à l'économie américaine, mais elle est bien moins vertueuse qu'elle ne le prétend : elle respecte sans doute la lettre de la loi, mais pas son esprit. À la tête d’un réseau de près de 400 sociétés imbriquées, Apple est au final imposée à moins de 5 % à l’échelle mondiale — comme tous ses concurrents, elle évite l’impôt partout où elle le peut (lire : Le secret de polichinelle de l’optimisation fiscale d’Apple).
Comme Google ou Microsoft, la firme de Cupertino appelle à une remise à plat de l’impôt américain sur les sociétés. Comme un aveu de ses travers, elle demande la baisse du taux d’imposition sur les bénéfices pour ne pas encourager l’optimisation fiscale et une baisse drastique du taux d’imposition sur les bénéfices réalisés à l’étranger pour favoriser le rapatriement des fonds. Mais elle préconise aussi la suppression de toutes les niches fiscales afin que le montant total perçu par le fisc américain reste stable.