Le New York Times a publié un long article sur Tesla et le quotidien rapporte une situation inquiétante pour les initiatives en matière de conduite autonome du constructeur. Les deux journalistes ont interrogé 19 employés qui ont travaillé sur l’Autopilot et les conclusions publiées dans leur article accusent Elon Musk. Selon eux, le CEO aurait imposé une ligne directrice sans tenir compte de l’avis de ses équipes, ce qui expliquerait à la fois les retards apparents et surtout les limites de la conduite autonome chez Tesla.
Dès le départ, l’équipe dirigeante menée par Elon Musk aurait imposé le choix du nom « Autopilot » pour évoquer les fonctions d’assistance à la conduite qui ont commencé à être développées il y a sept ans de cela. Et si les premières versions reposaient sur de multiples capteurs, dont un voire plusieurs radars sur certains prototypes, Elon Musk aurait immédiatement eu cette idée d’une conduite entièrement autonome, de porte à porte, et basée uniquement sur des caméras.
C’est le pari de la vision, que l’on peut résumer suivant Elon Musk ainsi : l’humain parvient à conduire avec deux yeux et un cerveau, la voiture devrait pouvoir le faire de la même manière. Ce pari s’oppose à la majorité de l’industrie, qui parie sur les radars et même les LiDAR, des appareils basés sur des lasers qui excellent à mesurer les distances, pour assister les caméras. Tesla est seul sur une voie technique où des caméras sont exclusivement utilisées, à tel point que le constructeur a retiré depuis mai le radar à l’avant de ses voitures aux États-Unis.
Tesla mise tout sur les caméras pour sa conduite autonome
Tesla fait chauffer ses neurones pour sa vision à long terme
Elon Musk n’était pas seul dans ce pari de la vision, relève quand même le New York Times, dont les sources soulignent qu’une partie de l’équipe soutenait son projet de tout baser sur des caméras. Mais ce qui ressort de l’article, c’est que le CEO voulait toujours avancer rapidement et promettait systématiquement plus que ce que les voitures pouvaient réellement accomplir. Dès la fin de l’année 2015, il annonçait publiquement que les Tesla pourraient conduire toutes seules d’ici deux ans et mi-2016, un mois à peine après le premier accident mortel impliquant l’Autopilot, il jugeait que c’était un « problème en gros réglé » et soutenait que les voitures conduiraient de façon plus sûre que les humains.
En parallèle de ces déclarations, la réalité est toute autre. Ce premier accident met la lumière sur un défaut de l’Autopilot : basé en priorité sur les caméras, il n’a pas distingué le ciel blanc d’un camion placé au travers de la route et la Model S a foncé sous le véhicule sans s’arrêter. En réaction, le radar a pris la première place à la faveur d’une mise à jour et c’est lui qui a la priorité sur les caméras. Selon le quotidien, Tesla aurait alors tout misé sur les radars, avec une équipe dédiée à la création d’un radar maison, le constructeur préférant toujours créer ses propres pièces.
Cette équipe a travaillé pendant près d’un an et demi, avant d’être dissoute selon le New York Times. Son responsable aurait quitté Tesla suite à un différend sur la direction technique à prendre et le radar aurait été à nouveau relégué au rang d’outil secondaire et jugé perfectible. Son retrait semble désormais décidé au sein de l’entreprise, même s’il faut noter que plusieurs mois après son retrait en Amérique du Nord, il reste installé dans le reste du monde.
Pour autant, le décalage entre les promesses d’Elon Musk et la réalité ne semble pas se réduire au fil des années. Le New York Times accuse même Tesla d’avoir menti sur la vidéo censée présenter la conduite entièrement autonome publiée à l’automne 2016 pour présenter l’Autopilot 2.0 que l’on connaît encore aujourd’hui. Cette vidéo devait présenter ce qui est actuellement le FSD en bêta publique outre-Atlantique, mais elle n’était pas représentative du logiciel tel qu’il fonctionnait à l’époque, selon le quotidien.
Pour que la Model X utilisée dans la vidéo puisse suivre le parcours du garage de son propriétaire jusqu’au parking de Tesla où il travaille, il a fallu en amont créer une carte précise en trois dimensions de l’itinéraire, croient savoir les journalistes. Pire, un accident sur un terrain privé appartenant à Tesla aurait eu lieu pendant le tournage et il aurait fallu réparer le prototype, ce que l’on ne voit évidemment pas dans la vidéo finale.
Certes, c’est de la publicité, mais Tesla avait insisté pour présenter cette démonstration comme la preuve de ses avancées. D’ailleurs, Elon Musk promettait en même temps la traversée des États-Unis, de la côte ouest à la côte est, par une Tesla en conduite autonome pour l’année suivante, fin 2017. À l’époque, la promesse par le CEO d’une conduite entièrement autonome imminente aurait pris plusieurs ingénieurs dans l’équipe par surprise, selon le New York Times. Le responsable du projet en personne aurait demandé à ne pas utiliser le terme « conduite autonome », car cela aurait trompé le public.
Un conseil qui a été ignoré et qui l’est toujours. Même si le site web de Tesla et plus encore les manuels de ses voitures insistent bien sur les limites de ce qui reste un système d’assistance à la conduite, l’Autopilot est toujours présenté aujourd’hui comme un mécanisme de conduite entièrement autonome. Elon Musk continue de faire de folles promesses, même s’il est bien obligé de le reconnaître face aux autorités et des mois après le retrait du radar sur les Model 3 et Model Y américaines, les conducteurs se plaignent toujours de fonctions dégradées par rapport aux anciennes voitures équipées de l’appareil.
Est-ce que le pari de la vision sera payant ? Le New York Times cite deux avis opposés sur la question pour une bonne raison : c’est toujours un pari et on ne sait pas encore si Tesla peut le mener à bien ou si ce sera un échec. Quoi qu’il en soit, Elon Musk a manifestement pesé de tout son poids pour imposer cette idée et accélérer les développements de l’Autopilot.