Depuis quelques années, les cœurs basse consommation prennent de plus en plus d'importance dans les processeurs rapides. Si les premières implémentations datent du début des années 2010 avec les Cortex A7 et le big.LITTLE, Apple, Intel et AMD ont suivi nettement plus tard. Et AMD est le troisième larron à en proposer, avec un choix assez atypique.
Nous en avons parlé dans notre récent dossier sur les processeurs, les cœurs basse consommation sont importants. L'idée, dans la majorité des cas, est de proposer des cœurs qui consomment peu pour les tâches de base (en simplifiant, votre smartphone qui va récupérer des e-mails en arrière-plan) mais qui — surtout — sont beaucoup plus compacts physiquement. Chez tous les fabricants, le but premier est que les cœurs en question nécessitent moins de transistors, pour arriver à en caser plus dans une puce.
La course à la puissance CPU (3/3) : la réussite éclatante d’Apple
Ensuite, les voies se séparent en fonction des constructeurs. Apple intègre des cœurs de ce type depuis l'A10 Fusion (2016) pour accompagner les cœurs performants. L'architecture dérive selon plusieurs sources de l'A6 (qui était un cœur performant à son époque) et Apple améliore l'architecture de façon régulière (c'est le cas avec les M3) et les emploie seul dans certains appareils, comme dans les montres. Les cœurs basse consommation d'Apple ont l'avantage d'être très performants tout en consommant très peu, avec une architecture complexe.
Arm, qui propose des cœurs de ce type depuis 2011, a choisi un autre voie : les cœurs sont volontairement très simples, ce qui amène des performances assez faibles. Mais ils consomment très peu, ce qui les rend intéressants pour les montres ou dans des structures complexes. Actuellement, Arm et ses clients les couplent à des cœurs (très) performants (les Cortex X) mais aussi à des cœurs performants (les Cortex A7xx) et cantonnent les A5xx (lents) à des tâches de base.
Intel a choisi une autre voie avec Alder Lake (en 2021) : la seconde puce hybride récupère des cœurs issus des Atom. Il s'agissait d'une série de processeurs pensés pour l'entrée de gamme, avec une consommation faible mais aussi des performances peu élevées. L'architecture était volontairement simpl(ist)e pour réduire la consommation mais aussi les coûts et les performances, pour ne pas concurrencer les puces haut de gamme. Les différentes évolutions ont permis d'obtenir des performances solides (du niveau d'un Core de 6e génération) mais une consommation un peu plus élevée que chez Apple ou Arm. Ils équipent actuellement les Core de 12e, 13e et 14e génération et les différentes lignes d'Atom, qui existent encore sous le nom « Intel N ».
Enfin, parlons d'AMD. La société avait annoncé les cœurs Zen 4c (pour compact) dans ses puces pour serveurs, mais ils débarquent aussi dans les processeurs mobiles. Le choix d'AMD est atypique : les cœurs Zen 4c offrent exactement les mêmes fonctions que les cœurs Zen 4 (mais pas les mêmes performances, nous le verrons, et la nuance est importante). Ils ne sont pas plus lents, et la seule différence est une mémoire cache de niveau un peu plus faible. C'est un gros avantage par rapport aux sociétés citées plus haut, dont les cœurs basse consommation sont plus lents que les autres.
Des optimisations de gravure et de structure
Pour autant, les cœurs Zen 4c consomment moins que les Zen 4, pour plusieurs raisons. Premièrement, AMD a optimisé la structure interne pour la rendre plus compacte. Un cœur Zen 4 mesure 3,84 mm² en 5 nm chez TSMC, un cœur Zen 4c mesure seulement 2,48 mm², soit 35 % de moins. Ce point permet à AMD de caser 128 cœurs dans ses puces EPYC, par exemple, contre 96 « seulement » avec des cœurs classiques.
AMD complète sa gamme Zen 4 avec des processeurs à 96 cœurs
La seconde optimisation est celle qui permet de gagner en consommation : alors que les cœurs Zen 4 sont pensés pour des fréquences élevées (de l'ordre de 5,5 GHz), les cœurs Zen 4c ont été conçus pour atteindre environ 3 GHz. C'est ce qui explique que les premières puces grand public font partie de la gamme basse consommation d'AMD, et nous en avons déjà parlé.
Le Ryzen 5 7545U, le premier modèle hybride, est donc une puce composée de deux cœurs Zen 4 et quatre cœurs Zen 4c, et elle va concurrencer le Ryzen 5 7540U qui contient six cœurs Zen 4. Les fréquences annoncées sont les mêmes (4,9 GHz en pointe, 3,2 GHz de base), tout comme le TDP et les fonctions (c'est logique). Mais la puce Phoenix 2 (la nouvelle) a l'avantage d'être plus compacte (137 mm² contre 178 mm²) et donc moins onéreuse à produire.
Dans ce type de puces avec un TDP faible (il est configurable de 15 à 30 W), AMD peut cacher la fréquence plus faible des cœurs Zen 4c. Plus exactement, un Ryzen 5 7540U sera probablement plus rapide avec un TDP réglé au taquet le plus haut (30 W) car ses cœurs peuvent tous atteindre une fréquence élevée, contrairement au Ryzen 5 7545U qui ne peut atteindre le maximum (4,9 GHz) que sur deux de ses cœurs. Mais avec le TDP réglé sur 15 W, le constat est différent (et AMD le montre) : comme la fréquence est moins élevée à cause des contraintes de consommation, les cœurs Zen 4c sont plus rapides (ils peuvent fonctionner à une fréquence plus élevée que les cœurs Zen 4 à consommation identique). Il faut noter qu'il existe aussi un autre CPU hybride, le Ryzen 3 7440U (équipé d'un cœur Zen 4 et de trois cœurs Zen 4c). Mais assez étonnamment, AMD ne le distingue pas de la variante classique, dotée de quatre cœurs Zen 4, qui est pourtant potentiellement plus rapide.
C'est un jeu d'équilibriste et AMD doit trouver le bon compromis tout en prenant en compte que l'OS est incapable de déterminer le type de cœurs. Il faut un TDP assez élevé pour que les cœurs Zen 4c prennent l'avantage sur les cœurs Zen 4 mais assez faible pour éviter qu'ils ne viennent grever les performances. En l'état, AMD a donc une grosse contrainte par rapport à Intel : il semble difficile d'intégrer des cœurs Zen 4c dans des processeurs destinés aux machines de bureau. C'est un effet collatéral du choix de passer sur des cœurs identiques du point de vue de l'architecture mais pas tout à fait identiques du point de vue des performances brutes.
Malgré tout, le choix d'AMD reste intéressant et il est possible que la société trouve une solution dans le futur pour régler ce problème, par exemple en intégrant un scheduler matériel comme l'a fait Intel avec ses puces hybrides, c'est-à-dire un mécanisme intégré au processeur pour gérer l'assignation des tâches aux différents cœurs, plutôt que de laisser l'OS faire ce travail.