Adobe aura réussi à mettre tout le monde d’accord… contre elle. Après quelques mois d’« enquête approfondie », la Commission européenne considère que « le projet d’acquisition de Figma est susceptible de restreindre la concurrence sur les marchés mondiaux de la fourniture de logiciels interactifs de conception de produits et d’autres logiciels de conception artistique ». La Competition and Markets Authority (CMA) britannique lui embraye aujourd’hui le pas en déplorant que cette acquisition vise à « éliminer la concurrence entre deux principaux concurrents dans le domaine des logiciels de conception de produits numériques ».
Les conclusions des deux institutions sont encore « préliminaires », la Commission européenne se donnant jusqu’au 5 février et la CMA jusqu’au 25 février pour prendre une décision finale. Il parait improbable qu’elles fassent soudainement volteface, d’autant que le département américain de la Justice mène sa propre enquête en faisant montre d’une discrétion inhabituelle.
« Adobe et Figma ne sont pas vraiment concurrents », assure Dana Rao, l’avocat en chef de la première. « Figma domine sur le marché de la conception de produits numériques avec une plateforme web collaborative, tandis qu’Adobe domine dans le domaine des outils créatifs », répète-t-il depuis des mois et des mois. C’est uniquement vrai parce qu’Adobe a débranché XD face à la concurrence acharnée de Figma, qui s’est offert le luxe de doubler la figure tutélaire de la création numérique sur le terrain du brainstorming, avec son tableau blanc FigJam.
Le régulateur britannique estime d’ailleurs que Figma pourrait tout à fait « continuer de développer ou étendre ses produits », utilisés par 80 % des professionnels de la création au Royaume-Uni, si elle continue seule sa route. Or Adobe s’est toujours réinventée au travers de ses acquisitions : elle a investi le champ de la PAO en achetant Aldus et Frame dans les années 1990, a pris le virage du web en mettant la main sur Macromedia et Omniture dans les années 2000, est allée chercher son chef produit chez Behance, et veut concevoir le futur de la réalité augmentée avec la gamme de produits Substance conçue par l’entreprise française Allegorithmic.
Le montant de l’acquisition, 20 milliards de dollars, est à la hauteur des enjeux pour Adobe. Adobe et Figma ont quelques semaines pour répondre aux griefs de la Commission européenne et de la CMA. Le régulateur britannique ne voit que deux solutions : soit Adobe abandonne son projet d’acquisition, soit elle devra se séparer de toutes les opérations redondantes dans les domaines du dessin assisté par ordinateur et de l’édition vectorielle. Autrement dit, si Adobe veut Figma, elle devra sacrifier Photoshop et Illustrator. Le jeu n’en vaut peut-être pas la chandelle.