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Interview : les logiciels Mac et leur distribution

Christophe Laporte

mercredi 27 août 2008 à 10:26 • 9

AAPL

Lorsqu'un utilisateur se pose la question de passer sur Mac, la question logicielle est souvent évoquée. Certaines idées reçues sont tenaces, comme celle selon laquelle un Mac est incapable de lire un fichier Word. Mais plus généralement, beaucoup pensent que la logithèque sur notre plate-forme est très réduite. Certes, elle n'est pas parfaite, mais dans bien des domaines, ce n'est pas le choix qui manque.

A ce titre la question de la distribution joue un rôle clé. Savoir qu'un logiciel susceptible de répondre à ses besoins existe, c'est une chose, encore faut-il le trouver. Et sur ce plan en France, il y a de nombreux progrès à faire. Pierre Groleau a créé voilà deux ans Application Systems dont la vocation est justement de rendre plus accessible les logiciels Mac dans l'hexagone, notamment auprès du grand public.

Dans cet entretien, il est question bien sûr de la distribution des logiciels Mac, mais également des Apple Stores, de l'App Store, ainsi que des différences de prix constatés entre l'Europe et les États-Unis.


Pourquoi avoir créé Application Systems en France ?


On a démarré Application Systems Paris (ASP) en octobre 2006 en tant que distributeur de jeux et d’applications principalement pour Mac. Depuis plusieurs années, notre société sœur (Application Systems Heidelberg - ASH – Allemagne) était sollicitée par plusieurs éditeurs pour créer son équivalent en France. Le constat était simple. Chaque année, le marché français reculait par rapport à l’Allemagne et l’Angleterre.

De plus, les multiples changements concernant l’un des principaux distributeurs en France inquiétaient ces éditeurs. Nous avons donc crée ASP afin de satisfaire plusieurs éditeurs et de combler un manque sur le marché français.


À quoi s'apparente le métier de distributeur ?


Nous sommes distributeurs à valeur ajoutée. On est en mesure d’assurer une distribution « classique » mais nous pouvons aller beaucoup plus loin. Nous apportons à de nombreux éditeurs une solution clef en main : traduction/localisation, test, production (boîtes, CD), logistique européenne, commercialisation. Par l’intermédiaire de ASH nous avons l’expérience de plus de 200 localisations en Français et autant en Allemand. Nous distribuons les produits des éditeurs qui nous font confiance en France, Belgique, Suisse et Québec.


Où en êtes-vous dans votre développement ?


La première année était en demi-teinte. C'était lié au démarrage de l’activité sur une période (Noël) où les revendeurs sont absorbés par les ventes de fin d'année plutôt que sur l’ouverture de comptes. Nous sommes réellement passés à la vitesse supérieure à partir d’avril 2007.

Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de consolidation de notre activité et de notre réseau. Nous travaillons avec les principaux de revendeurs en ligne du marché, avec Apple, avec de nombreux revendeurs Apple (APR) et bien entendu avec la FNAC. Nous proposons aux revendeurs un système innovant dans ce secteur, celui du dépôt-vente. Il leur permet, à moindre risque, de disposer en magasin d’un nombre important de jeux et d'applications et donc de générer des ventes par la présence même d’un choix en magasin.

On continue à consolider notre offre de produits, on a maintenant un catalogue de plus de 200 produits (sans compter les versions électroniques) ce qui en fait l'un des plus complets en France. Et nous allons renforcer l’équipe d’ici à la fin de l’année.


Quels sont vos objectifs ?


On souhaite devenir un acteur incontournable de la distribution des jeux et des applications Mac en France. Nous avons déjà pris une place non négligeable dans le domaine des jeux en distribuant les principaux éditeurs (Aspyr, MacSoft, Freeverse, Feral, Runesoft) dont la plupart en exclusivité et nous continuons à nous renfoncer sur les applications.


Comment se porte le marché de la distribution Mac en France ?


Si je me réfère à notre activité en très forte croissance, je dirais que le marché se porte bien. Mais il faut relativiser. À ce jour, le marché français reste en dessous de son potentiel de diffusion. Il devrait être supérieur au marché allemand et ce n’est pas toujours le cas selon les produits. Il reste encore beaucoup de travail pour convaincre les revendeurs à être plus actifs en terme de ventes de logiciels. Ils sont parfois un peu frileux et craignent les invendus.

Il faut également être plus présents en communication afin que l’utilisateur final se rende compte des produits disponibles. On entend encore trop souvent « le Mac c’est bien, mais il n’y a pas de jeux ou d’applications ».


Est-ce que l'arrivée des Apple Store pourrait avoir une conséquence sur votre activité ?


Si l’on se réfère au marché anglais, la présence de nombreux magasins Apple Store (17 aujourd’hui) a boosté le marché. En tant que fournisseur de ces enseignes, j’envisage plutôt des conséquences positives par rapport à l’ouverture d’Apple Store en France et Suisse, mais il faudra en discuter à nouveau quand ce sera fait.

En revanche, les conséquences risquent d’être importantes au niveau des revendeurs. Ceux qui ne seront pas réactifs et créatifs risquent d’être en difficulté. Nous pensons que le logiciel est une des façons d’être créatifs. Si le revendeur est en mesure d’offrir un vrai conseil et un vrai choix de logiciels à l’utilisateur final, il est probable que celui-ci reviendra plus volontiers faire ses achats chez son revendeur.


Comment vous y prenez-vous pour sélectionner les produits que vous distribuez ?


Nous sommes en permanence à la recherche de nouveaux produits. Les vingt ans d’expérience de mes collègues allemands, nos contacts multiples et la veille technologique permanente que nous effectuons nous permettent de contacter les éditeurs en amont afin d’attirer leur attention sur les marchés que nous couvrons. De plus, en démarrant très tôt nous sommes en mesure de commercialiser le produit presque en même temps que son équivalent anglais.

Pourquoi misez-vous tant sur les jeux ?


C’est le marché qui veut cela. Aujourd’hui, il y a des jeux incontournables (Les Sims, Call of Duty, Tomb Raider, Age of Empires, Heroes of Might and Magic, …) Les éditeurs de ces jeux nous font confiance pour distribuer leurs produits en version française, parfois en exclusivité. Le marché du jeu est relativement concentré. En à peine 18 mois, nous avons pu prendre la place de numéro 1 en France sur ce marché. C’est plus un constat qu’un choix initial, mais nous comptons bien maintenir et conforter notre position.


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Pour ce qui des applications, le marché est beaucoup plus diffus. En dehors des produits Apple, Microsoft et Adobe, il existe des centaines d’éditeurs avec chacun quelques (voire un seul) logiciels. De plus, certains éditeurs commercialisent directement en téléchargement leurs titres, ce qui est moins le cas des jeux. Il existe également plusieurs autres distributeurs d’applications en France. Nous sommes donc face à un marché éclaté dans lequel il est plus difficile de faire la différence.


Quelles sont les attentes des éditeurs US lorsque vous les approchez ?


Il y a deux cas de figure. Le « petit » éditeur recherche une solution clef en main. Il n’a pas forcément le temps ni les moyens de localiser ses produits, il ne connaît pas bien le marché européen et nous lui apportons un complément de revenus par rapport à son marché US principal. Pour l’éditeur plus important, nous apportons notre réseau et notre expérience. Dans tous les cas ils attendent une connaissance du marché et un conseil « local ». Nous devons les éclairer sur de nombreux points. Les restrictions pour certains jeux, classement PEGI (ndr : âge minimum), la TVA, les obligations légales…


Comment perçoivent-ils le marché européen et français plus précisément ?


Ils identifient un potentiel, mais ne savent pas toujours comment l’aborder. Certains sont persuadés que le marché anglais leur donnera accès au reste de l’Europe ce qui est une erreur. Les Anglais ne disent-ils pas « Demain, je vais en Europe… ? »

En général, il y a une certaine appréhension par rapport au marché français. Tout d'abord, la langue pose problème. Ensuite la réputation française (à tord ou à raison) n’apporte pas que des a priori favorables. Ayant personnellement vécu 4 ans aux USA, je pense qu’ASP est en mesure d’apporter un conseil éclairé aux éditeurs étrangers (pas seulement US) et les aider à se développer à leur rythme en Europe.

Par exemple, nous (ASH) avons accompagné Aspyr à ses débuts en Europe en les aidant à la localisation en Français et Allemand et en faisant office de plate-forme logistique européenne pendant un certain temps. Aujourd’hui, Aspyr a sa propre structure en Europe, il localise ses produits, et fait appel à nous dans un rôle de distributeur plus classique. Mais il nous fait confiance parce que nous les avons accompagnés depuis de nombreuses années.


Est-ce que finalement la distribution classique a de l'avenir ? Ne va-t-on pas vers du 100% Internet à terme ?


Tout est possible. La distribution Internet est un risque pour nous, c’est clair. De nombreux éditeurs vendent en ligne directement et font tout de même appel à nous pour la distribution dans le réseau. Cette évolution est inéluctable.

Toutefois, nous pouvons aussi intervenir dans ce domaine. Il est toujours préférable d’offrir un service local aussi bien commercial que technique. De nombreux acheteurs ne souhaitent pas forcément acheter sur un site US inconnu et en dollars. À nous d’être créatifs pour apporter une valeur ajoutée intéressante pour les éditeurs.

Enfin, je pense que le risque du 100% internet est plus proche de nous pour les applications que pour les jeux. Même avec une augmentation très rapide des débits de téléchargement, certains titres demandent plusieurs heures de téléchargement à haut débit ce qui est (encore) difficile. Par exemple, X-Plane 9 (simulateur de vol) contient 6 DVD double couche et plus de 60 Go de données !






Avec l'App Store, Apple se mue en distributeur. Est-ce que cela vous surprend ?


Apple a choisi depuis quelques années un modèle de vente directe avec ses propres magasins. Cette tendance se confirme sur de nouveaux pays avec l'Angleterre et ses nombreux Apple Store ainsi qu'avec l'ouverture prochaine d'espaces en Suisse, en Allemagne et en France.

Il n'est donc pas très surprenant qu'Apple cherche à appliquer ce principe sur l'ensemble de sa gamme. C'est d'autant plus facile pour des produits dématérialisés et souvent à coût faible. J'aurais préféré que des acteurs de distribution puissent entrer en jeu, mais Apple ne nous a pas particulièrement sollicité pour prendre sa décision :-) .


Certains évoquent la possibilité qu'Apple étende son App Store aux logiciels Mac. Est-ce que cela vous fait peur ?


C'est une possibilité. Je pense tout de même qu'il faudra une certaine évolution technique (volume de certains logiciels ou données) et une évolution des habitudes des utilisateurs. Avec la période de Noël qui arrive, je pense que les ventes se feront sur des produits physiques plutôt que sur l'App Store.

Ceci étant, avec la forte progression d'Apple sur le marché, il semble probable que la distribution perdure. Il n'y a qu'à prendre l'exemple de Dell qui après des années de distribution en ligne s'est "diversifié" avec des réseaux de distribution. De même, l'Apple Store en ligne n'a pas arrêté le développement des APR.

Comment expliquez-vous les énormes écarts de prix entre les États-Unis et l'Europe ?


Vaste problème. Aujourd’hui, les deux facteurs principaux de divergence sont le taux $/€ et la TVA.

En deux ans l’Euro est passé à $1,25 à $1,60 soit une différence d’environ 30%. Dans la majorité des cas, nous achetons les produits aux éditeurs en Euros. Donc la baisse du taux du $ ne nous permet pas de baisser le prix en Euro. Précisons d’ailleurs que le prix public conseillé en Euros est souvent décidé par l’éditeur et non par le distributeur.

Dans le même temps, nous sommes dans l’obligation de facturer la TVA à 19,6%… et les Américains aussi. Dans le cas d’un produit dématérialisé, les éditeurs non européens devraient facturer la TVA à l’utilisateur final lors de l’achat (comme le fait le distributeur en ligne Kagi par exemple), mais la majorité des éditeurs ne le font pas.

Enfin, il faut également tenir compte de certains frais incompressibles. La production de CD/DVD. Lorsque les Américains ont un marché de 300 millions d’individus, le marché francophone ne compte « que » 80 millions de personnes environ, d’où des économies d’échelle pour le produit US.

Nous devons également assurer un support en français. Il est d’ailleurs intéressant de voir certains utilisateurs finaux acheter le produit aux USA puis se tourner vers nous pour obtenir un support en français. Enfin, il faut également tenir compte des frais de traduction/localisation des produits, enregistrement des PEGI, etc.

En conclusion, la différence de prix est liée à de nombreux facteurs. Nous essayons, dans la mesure du possible de la minimiser, mais nous n’avons pas toujours une grosse marge de manœuvre pour le faire.


De tels arguments sont parfaitement valables pour des logiciels ou des produits à "faible" tirage ou qui s'adressent à des niches… Mais sont-ils toujours aussi pertinents et valables quand on parle de produits fabriqués à grande échelle ? Si on peut comprendre vos arguments pour un logiciel Mac, sont-ils toujours aussi vrais pour un logiciel comme Office, ou des produits comme l'iPod ? Et ce, même lorsque l'on prend compte le facteur de la TVA.


Même pour des produits à grand tirage, il existe des différences. Par exemple, les USA représentent un marché quasi uniforme d'environ 300 millions d'habitants alors que l'Europe compte de nombreuses nations, langues, diversités qu'il est nécessaire d'adresser aussi bien en ce qui concerne les produits (packaging, localisation, stocks...) que la commercialisation (distribution, accord, contrats...) que le marketing.

Il existe donc une différence réelle même si elle est souvent amplifiée par les problèmes de taux et de TVA.

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