Le monde des puces compatibles avec le jeu d'instructions ARM est un peu particulier : il est très fragmenté. Jusqu'à maintenant, une société qui voulait proposer une puce ARM avait plusieurs choix et le plus courant était d'acheter une licence à Arm (la société) pour concevoir une puce à partir de « briques » matérielles. Mais ce point va changer, et c'est un gros changement dans la stratégie d'Arm.
Reprenons : la conception d'un système sur puce classique consiste à assembler différents composants dans une seule puce. Il peut s'agir d'un GPU, d'un CPU — au sens large — et d'un contrôleur mémoire, mais aussi de composants annexes comme un accélérateur pour les réseaux neuronaux, des blocs de décodage, un contrôleur USB 3.0, etc.
Pour le CPU, trois choix sont assez courants : acheter la licence d'un ou plusieurs cœurs à Arm (par exemple le Cortex X3, le Cortex A710 et le Cortex A510) pour les intégrer, passer par une licence qui permet quelques modifications sur les cœurs en question — ce que Qualcomm a parfois fait — ou, la voie d'Apple, concevoir des CPU compatibles avec le jeu d'instructions. Mais dans tous les cas, l'assemblage et le développement du système sur puce dépendent de la société qui le conçoit et pas d'Arm. Et c'est ce qui va changer.
Arm a en effet présenté le service CSS-Genesis (CSS pour Compute SubSystems) récemment, et c'est un changement important dans la stratégie de la société. Au lieu de laisser ses clients intégrer les différents cœurs, Arm propose de s'occuper du design de la puce, pour livrer un produit clé en main, qui pourra soit être envoyé directement en production, soit intégré dans un ensemble plus grand. Arm indique que le gain pour les sociétés qui ont besoin d'une puce est évident : elle évite toute la phase de conception et permet de gagner jusqu'à 80 « années/ingénieurs1 ».
Pour le moment, le service ne vise pas encore tous les domaines et se limite à un marché précis : les serveurs. Outre le fait que ce soit un segment en progression, il a l'avantage d'être finalement assez simple, avec des puces très similaires. En effet, la demande va être souvent la même : beaucoup de cœurs, une bande passante mémoire élevée et une connectique standardisée. Dans les serveurs, les fabricants n'ont en effet pas nécessairement besoin d'un GPU rapide, d'un ISP pour mieux traiter les photos ou d'un bloc de décodage pour l'AV1.
Le produit montré par Arm est un système sur puce composé de 64 cœurs Neoverse N2 — un cœur dérivé du Cortex A710 — qui peut être équipé avec un contrôleur mémoire DDR5 (jusqu'à 256 bits, 320 bits avec la correction d'erreurs) et gérer 64 lignes PCI-Express 5.0. Et qui a surtout l'avantage de pouvoir directement être envoyé en production sur des lignes en 5 nm.
Toute la question liée vient évidemment de la suite : est-ce qu'Arm va proposer la même possibilité pour les appareils mobiles ? Arm dispose de tout le nécessaire avec ses GPU Mali (sauf les modems) et la société pourrait donc concurrencer Qualcomm et Mediatek, deux de ses clients qui conçoivent des systèmes sur puce et les revendent aux fabricants de smartphones. Mais Arm pourrait aussi tout simplement éviter de se mettre à dos deux de ses plus gros clients et se contenter de proposer cette possibilité dans le monde des serveurs, moins dépendants des intermédiaires. Car actuellement, les fabricants conçoivent essentiellement les puces pour leurs propres usages, comme Amazon ou Google, et les « petits » acteurs doivent se contenter des rares puces vendues par des concepteurs de système sur puce… ou se tourner vers du x86.
Dans tous les cas, c'est une première étape pour Arm mais elle augure de potentiels (gros) changements dans l'écosystème si ce nouveau service a du succès.
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Imaginez un ingénieur qui travaille pendant 80 ans sur le projet… ou 160 ingénieurs qui travaillent six mois sur le projet. ↩︎