Nous sommes en février 1988. Grâce au MultiFinder du Système 5, le Macintosh peut enfin exécuter plusieurs applications en même temps. À l’occasion de la conférence UniForum, Apple présente pourtant un tout nouveau système d’exploitation, baptisé A/UX. La firme de Cupertino frappe un grand coup : A/UX peut répondre aux exigences du gouvernement américain, puisque c’est un système Unix, sans aliéner la clientèle traditionnelle, comme il prend en charge les applications Macintosh. A/UX marque le début d’une relation tumultueuse entre Apple et Unix.
Au milieu des années 1980, Apple contrôle 20 % du marché naissant de l’informatique personnelle. L’Apple II a trouvé sa place dans les foyers comme dans les écoles, et le Macintosh séduit les professionnels de la création. La firme de Cupertino n’est pas rassasiée, et veut maintenant conquérir le gouvernement américain, qui achète plus d’ordinateurs qu’aucune autre organisation dans le monde.
Après cinq ans de guerre des systèmes Unix, qui a vu s’affronter les partisans du système original conçu chez AT&T aux tenants de l’approche non-commerciale de BSD, l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens (IEEE) définit un jeu de normes communes en 1988. Le standard POSIX assure l’interopérabilité des nombreux systèmes Unix, et devient une exigence du cahier des charges de l’Institut national des normes et de la technologie (NIST).
Pour espérer emporter des contrats gouvernementaux, Apple doit concevoir son propre système compatible POSIX. Comme Sun avant elle, elle se tourne vers UniSoft, qui a déjà réalisé plus de 200 implémentations Unix pour une demi-douzaine d’architectures. UniSoft part de la version 2.2 de System V, le système Unix commercial d’AT&T, et lui ajoute quelques extensions issues de BSD 4.2 et 4.3.
Pour autant, Apple refuse d’abandonner la compatibilité avec les applications Mac. Si la première version1 démarre uniquement en ligne de commande, et ne prend en charge qu’un dixième des applications traditionnelles, la première mise à jour incorpore l’ensemble de l’environnement du Système 6. A/UX, pour Apple Unix, est né.
Pendant quelques temps, Apple propose un Mac IIx équipé d’un disque dur de 80 Mo renfermant A/UX pour 8 152 $, l’équivalent de 15 000 € aujourd’hui. Les propriétaires de Mac II peuvent même acheter un upgrade kit, contenant le disque dur et une unité de gestion de la mémoire (PMMU), pour la coquette somme de 4 879 $. Apple reprend le développement en main pour A/UX 2.0, qui est distribué sur des disquettes.
Le développement d’A/UX 3.0, présenté en novembre 1991, est synchronisé avec celui du Système 7. Le système de fichiers Unix apparait comme un volume dans le Finder, QuickTime fait son apparition, AppleTalk cohabite avec Telnet. Un système A/UX peut être utilisé comme une console Unix textuelle, ou bien avec le serveur graphique X, mais la plupart des utilisateurs préfèrent son troisième mode de fonctionnement.
Dans ce « mode Finder », A/UX peut non seulement faire tourner les applications Macintosh, mais aussi les applications X avec MacX, et même des applications hybrides exploitant les racines Unix du système tout en présentant une interface Mac. Le bon vieux Finder est là, mais il peut gérer les permissions Unix. L’interface graphique est familière, mais la ligne de commande n’est jamais loin grâce au CommandShell. C’est Mac OS X avant l’heure !
À la même époque, Apple forme l’alliance AIM avec IBM et Motorola. Les ennemis d’hier s’allient pour concevoir une plateforme commune, et même une culture partagée, afin de casser le duopole formé par Microsoft et Intel. Le Système 7 bute contre les choix des concepteurs du Macintosh en matière de protection de la mémoire et de gestion des tâches concurrentes.
Microsoft n’est pas beaucoup mieux lotie : empêtrée dans sa transition vers le noyau NT, elle rêve pourtant d’un système qui mettrait « l’information sous vos doigts », baptisé Cairo. Avec son système bâti sur le micronoyau Mach et le système BSD, NeXT a fait bouger les lignes. Alors que les systèmes des années 1980 ont fait leur temps, et que les systèmes des années 1990 semblent illusoires, l’industrie semble prête à basculer vers les systèmes Unix.
Or IBM possède son propre système Unix, AIX, qui connait un certain succès dans le monde des serveurs. Apple imagine alors fondre A/UX et AIX dans le système OSF/1 de l’Open Software Foundation, basé sur le micronoyau Mach. A/UX 4.0 pourrait tourner sur toutes les machines utilisant l’architecture Power, des ordinateurs d’Apple aux serveurs d’IBM. Lorsqu’elles fondent Taligent en 1992, Apple et IBM misent pourtant sur le projet Pink, qui repart d’une feuille blanche.
La suite est connue : Pink n’a jamais été finalisé, malgré le renfort de HP, et Taligent s’est dissoute dans IBM (lire : Taligent, le système d'exploitation rêvé). Comme un lapin pris dans les phares, Apple a oublié qu’elle possédait déjà un système proposant la protection de la mémoire et le multitâche préemptif, avec de solides racines Unix et une compatibilité parfaite avec la logithèque Mac.
Ce système, bien sûr, c’était A/UX. Après une ultime révision en 1995, il est pourtant abandonné dans le courant de l’année 1996, quelques mois avant l’acquisition de NeXT. Entretemps, Microsoft a présenté Windows NT qui est vaguement compatible POSIX, puis Windows 95 avec une interface inspirée des travaux du projet Cairo. Avant que Steve Jobs ne reprenne formellement les rênes, Apple a tout juste le temps de présenter ses Network Servers, la première — et seule — gamme de produits utilisant le système AIX d’IBM.
A/UX est aujourd’hui méconnu, mais il a marqué son époque, attirant un public de passionnés des systèmes Unix à la recherche d’une interface léchée. Jim Jagielski, développeur du serveur HTTP Apache et cofondateur de la fondation du même nom, fut ainsi l’auteur d’une imposante foire aux questions sur A/UX et l’opérateur du principal répertoire d’applications compatibles.
Enterré sans tambours ni trompette, A/UX fédère toujours une petite communauté de passionnés, qui collectionnent les Quadra 800, la plus puissante machine compatible avec son processeur 68040 à 33 MHz. A/UX n’a jamais été adapté aux processeurs PowerPC, mais Apple a soutenu l’effort de développement d’une distribution GNU/Linux pour cette architecture. Mais ça, c’est une autre histoire…
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Aujourd’hui introuvable. Les versions suivantes circulent assez librement sur le web, mais nous ne vous fournirons pas de liens, les ayants-droits du système Unix étant particulièrement litigieux. ↩︎