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Les coulisses de la naissance et de la disparition du FireWire

Florian Innocente

dimanche 23 juillet 2017 à 16:00 • 54

Matériel

Au mois de janvier prochain, cela fera 10 ans qu'Apple a entamé l'abandon du FireWire, un connecteur à grande vitesse qu'elle a mis au point et qui fut au cœur de ses produits avant que certaines de ses décisions n'en scellent le sort funeste.

Michael Johas Teener a été à l'avant-poste de sa création, d'abord en dehors d'Apple puis dans ses murs. Il a récemment raconté à Ars Technica les grandes étapes de la vie de cette technologie, depuis sa naissance jusqu'à sa disparition.

Le FireWire, ou norme IEEE-1394, a été employé par Apple à partir de janvier 1999 dans les Power Mac G3 blanc-bleu puis, la même année, avec l'iMac DV. Le principal argument de vente pour ce dernier était le montage vidéo à portée de tous grâce à iMovie et des caméscopes DV de plus en plus abordables.

Il faut remonter une douzaine d'années plus tôt, en 1986-87, pour retrouver les origines de cette norme. Michael Johas Teener était alors un architecte système chez National Semiconductor, où il assistait les gens du marketing pour la communication sur les produits de l'entreprise.

À cette époque, dit-il, des discussions existaient sur la possibilité de créer un bus de communication de données qui pourrait fédérer l'industrie, au lieu d'assister à la bataille de projets concurrents et incompatibles.

Une seule norme pour tout et tous

Un autre ingénieur, David James, chez HP, s'était montré intéressé à cette évocation d'un port série capable de remplacer le port parallèle SCSI, alors très populaire mais contraignant et encombrant. James voulait en outre que cette future connectique serve aussi pour de petits périphériques tels que des lecteurs de disquettes, souris et claviers. L'USB n'était pas encore né et selon qu'on était sur Mac ou PC, il fallait utiliser des connecteurs ressemblants mais incompatibles, Apple Desktop Bus (ADB) pour les uns et PS/2 pour les autres.

En 1988, Michael Johas Teener fut embauché par Apple, suivi par David James. Apple cherchait un successeur au vénérable ADB apte à véhiculer aussi de l'audio et le tout à une vitesse quatre fois supérieure (50 Mb/s) à celle du protocole naissant alors imaginé par le duo. Une solution aurait été d'aller vers la fibre optique — Apple planchait dessus — mais cela induisait des coûts trop élevés.

Teener et James réussirent à mettre au point un système qui garantissait un débit constant des données et sans mauvaise surprise dans la latence, des critères importants pour un usage en musique et vidéo. Deux ingénieurs, Roger Van Brunt et Florin Oprescu furent affectés à la création du format physique de cette norme. IBM, qui cherchait un remplaçant au SCSI, apporta son expertise mais voulait du 100 Mb/s. C'est STMicroelectronics qui amena une solution pour doubler les débits sans coût supplémentaire.

La forme du connecteur fut inspirée par une prise de la Game Boy de Nintendo. Elle ne ressemblait pas aux ports série ronds habituels et elle répondait à l'envie d'Apple d'avoir quelque chose de très distinct et de reconnaissable entre mille. Cette prise avait aussi comme particularité d'intégrer, à l'intérieur du connecteur en bout du câble, les contacts métalliques mobiles plutôt que côté ordinateur. En cas d'usure il suffisait de changer le câble.

En violet le câble pour la Game Boy Advance, à côté la prise blanche du FireWire 400. Crédit: Hansh. Cliquer pour agrandir

En 1993, les premières démos publiques furent organisées au Comdex par Apple, IBM, Maxtor, Adaptec et Western Digital. Le travail de rédaction de cette norme dans sa première mouture s'achevait. Le FireWire 400 autoriserait des débits allant jusqu'à 400 Mb/s, le chaînage d'un maximum de 63 périphériques auto alimentés et une connexion à chaud (contrairement au SCSI qui imposait aussi de placer des "bouchons" en fin de chaîne).

Autre avantage sur l'USB, le FireWire aurait son propre contrôleur sur la carte-mère. Une manière d'éviter d'accaparer le processeur principal pendant le transfert des données. Un CPU déjà soumis à des tâches lourdes ne pourrait pas non plus perturber les débits.

FireWire et i.LINK

Le choix du nom « FireWire » est l'occasion d'autres anecdotes de Michael Johas Teener. Sony avait mis à mal l'un des objectifs de simplification, d'une part en utilisant un connecteur à 4 broches au lieu des 6 prévues par la norme initiale (une décision prise sans concertation), ensuite en le baptisant « i.LINK » sur ses produits. Tout le monde s'était pourtant accordé autour de « FireWire » (avec un « W » majuscule sur recommandation du marketing) et c'est ce nom qui fut officialisé lors du Comdex '93.

Texas Instruments avait choisi « Lynx », mais ce fabricant n'avait pas la visibilité de Sony, lequel allait lancer une ample gamme de produits compatibles FireWire. Michael Johas Teener ajoute que l'entreprise japonaise avait forcé la main des autres fabricants de l'archipel pour qu'ils utilisent eux aussi la marque i.LINK. Officiellement, c'est la connotation négative de « feu » dans FireWire qui aurait gêné Sony, certaines villes du Japon ayant été la proie des flammes à de nombreuses occasions dans leur histoire.

Michael Johas Teener raconte avoir emmené un jour des amis de Sony boire quelques verres pour en apprendre plus sur le sujet. À les en croire, « l'une des raisons pour laquelle Sony a longtemps refusé d'utiliser le Dolby s'expliquait par le fait que ce nom sonnait mieux que "Sony". Ce n'était pas vraiment une question de technologie, ça concernait juste le nom. Ils ont comparé "FireWire" à "Sony" et il se sont dits "Oh oui, FireWire c'est cool ! Sony c'est rasoir" ». En somme, avec « i.LINK », la marque Sony ne serait pas dépréciée, quitte à créer ensuite une confusion chez les utilisateurs.

Apple tergiverse

Durant tout le début des années 1990, la norme faillit ne pas voir le jour chez Apple, explique aujourd'hui Eric Sirkin, ancien directeur des produits constructeurs chez la Pomme. La direction ne cessait de donner des coups de barre d'un côté (il fallait casser les prix pour concurrencer les PC) et de l'autre (il fallait innover parce que les ventes ne suivaient pas).

La norme était maintenant publique et avait été saluée, cependant Teener se souvient qu'il avait fallu employer des subterfuges pour la maintenir en vie, le temps qu'Apple se décide à en faire quelque chose. Ceux, chez IBM et chez Apple, qui tenaient au FireWire assuraient chacun à leur service marketing respectif que leur partenaire allait se lancer dans la commercialisation de produits.

Chez Apple, les responsables du marketing et de l'ingénierie refusaient d'intégrer ce bus à de nouveaux Mac tant que d'autres marques ne faisaient pas le premier pas. Le syndrome de la poule et de l'œuf. « Montrez-nous qu'il est en train d'être adopté par l'industrie et on l'ajoutera », disaient-ils.

Le groupe d'Eric Sirkin vint même au secours du FireWire alors qu'avait été prise la décision de l'abandonner. Les performances de ce bus l'intéressaient et il en fit la promotion au Japon. Bonne pioche, car Sony était désireux de démocratiser la vidéo numérique au-delà de la sphère professionnelle, et le FireWire répondait à cette problématique.

Lorsque les premiers caméscopes DV furent lancés un an plus tard, Apple changea son fusil d'épaule : « Les types du Mac se sont dits "Oh mon dieu, c'est vraiment en train de devenir un standard" »…

License to kill

Autre rebondissement, le choix du prix demandé pour l'obtention d'une licence d'exploitation du FireWire, un impératif édicté par l'association IEEE qui veille sur les normes. Il fut décidé qu'un montant unique de 50 000 $ devrait être payé pour une utilisation sans limites ensuite. Microsoft, méfiant vis-à-vis d'Apple, obtint de Sirkin que cela soit mis noir sur blanc dans un contrat, pour se prémunir de toute mauvaise surprise.

Intel rejoignit le navire en 1996, avec la perspective de faire de l'IEEE-1394 un composant standard sur les cartes-mères des PC. À ce moment-là, l'équipe FireWire chez Apple s'éparpillait, apparemment à la suite d'un « chaos interne ». Eric Sirkin lança une société spécialisée dans le FireWire mais sans succès, tandis que Michael Johas Teener, avec des collègues, créa la société Zayante pour aider Intel à intégrer ce bus et HP à l'ajouter à ses imprimantes.

Le FireWire était néanmoins sur de bons rails. En 1999, Apple commença à l'intégrer en standard. En 2001, la Pomme fut récompensée par un Emmy Award (l'équivalent des Oscars pour la télévision) pour cette invention et son impact sur la création de contenus numériques.

C'est à ce moment qu'une bascule commença à s'opérer en faveur de l'USB 2 promu par Intel. Apple était toujours dans une situation financière bancale. Sirkin explique que Steve Jobs, voyant les sommes qu'IBM générait avec les licences de ses inventions, voulu faire de même. Apple réclama alors 1 $ pour chacune des prises FireWire présentes sur un appareil vendu par un fabricant tiers.

Furieux, Intel envoya son directeur technique parlementer, sans succès. À la surprise de Sirkin, qui avait paraphé le contrat stipulant les conditions initiales de licence plus souples, Microsoft n'essaya même pas de jouer cette carte pour rappeler à Apple ses engagements premiers. « Microsoft l'avait peut-être jeté » mais cela aurait pu « stopper net Apple ».

La vidéo numérique mobile, en 2000

Un mois plus tard, la Pomme abaissa la somme à 25 centimes, mais le mal était fait. Intel allait mettre tout son poids dans l'USB 2, entraînant dans son sillage des fabricants de PC à l'œil rivé sur leurs calculettes. Apple se retrouva finalement assez isolée avec le FireWire. En quelques années l'USB emporta le match grâce à l'amélioration de ses performances face au FireWire (qui évolua tout de même avec le FireWire 800) et son ubiquité.

Il faut aussi rappeler un point important : juste après le lancement des iMac DV avec iMovie, Apple constata qu'elle misait tout sur la vidéo numérique alors que le tsunami du MP3 emportait tout sur son passage. Elle n'avait rien, ni logiciel de lecture MP3, ni graveur de CD dans ses iMac tout neufs, pour y répondre. Plus tard, après l'acquisition de SoundJam qui deviendra iTunes, il n'y en aurait plus que pour le slogan « Rip, Mix, Burn » et beaucoup moins pour le montage vidéo en famille.

FireWire K.O.

Les MacBook Pro tirèrent un trait sur le FireWire en 2012, comme pour les iMac. Pour le Mac Pro ce fut en 2013 et le Mac mini en 2014. Quant au MacBook Air, il s'en passa dès sa première version de 2008. Heureusement, sa prise en charge n'a pas été abandonnée sur le plan logiciel ; rien n'empêche aujourd'hui un Mac avec High Sierra de continuer à utiliser des périphériques FireWire 800.

Les avantages du FireWire ne sont plus aussi importants aujourd'hui, constate Eric Sirkin, tant les bus sont devenus rapides : « Les paquets de données arrivent avant même qu'on en ait besoin, tellement ça va vite ». Le long accouchement du FireWire chez Apple au début des années 1990 est aussi l'illustration d'une époque où la prise de risque et l'innovation n'étaient plus aussi fortes, conclut l'ancien employé :

Voilà une entreprise innovante qui refusait tout simplement de déployer le FireWire dans ses ordinateurs. L'unique manière dont elle s'y est prise a consisté à trouver une autre société, Sony en l'occurrence, qui s'est jetée dessus. Et c'est seulement après que Sony se soit emballée, qu'Apple s'y est mise.

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