Pour la première fois de la courte histoire de l’informatique personnelle, une entreprise maitrise entièrement la conception de ses ordinateurs, du système d’exploitation aux processeurs en passant par les services1. Cette entreprise, c’est Apple, et ces ordinateurs, ce sont les Mac. À l’occasion du troisième special event d’une saison d’annonces qui n’en finit plus, la firme de Cupertino a levé le voile sur sa première gamme d’ordinateurs2 embarquant ses propres processeurs.
Ceci est (vraiment) une révolution
C’est un tremblement de terre – et pas seulement parce que le projet Kalamata, du nom d’une charmante ville du Péloponnèse qui fut l’épicentre du tremblement de terre du 13 septembre 1986, aboutit enfin. Quinze ans après avoir admis que les Mac étaient des PC comme les autres, au point que les uns peuvent faire tourner Windows et que les autres peuvent faire tourner macOS, Apple reprend son indépendance.
En abandonnant les processeurs Intel, les Mac sont des Apple Watch comme les autres. Non, vraiment. Les Mac ont désormais plus de points communs avec une montre connectée, qui reprend certains cœurs de la puce M1, qu’avec les PC concurrents. Du plus petit écran greffé au poignet au plus grand écran installé au milieu du salon, tous les appareils frappés d’une pomme utilisent désormais la même architecture de processeur.
Apple n’en est pas à son coup d’essai. Au début des années 1990, elle avait rejoint Acorn et VLSI pour plancher sur ses propres processeurs, créant une petite joint venture baptisée… ARM. Avec IBM et Motorola, elle avait formé l’alliance AIM pour concevoir les processeurs PowerPC qui ont longtemps distingué les Mac. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement.
Apple a formé un nouveau trio avec ARM, qui fournit ses architectures de référence, et TSMC, qui apporte son processus de gravure à 5 nm. Mais cette fois, Apple marche en tête. Après une dizaine d’acquisitions et des milliers d’embauches, elle emploie parmi les meilleurs spécialistes mondiaux de la conception des processeurs, au Texas et en Israël.
Et alors qu’elle avait adopté les processeurs Intel au pas de charge, la firme de Cupertino a longuement mûri sa décision. La présentation de la puce M1 intervient dix ans après celle de son premier processeur maison, l’A4 qui motorisait le tout premier iPad, et sept ans après celle de sa première puce « de classe PC », l’A7 de l’iPhone 5s.
Une puce d’iPhone adaptée au Mac
Cette annonce n’est pas une surprise, puisque les rumeurs circulent depuis trois ans dans la presse, ni un pari industriel, puisqu’un milliard et quelques d’appareils possèdent déjà une puce frappée d’une pomme. Pour autant, elle n’a rien d’évident. Au-delà de l’iPad et d’une poignée d’ultrabooks, les puces ARM n’ont encore jamais prouvé qu’elles pouvaient remplacer avantageusement les processeurs Intel des stations de travail.
Apple l’assure : la puce M1 inaugure « une toute nouvelle catégorie de produits ». Pour la première fois, les Mac vont bénéficier d’une architecture processeur hybride. Les quatre premiers cœurs sont plus puissants, « les plus rapides du monde » même, selon Apple. Les quatre autres sont dix fois plus économes, et peuvent donc rester actifs pendant la veille, mais fournissent un niveau de performance comparable au MacBook Air actuel.
In fine, ce processeur triple les performances par watt par rapport aux processeurs x86 de la même classe. Autrement dit, la mesure utilisée pour justifier l’adoption des processeurs Intel en 2005 est aujourd’hui utilisée pour justifier leur abandon. La puce M1 n’est pas seulement un processeur : c’est un système sur puce (SoC) intégrant plusieurs circuits spécialisés.
Le processeur est ainsi flanqué d’un circuit graphique à huit cœurs, assurant une puissance de calcul de 2,6 téraflops. Pas de quoi rivaliser avec les cartes graphiques dédiées, mais largement de quoi faire oublier les circuits intégrés, d’autant que le Neural Engine à seize cœurs se charge des tâches dopées au machine learning.
La puce M1 amène au Mac des circuits jusqu’ici réservés à l’iPhone et à l’iPad. La mémoire unifiée accélère les échanges entre le processeur et le circuit graphique, des circuits sont entièrement dédiés au traitement des images et des sons, le gestionnaire d’énergie gardera un œil sur la batterie, et la Secure Enclave assure la sécurité de la machine.
Des machines familières pour une puce inédite
À puce inédite, machines… familières. Apple étrenne ses puces avec le MacBook Air, le MacBook Pro 13", et le Mac mini. Au premier coup d’œil, ces machines n’ont pas changé d’un iota. Sauf que le MacBook Air est maintenant 3,5 fois plus rapide, et donc plus puissant que « 98 % des ordinateurs portables vendus dans les douze derniers mois », au point d’être capable de décoder plusieurs flux 4K ProRes simultanés en temps réel.
Grâce aux cœurs économes, le MacBook Air peut tenir jusqu’à 18 h sur une charge. Avec sa batterie plus imposante, le MacBook Pro 13" pourra atteindre 20 h d’autonomie ! Les trois machines partagent la même puce, mais elle tournera moins rapidement dans le MacBook Air3, dépourvu de ventilateur. Dans le Mac mini et le MacBook Pro 13", elle pourra tourner à fond en permanence4.
Avec le nouveau processeur de traitement des images, la qualité de la webcam fait un bond. Avec le nouveau circuit graphique, les trois machines peuvent gérer le Pro Display XDR. Avec les nouveaux contrôleurs PCIe 4, elles intègrent des SSD plus rapides et des ports USB 4 (et donc Thunderbolt 3). Et avec les nouveaux modems, elles prennent (enfin !) en charge les réseaux Wi-Fi 6. Tout ça pour un prix inchangé, voire en baisse.
Une longue transition
Vous l’aurez compris, la transition vers les puces Apple est déjà terminée pour les machines grand public, que vous pouvez commander dès aujourd’hui :
- MacBook Air à partir de 1 129 € avec 8 Go de RAM et 256 Go de stockage ;
- MacBook Pro 13" à partir de 1 449 € avec 8 Go de RAM et 256 Go de stockage ;
- Mac mini à partir de 799 € avec 8 Go de RAM et 256 Go de stockage.
Et les machines professionnelles comme le MacBook Pro 16", l’iMac, et le Mac Pro ? Apple confirme vouloir proposer une gamme de puces, dont certaines pourront rivaliser avec les processeurs Intel Core i9 et les cartes graphiques dédiées AMD Radeon. Mais elle se donne « deux ans » pour le faire.
Pour en savoir plus sur la transition vers les puces Apple :
- La longue liste à puces d’Apple
- Comment Intel fait piétiner les Mac
- Apple Silicon : « les Mac resteront les Mac que vous connaissez et que vous aimez »
- Boot Camp ne sera pas disponible sur Mac ARM !
Pour revenir sur toutes les annonces du special event :
- La puce Apple M1 bat au cœur des nouveaux Mac
- macOS Big Sur et M1 : le duo véloce
- MacBook Air, premier Mac à intégrer la puce Apple M1
- Le Mac mini va filer sur M1
- MacBook Pro M1 : des performances de pointe et une autonomie de fou
- macOS Big Sur disponible le 12 novembre, les Mac M1 aujourd'hui
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Vous pourriez citer Texas Instruments, mais elle a rapidement quitté le marché, ou Commodore, mais vous devriez relire l’histoire trouble de MOS et CSG. Et, surtout, vous parleriez d’une autre époque. ↩︎
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Vous pourriez citer l’iPad, et vous auriez raison, mais qu’est-ce qu’un ordinateur ? ↩︎
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Et avec un circuit graphique amputé d’un cœur sur le modèle d’entrée de gamme, joies du binning. ↩︎
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Apple, fidèle à elle-même, ne communique pas sur la fréquence du processeur. ↩︎