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AirPort : la naissance du Wi-Fi pour tous

Florian Innocente

samedi 28 avril 2018 à 10:00 • 75

Matériel

« Mais… qu'est-ce qui se passe ?! » demande tout sourire et faussement surpris un Steve Jobs ravi du bon tour qu'il vient de jouer à son public. Le patron d'Apple, non content d'avoir dévoilé avec l'iBook un cousin portable de l'iMac, était venu avec une plus grosse surprise encore : AirPort.

La première borne AirPort, toute de gris vêtue, comme une soucoupe volante, avant que le blanc ne s'impose

Il se sera écoulé quasiment 20 ans entre la présentation par Apple de ce produit et sa confirmation que, oui, elle cessait effectivement de fabriquer des routeurs AirPort. C'était dans l'air depuis 2016 mais cette fois c'est officiel. Celle par qui la démocratisation du Wi-Fi a commencé, ce n'est pas exagéré de le dire, estime que sa tâche est largement remplie. C'est la manière dont on peut le comprendre, la déclaration d'Apple étant en elle-même assez brève eu égard à l'ancienneté du produit : « We're discontinuing the Apple AirPort base station products. They will be available through Apple.com, Apple's retail stores and Apple Authorized Resellers while supplies last ».

20 années c'est suffisant pour qu'une part importante des utilisateurs de Mac ou d'iPad aujourd'hui ne réalisent pas à quel point était épatante la prestation de Steve Jobs en conclusion de cette Macworld Expo de New York, en juillet 1999. Le terme même de "Wi-Fi" n'était pas encore né et c'est en francs que les premiers clients de l'hexagone ont acheté leur équipement AirPort en septembre de la même année.

Le protocole "802.11" de connexion sans-fil sur la bande des 2,4 GHz avait été normalisé à peine deux ans plus tôt. Il visait d'abord les entreprises, les entrepôts, tous les endroits vastes et en quête d'une connexion réseau sans fil à la patte. Le grand public connaissait les communications sans fil sur les ordinateurs ou les PDA, mais avec l'infra-rouge seulement. Ce que montra Jobs ce jour-là revenait à passer de l'âge du modem qui crachote à celui de la fibre optique, la mobilité en plus.

Mais comment montrer l'invisible ? Comment faire apprécier une connexion sans-fil alors qu'il était déjà compliqué d'avoir une connexion filaire un tant soit peu rapide à la maison ? Eh bien en faisant les clowns, un numéro que Steve Jobs et Phil Schiller ont parfaitement exécuté.

Après avoir bien détaillé l'iBook, Jobs prend prétexte d'aller sur le web pour montrer la qualité de l'écran. La caméra qui le suit fait des gros plans sur les chargements de pages. Puis à un moment, Jobs dit qu'il va aller voir le site de Disney et, sans raison particulière, il se saisit du portable pour l'emmener avec lui, pendant que le caméraman suit derrière, en filmant toujours la page qui se charge.

Comme le ferait un magicien pour prouver qu'il n'y a aucun truc, Jobs attrape un cerceau qu'il fait passer autour de lui et du portable. Rien ne vient entraver son mouvement. La salle rugit de plaisir. « Pas de câble ! Pas de câble », lance Jobs. Comme si l'annonce de l'iBook n'avait pas suffi, le patron d'Apple annonce « la connexion sans-fil AirPort ».

Autre numéro un instant plus tard, lorsqu'il fait sauter Phil Schiller de quelques mètres en haut de la scène. Il s'agissait d'illustrer par cette blague la nouvelle promesse d'une informatique mobile et connectée.

Jobs expliqua qu'Apple avait étudié différentes technologies de connexion réseau parmi celles permettant de le faire dans différents endroits d'un même lieu, comme le CPL via le réseau électrique. Mais toutes obligeaient à se brancher à une prise murale. Aucune ne rompait le cordon ombilical. Il n'y a que le sans-fil pour libérer complètement l'utilisateur de ses câbles. Par chance, le 802.11 était déjà là, c'était une norme industrielle, avec un débit important pour l'époque et le chiffrement des données en transit : « Une très bonne confidentialité », assura Jobs (déjà une préoccupation).

L'autre coup d'éclat fut d'associer AirPort à un portable entièrement dirigé vers le grand public et les écoles. Cette technologie nouvelle et sophistiquée était enrobée dans un routeur en forme de soucoupe volante. Le premier ordinateur Apple compatible avec elle avait la forme d'un gros coquillage, en plastique translucide, en couleurs blanche, bleu ou orange, avec un adaptateur secteur au design inspiré d'un yoyo… Tout avait été fait pour ôter la technicité de ce produit et le rendre rassurant et désirable pour l'installer chez soi.

« Nous avons travaillé avec Lucent ces 18 derniers mois, main dans main, déclara Steve Jobs, pour marier leur technologie sans-fil avec la simplicité de notre technologie et en faire baisser le coût pour les gens, parce que ce genre de chose coûtait plutôt cher jusqu'à maintenant » (de l'ordre de quelques centaines de dollars quand cela ne dépassait pas le millier). La carte AirPort fut vendue 99 $ et la "Base station" (la borne) 249 $. En France, cela donnait respectivement 790 et 2 490 francs (soit 155 € et 488 € aujourd'hui).

La nouvelle génération "Extreme" de la première borne AirPort. Avec la carte, de jolies dimensions, que l'on devait insérer dans son Mac, avant que la miniaturisation des composants et la démocratisation de cette norme ne produisent leurs effets et n'en fassent des équipements de série.

L'iBook était muni de deux antennes logées dans les très larges bordures qui entouraient son écran. Pour avoir cette liaison sans-fil il fallait, au minimum, acheter la carte. On soulevait le clavier et on la branchait soi-même dans le logement prévu.

Cette première étape autorisait déjà un usage intéressant, celui d'établir des connexions sans-fil entre plusieurs iBook pour s'échanger des fichiers ou pour jouer. On pouvait déjà transférer des documents entre des ports infra-rouge mais avec tous les inconvénients de cette méthode : la lenteur et l'obligation de tenir les ports de chaque machine en face et près l'un de l'autre.

Si l'on s'équipait de la borne AirPort on passait au niveau supérieur. Elle pouvait distribuer par les airs une connexion internet via son modem intégré ou en se reliant par Ethernet à un routeur déjà existant (à défaut, un iBook pouvait aussi servir de borne). « 10 iBook peuvent se connecter jusqu'à 45 m de distance de la borne », poursuivit Jobs. C'est la moitié d'un terrain de football, c'est plus grand que n'importe laquelle des maisons des gens que je connais, à part Bill Gates… Mais il a les moyens de se payer deux bases stations, je pense qu'on n'a pas à s'inquiéter ».

Même ceux qui ont connu AirPort à ses débuts l'ont peut-être oublié, en France il fallait déclarer la mise en service de cette borne auprès des autorités, et Apple fournissait un formulaire à cet effet. La réglementation autour des équipements sans-fil sur la bande des 2,4 GHz s'est assouplie quelques années plus tard mais avant cela, on devait envoyer une demande individuelle de licence auprès de ce qui est devenu aujourd'hui l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). Sauf à habiter près d'un site militaire il n'y avait heureusement pas trop de risques à se la voir refusée.

L'informatique mobile était devenu courante depuis de très nombreuses années, avec les portables PC, mais aussi les PDA. Seulement, avec AirPort, elle prenait un nouveau sens en gagnant une connexion réseau sans fil domestique performante, accessible jusqu'à une clientèle de néophytes1.

Ce qui aujourd'hui relève de l'évidence dans les usages était, à l'orée de l'année 2000, l'occasion de se projeter dans l'avenir, comme le montre un extrait de l'édito paru dans le SVM Mac de septembre 1999 qui faisait sa couverture2 sur AirPort, signé par son rédacteur en chef Haïm Benabou :

Imaginez-vous à votre domicile. Vous êtes dans le salon en train de surfer sur le Net, vous passez dans votre bureau pour vérifier une information et vous terminez dans votre jardin pour comparer les couleurs d'un rosier à celui que vous propose un vendeur en ligne. Mais tout cela n'est qu'une première étape. Je vous laisse penser aux implications si la distance autorisée n'est plus de 50 m mais de 50 km ou plus encore, grâce à une série de relais, par exemple !

Dans les années qui ont suivi, le scénario décrit au départ est devenu d'une banalité confondante. Pour la dernière partie, il suffit de regarder autour de soi les gens rivés sur leurs smartphones pour voir que l'idée s'est concrétisée bien au-delà de ce qui était suggéré. Comme le disait la conclusion, Apple a donné avec AirPort « le feu vert à l'informatique mobile ».

Le Wi-Fi est devenu l'oxygène des ordinateurs portables et dans un sens, l'iPhone est le résultat le plus abouti à ce jour de cette transformation entamée par Apple il y a 20 ans. Merci AirPort.


  1. Je travaillais chez SVM Mac pendant cette période et quelques jours avant Macworld Expo, un cadre d'Apple France bien placé nous avait conseillé de nous intéresser aux connexions réseau sans fil. Mais sans en dire plus. Malgré cet indice — le domaine était pour le moins obscur à l'époque — nous étions très loin de deviner ce qui allait être montré ! ↩︎

  2. Le choix d'axer la couverture sur AirPort (avec un clin d'œil à Space Invaders en rapport à la première pub de cette borne) plutôt que sur l'iBook ne tombait pas sous le sens. Ce portable était énormément attendu et auréolé de mystères jusqu'à sa présentation. La suite aura validé ce choix : l'iBook a marqué mais sans bouleverser son domaine (contrairement au MacBook Air par exemple) alors que le Wi-Fi a été une révolution. Un membre de l'équipe AirPort, rencontré par la suite sur Apple Expo, nous déclara qu'il était heureux que, pour une fois, ce soit sa borne et non l'iBook qui ait eu les honneurs. À l'inverse de tous les autres magazines. ↩︎

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