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Apple M1 : quand 8 Go de RAM semblent en valoir 16

Anthony Nelzin-Santos

mercredi 30 décembre 2020 à 13:54 • 212

Matériel

La première publication de cet article date du 2 décembre 2020 (lire : Magie de Noël : ces articles du Club iGen passent en accès libre).

Depuis plusieurs années, les machines « grand public » possèdent 8 Go de RAM, et les machines professionnelles au moins le double. Cette dotation semble convenir à la plupart des usages, mais n’empêche pas les questions sur les bénéfices d’une augmentation de la mémoire. D’autant plus cette année que la puce M1 inaugure la mémoire unifiée, dont le doublement de 8 à 16 Go (et pas plus) est facturé 230 €. Pour quels gains ? Cela suffit-il ? Éléments de réponse avec nos deux Mac mini.

Image Apple/MacGeneration.

Disons les choses simplement : le doublement de la mémoire ne fait aucune espèce de différence dans les tests synthétiques. S’ils donnent une bonne idée des capacités brutes du processeur et des graphismes, ces tests sont trop courts pour exercer une forte pression sur la mémoire, et ne suffisent pas pour évaluer un système dans son ensemble. Les écarts sont trop faibles pour dépasser les variations habituelles d’une mesure sur l’autre.

Dans beaucoup d’applications, le processeur reste le goulot d’étranglement. Dans Logic, la multiplication des pistes et des effets « remplit » progressivement la mémoire, mais l’onglet Mémoire du Moniteur d’activité montre que la pression reste raisonnable. Si la fidélité de la reproduction souffre et le système sature au-delà d’une centaine de pistes, c’est parce que le processeur atteint ses limites.

Bien sûr, les applications manipulant un grand volume de données montrent l’intérêt d’un doublement de la mémoire. Dans notre test de compilation du moteur WebKit avec Xcode, les 8 Go de notre première machine sont immédiatement remplis et le restent pendant 22 min 47 s. Entre 3 et 6 Go restent disponibles sur notre deuxième machine dotée de 16 Go de RAM, qui accomplit son office en 21 min 55 s.

Un test de compilation avec Xcode.

Cet écart de 5 % ne semble pas très impressionnant, mais peut représenter des heures et des heures à la fin de l’année. Il montre aussi les capacités de la puce M1 : notre Mac mini 2018 doté du processeur Intel Core i7-8700B à 3,2 GHz, qui était jusqu’ici le plus puissant de tous les Mac mini, met presque deux fois plus de temps pour réaliser la même opération, malgré ses 32 Go de mémoire DDR4 à 2 667 MHz.

Avant même que la mémoire ne sature, le système recourt à la mémoire swap, cet « espace d’échange » qui permet d’étendre la mémoire physique avec le stockage du disque système. N’accusez pas la puce M1 : vous retrouverez le même comportement sur un Mac Pro rempli à ras bord avec 1,5 To de RAM. Le fait est que vous ne devriez pas vous concentrer sur les chiffres donnés par le Moniteur d’activité.

Qu’un système d’exploitation conserve des informations en cache pour accélérer la reprise des opérations, compresse des données inactives, ou prépare l’utilisation du fichier d’échange, est absolument normal. D’autant plus maintenant que le recours à la swap est rendu presque insensible par la vitesse des SSD. Le fait est que la gestion de la mémoire est trop complexe pour être saisie au travers de trois chiffres.

Le Moniteur d'activité sur un Mac mini M1 doté de 8 Go de RAM. Plus que les chiffres, observez la courbe de pression sur la mémoire. Ici, elle vire au rouge du fait d'un problème de gestion du mode HDR sur un écran externe, qui affole le processus windowserver.

Rendez-vous compte : pour comprendre la gestion de la mémoire de la puce M1, il faut mentionner jusqu’à l’ordonnancement, c’est-à-dire l’ordre dans lequel le processeur pioche les données dans la mémoire. Comme l’explique le chercheur en cybersécurité Robert Graham, Apple a « triché » en implémentant l’ordonnancement des processeurs x86 au sein de la puce M1. Lors de l’exécution de Rosetta, le processeur change son mode de fonctionnement pour se conformer à la manière de faire des processeurs x86 et réduire la pénalité de la traduction à peau de chagrin.

Il faut aussi parler des bénéfices apportés par l’abandon du « ramasse-miettes » et de la gestion manuelle de la mémoire au profit du comptage de références avec ARC. Après dix ans d’optimisation des compilateurs, cette technique est d’une efficacité redoutable. En résumant grossièrement, on peut dire qu’ARC ajoute le nombre d’allocations (lorsqu’un objet doit être utilisé) et soustrait le nombre de libérations (lorsqu’un objet n’est plus nécessaire) à un compteur. Lorsque le compteur tombe à zéro, l’objet est purgé de la mémoire.

Cette opération est fondamentale : tout est objet, ou presque, dans la programmation sur macOS. La mémoire n’est pas intégrée au système sur puce contenant le processeur et les graphismes, mais placée sur le même package1, au bout d’une interface extrêmement courte et extrêmement rapide. Les tests synthétiques semblent indiquer que la bande passante atteint 60 Go/s, moins que les mémoires les plus rapides, mais trois fois plus que les mémoires des anciens MacBook Air et MacBook Pro.

« Comme la puce M1 possède seulement 16 Go de RAM », remarque le développeur Mike Piatek-Jimenez, « elle peut remplacer l’intégralité du contenu de la mémoire quatre fois par seconde. » À l’échelle d’un objet NSObject, l’échange des données entre le processeur et la mémoire est cinq fois plus rapide avec la puce M1. Comme l’explique David Smith, ingénieur chez Apple, l’allocation et la libération d’un objet prennent environ 30 nanosecondes sur un processeur Intel, mais seulement 6,5 nanosecondes sur la puce M12.

Le package comprend le système sur puce d'une part, qui comprend lui-même le processeur et le circuit graphique (sous le capot frappé d'une pomme), et les puces de DRAM d'autre part (les deux puces à droite). Image iFixit (CC BY-NC-SA 3.0).

Tout cela vous passe au-dessus ? Disons simplement qu’Apple fait plus et mieux avec 8 Go de RAM sur la puce M1 qu’elle ne pouvait le faire avec 16 Go de RAM à côté d’un processeur Intel. Et qu’elle en fera toujours plus et toujours mieux, parce qu’elle peut faire évoluer le matériel en même temps que le logiciel, graver le code dans le silicium. Et que vous devriez vous concentrer sur la couleur de la courbe de pression sur la mémoire, seul témoin synthétique de l’état de la mémoire.

Vous pourrez alors constater que les applications exerçant la plus forte pression sur la mémoire sont aussi celles qui exploitent le mieux les graphismes. Ce n’est pas une surprise, puisque les circuits intégrés aux processeurs Intel se taillaient déjà une part de la mémoire centrale pour leurs besoins. Mais avec une banque unifiée, la mémoire de la puce M1 est entièrement partagée entre le processeur et les graphismes.

Le système attribue dynamiquement la mémoire du circuit graphique : 400 Mo seulement sur le Bureau, entre 700 et 1 400 Mo en parcourant des pages web lourdes dans Safari tout en lisant une vidéo 4K, et jusqu’à 5,4 Go dans nos tests d’exportation de clips 8K REDcode sur notre machine dotée de 8 Go de RAM. Sur la machine embarquant 16 Go de RAM, la mémoire graphique peut dépasser 11 Go !

La différence est criante dans Final Cut Pro, capable de tirer toute la substantifique moelle des circuits graphiques pour décompresser les fichiers R3D. Alors que la machine dotée de 8 Go de RAM met 4 min 43 s pour exporter le clip 8K REDCode vers un clip 4K H.264, le modèle doté de 16 Go de RAM met seulement 1 min 2 s. Seuls les iMac les plus puissants, et bien sûr le Mac Pro, font mieux.

Un test d'exportation avec Final Cut Pro.

Les écarts sont plus réduits dans Affinity Photo ou Lightroom, des applications pourtant gourmandes, et inexistants dans les jeux. Dans Shadow of the Tomb Raider, un titre récent certes pas encore optimisé pour Apple Silicon, le Mac mini doté de 16 Go de RAM est plus rapide… d’une image par seconde. Mais à 22 i/s en 1080p avec toutes les options graphiques poussées à fond, on ne peut pas dire qu’il soit particulièrement fluide.

In fine, les gains dépendent entièrement des capacités des applications. Comme toujours, quelques millisecondes par-ci et quelques secondes par-là peuvent faire la différence. Les professionnels sauront calculer le retour sur l’investissement de 230 €… ou attendre les futures machines adaptées à leurs besoins. Les autres utilisateurs peuvent être rassurés : avec la puce M1, 8 Go de RAM en paraissent 16, et devraient suffire pendant de nombreuses années.

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  1. Ce qui explique probablement qu’elle se limite à 16 Go sur des machines du calibre du MacBook Air ou du Mac mini. Pour intégrer plus de mémoire, il faudrait agrandir la taille du package, et sa consommation électrique, la mémoire vive étant alimentée en permanence et représentant déjà environ 15 à 20 % de la consommation totale de la puce M1.  ↩︎

  2. Et 14 nanosecondes sur la puce M1 émulant un processeur Intel.  ↩︎

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